« Naissances de la Bande Dessinée » par Thierry Smolderen

Éditions Les Impressions nouvelles (29,50 euros)

Voici un livre pointu, et très documenté, qui nous semble vraiment important car il ambitionne de nous éclairer sur les diverses « Naissances de la Bande Dessinée », son auteur ayant particulièrement réfléchit sur les origines du 9e art : et cet aboutissement de vingt années de recherche méritait bien d’avoir l’honneur d’être notre dernière chronique de l’année 2009 !

D’autant plus que, devant les découvertes que nous propose ce beau livre au papier beige et assez épais, doté d’une très riche iconographie, le lecteur initié pourra se poser de nombreuses interrogations sur cette gestation et réfléchir à la spécificité de notre média favori. L’auteur, scénariste belge talentueux (« McCay », « Gipsy », « Ghost Money »…) et professeur à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême, planche depuis longtemps sur les précurseurs de la bande dessinée (quelques articles ont d’ailleurs déjà éclos sur ce sujet aux éditions L’An 2, dans la revue Neuvième Art ou sur le site coconino-world.com) et, ici, il fait, carrément, remonter les premiers développements de la bande dessinée moderne aux expériences graphiques, jusqu’alors « inclassables », du XVIIIe siècle et aux romans graphiques du XIXe siècle. Mais il ne s’agit pas, pour Thierry Smolderen, de savoir quand et avec qui est née la bande dessinée… Ce qui lui importe, en parlant de « naissances » au pluriel, c’est de savoir de quelle manière la bande dessinée est apparue, et dans quel fond visuel et littéraire elle a puisé.

Ainsi, il s’attarde tout d’abord sur les œuvres du peintre et graveur anglais William Hogarth (1697-1764) où notre respectable essayiste semble avoir trouvé « la première forme du roman en estampes » : ceci pour reprendre l’expression de Rodolphe Töpffer (qui, en ce qui nous concerne, reste « Le » créateur de la bande dessinée moderne puisqu’il a su user de procédés qui ont révolutionné notre perception de l’image), lorsqu’il commentait le travail du maître anglais ; et, en effet, Töpffer considérait bien les illustrations d’ Hogarth comme l’une de ses sources d’inspirations pour ses albums en images.

Thierry Smolderen tente alors de nous expliquer qu’« à chaque fois qu’un dessinateur, aujourd’hui, fait appel à des solutions issues d’un lointain passé, il s’inscrit dans la lignée d’Hogarth… », faisant référence à une conception fort ancienne où l’estampe se prêtait alors à différentes formes d’écriture et dont les auteurs actuels de bandes dessinées sont les héritiers quand ils parlent du dessin comme d’une écriture. Certes, nous rejoignons notre habile théoricien sur ce plan et acceptons tout à fait que ces « images qui se lisent », qu’elles soient d’Hogarth ou de son compatriote Thomas Rowlandson, aient certainement pu servir de point de départ pour d’autres travaux littéraires (dès leur création, elles ont su tisser des liens très étroits avec le genre naissant du roman moderne), musicaux (« A Rake’s Progress », c’est-à-dire « La Carrière d’un libertin » d’Hogarth, inspirera, par exemple, le compositeur Igor Stravinsky) ou « graphiques » ; dont ceux des futurs « bédéastes » que deviendront Cham, Caran d’Ache, Christophe, Adolf Oberländer, Wilhelm Bush, Richard Felton Outcault, Rudolf Dirks, Frederick Burr Opper, Winsor McCay… : des auteurs dont Thierry Smolderen montre aussi l’importance qu’ils ont eu pour la naissance du 9e art, surtout du fait de leur évolution dans la presse.

Mais de là à considérer ces images du siècle des Lumières comme de la bande dessinée, il n’y a qu’un pas que nous aurons quand même, pour notre part, beaucoup de difficultés à franchir ; même si, les exemples des ballades illustrées ou des pantomimes dues aux Anglais George Cruikshank, Thomas Onwhyn et Alfred Crowquill, à l’américain A. B. Frost ou aux Français Jean-Ignace-Isidore Gérard Grandville et Gustave Doré, où la narration est souvent portée par une suite d’anecdotes humoristiques, sont beaucoup plus explicites…

Tout le mérite de cet ouvrage est donc de lancer quelques pistes inédites, dont celles-ci, qui essayent de sortir à tout prix le 9e art du modèle de « Tintin » ; lequel, d’après Thierry Smolderen, « a cessé d’imposer son point de fuite unique au regard porté sur l’histoire du médium » : après, c’est à chacun de se faire sa propre interprétation et son propre avis sur la question…

Gilles RATIER

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