Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Rencontre avec Thomas Legrain, à propos de la série « Sisco »
En un peu plus de trois ans et avec déjà six volumes parus, le thriller politique « Sisco » s’est rapidement imposé dans le paysage éditorial BD, en partie grâce au caractère très atypique de son personnage principal, agent spécial en charge de la sécurité du président français, mais aussi du fait de ses intrigues bien charpentées aux multiples rebondissements, mises en image dans un style réaliste très minutieux par Thomas Legrain.
Né le 22 janvier 1981 à Sambreville, en Belgique, Thomas Legrain dessine dès son plus jeune âge et entame même sa première BD à l’âge de 12 ans : « C‘est en partie lié à mon environnement familial, explique-t-il, le dessin faisait partie de ma culture ». Bien que souhaitant faire de la bande dessinée son métier, ce petit neveu de l’illustre Jijé décide pourtant de ne pas orienter ses études dans le domaine et décroche deux licences universitaires, une en Histoire et une autre en criminologie. Ses diplômes en poche, l’autodidacte graphique se lance dans le grand bain de la bande dessinée par l’intermédiaire d’un forum Internet : « À l’époque, le site bdparadisio.com proposait une section réservée aux jeunes auteurs qui leur donnait l’occasion de présenter leur travail. Je suis ainsi rentré en contact avec plusieurs scénaristes. » L’un d’entre eux n’est autre que Jean-Claude Bartoll, avec qui Thomas Legrain présente aux éditeurs les projets des séries « Mortelle Riviera » et « L’Agence », tous deux acceptés, le premier chez Glénat et le second chez Casterman : « Ca a été très très vite» se souvient le dessinateur.
Par le même canal numérique, mais deux ans plus tard, c’est au tour de Benec de contacter Thomas Legrain pour lui proposer « Sisco ». Le dossier du scénariste, qui vient d’être distingué par le 1er Prix Raymond Leblanc, plait alors beaucoup au jeune dessinateur, qui hésite cependant à accepter de s’y engager, au vu des contrats qu’il a en cours. L’accord du Lombard et le prestige de la collection «Troisième vague » où l’éditeur envisage de publier « Sisco » finissent par convaincre Tomas Legrain, qui vient de mettre la touche finale à  « Mortelle Riviera » et décide d’interrompre sa collaboration graphique sur « L’Agence » : « C’était un pari. « L’Agence » était sur une pente commerciale descendante et ses ventes n’avaient pas évolué comme nous le souhaitions.   J’ai décidé de prendre mon destin en main, d’arrêter de dessiner cette série pour me lancer dans « Sisco », qui, personnellement, me correspondait plus. Je jugeais le risque calculé au vu de la notoriété de la collection «Troisième vague ». »
Il faut dire que le protagoniste principal de « Sisco », un agent spécial très atypique, emballe d’emblée le dessinateur : « Ce type de personnage me correspondait. J’aime son caractère bien tranché, sa complexité et le fait qu’il ne soit pas un gentil. Personnellement, je trouvais qu’il y avait un véritable enjeu à amener le lecteur à avoir de la sympathie pour un homme qui n’hésite pas, dès les premières planches du premier album, à abattre un homme de sang- froid, sur ordre du président. C’est une sorte de grand méchant de la République, qui aurait pu très mal tourner mais a compris son intérêt à ne pas être du mauvais coté de la barrière. »
Car si Sisco aurait clairement pu devenir le bras armé d’un parrain mafieux, c’est aux cotés de la raison d’État française qu’il choisit de se ranger, en devenant garde du corps présidentiel. Ses deux premières enquêtes sont d’ailleurs inspirées d’affaires d’État s’étant déroulées sous François Mitterrand, à savoir le suicide de son conseiller François de Grossouvre et l’existence de sa fille cachée Mazarine Pingeot. Pour le troisième diptyque de la série, clôt par la récente parution de « Négociations en 9MM », les auteurs optent pourtant pour un changement de décor et déplace leur intrigue à New-York : « Nous avons eu envie d’élargir l’horizon de « Sisco », indique le jeune trentenaire, pour éviter de sombrer dans les intrigues franco-françaises. Nous avions déjà imaginé que le récit du deuxième diptyque pourrait se situer à l’étranger mais il était important d’ancrer le personnage dans sa réalité quotidienne. L’avantage avec Sisco, au vu de ses fonctions, est qu’il est facile de le faire voyager.  »
Entre mafia albanaise et services secrets américains, les auteurs plongent les lecteurs dans un thriller politique extrêmement réaliste que Thomas Legrain illustre avec beaucoup de justesse et de méticulosité.  Et si, à travers ces deux derniers tomes parus, le récit gagne en densité et spectacularité, la dimension personnelle n’en est pas pour autant négligé : « Nous sommes restés totalement centrés sur notre personnage principal, confirme Thomas Legrain. C’est, jusqu’à présent,  l’histoire la plus personnelle de Sisco. » Peu d’éléments restent pourtant dévoilés : « Nous ne comptons pas expliquer dans le détail toute l’enfance de Sisco, mais juste donner des pistes afin que le lecteur puisse se faire son propre avis. Nous ne portons d’ailleurs aucun jugement moral sur notre personnage. »
Laurent TURPIN
« Sisco » T.6 (« Négociations en 9MM » par Thomas Legrain et Benec
Éditions Le Lombard (12 €) – ISBN : 9782803631995