Par les temps qui courent, il est rare qu’un éditeur se lance dans une saga aux allures classiques prévue en plusieurs volumes. Pourtant, Futuropolis a déjà financé les scénarii des six ouvrages nécessaires à l’épopée de « L’Ange corse », lesquels sont d’ores et déjà écrits, et les trois premiers opus sortiront en l’espace d’une seule année… Rien que pour cela — mais pas que… —, saluons la parution du premier tome de « L’Ange corse » : l’histoire d’un orphelin corse qui doit s’expatrier dans l’Indochine des années 1930, pour échapper à une vendetta. Le jeune insulaire est recueilli, à Saigon, par un riche commerçant et propriétaire terrien natif d’Ajaccio : mais sous sa façade respectable, cet homme, bien installé, trempe dans le proxénétisme et le trafic de stupéfiants…
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Cette saga amusante et véridique d’un cocu fier et courageux (sa ravissante épouse était devenue la favorite du roi Louis XIV) a d’abord fait l’objet d’un remarquable roman signé Jean Teulé qui parut, en 2008, aux éditions Juillard : un immense « best-seller », avec plus de 500 000 exemplaires vendus, qui réussit le tour de force d’être aussi reconnu par la critique puisque couronné, par exemple, par le « Prix Maison de la presse ».
L’histoire de ce fou qui veut reprendre sa reine (Louis-Henri de Montespan, jeune marquis désargenté devenu alors la risée des courtisans, n’aura de cesse, jusqu’à la fin de ses jours, de braver l’autorité de Louis XIV et d’exiger de lui qu’il lui rende sa femme) est somptueusement mise en cases par le trait élégant et délicat de Philippe Bertrand ! Le style de ce dernier s’approche des gravures d’époque pour mieux nous plonger dans l’envers jubilatoire du décor et nous restituer, avec classe, la truculence des précieuses ridicules, des salons mondains et des crasseuses garnisons du roi.
On sent bien que le dessinateur de « Linda aime l’art », de « L’Amour cash » et de « Rester normal » s’est beaucoup investi dans cet album, s’étant même obligé à dessiner autrement : quittant pour un instant un style souple et épais, il s’évertue ici à être léger et précis en même temps dans une grande finesse de trait, à être très documenté tout en sachant se détacher des sources pour arriver à quelque chose de « charmant mais pas innocent ».
D’autre part, son travail sur la colorisation, à l’écoline, a été appliqué directement sur les planches encrées ; et notre talentueux dessinateur a tenu à ce que les différentes couches soient finement exécutées, avec nuances : ainsi, les encres de couleurs ont réussi à transformer la tessiture du noir, un peu comme les tons colorés que met Soulages dans ses noirs. Philippe Bertrand a adoré se rendre compte comment un brun ou un bleu pouvait agir de façon dissemblable sur l’aspect du noir, donnant des veloutés différents aux images !
Si, sans aucun doute, Philippe Bertrand a réalisé « le livre de sa vie », il faut quand même préciser que sa bande dessinée est complémentaire du roman, lequel est plus cru, plus grivois et plus agressif ; il en a fait quelque chose de plus doux, de plus tendre et de plus mélancolique… Ce qui donne, au bout du compte (du conte ?), un objet à part qui ne trahit pas l’original mais qui a son propre charme…, et qui aura, certainement, sa propre vie : c’est une adaptation, certes, mais dans le bon et noble sens du terme !
Gilles RATIER et Cecil McKINLEY
? Le Montespan ? par Philippe Bertrand, d’après Jean Teulé
Éditions Delcourt (14,95 Euros)