Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Manolis » par Antonin et Allain Glykos
L’expropriation, l’exclusion et plus généralement les diaporas sont des voyages contraints, des voyages vers l’inconnu, des voyages sans retour le plus souvent. Certains de ces déplacements involontaires sont plus connus que d’autres et celui des Grecs installés en territoire turc est, de fait, bien moins évoqué que celui des Arméniens. Pourtant, il s’agit d’une même réalité basée sur l’intolérance et le racisme, voire une volonté génocidaire…
 Tout se passe en 1922, du côté de Smyrne (l’Izmir d’aujourd’hui), mais il faut remonter à la Première Guerre mondiale pour comprendre ce qui va s’y passer. Le démantèlement de la Turquie (après la guerre, les alliés ont partagé la Turquie en plusieurs territoires) amène un certain Mustafa Kemal à vouloir reconquérir son pays et le conflit gréco-turc qui s’ensuit se solde par une défaite, celle des troupes grecques face à celles de Kemal, et surtout par des massacres et des expulsions massives des populations chrétiennes d’Anatolie. L’épisode est connu sous le nom de « Grande catastrophe ». Nous le découvrons ici par le truchement d’un enfant, le petit Manolis, né en 1915, et qui vit à Vourla, un village non loin de Smyrne. Manolis est grec et s’amusait jusque-là avec ses copains musulmans, juifs ou arméniens.
Non seulement, les Turcs expulsent les Grecs mais le traité de Lausanne, en 1923, établira un échange, celui d’1,6 million de Grecs vivant en Turquie contre environ 500 000 musulmans vivant en Grèce. Ils sont expulsés vers la mère patrie, une patrie exsangue après 14-18 et incapable financièrement d’accueillir cet afflux d’émigrés. Ceux qu’on dénomme « Micrasiates » (les grecs d’Asie Mineure) sont aussi considérés comme des étrangers par les leurs et leur intégration pose problème, ce qui poussera nombre d’entre eux à aller plus loin encore, vers le reste de l’Europe ou l’Amérique du Nord. Pour Manolis, l’itinéraire est tout d’abord plus familial. Séparé de sa famille et réfugié dans une famille d’accueil à Nauplie, il cherche avant tout à retrouver les siens, en Crète, mais finira par émigrer en France. L’histoire est adaptée du roman « Manolis de Vourla » (éditions de L’Escampette, 2005) qu’Allain Glykos a consacré à ses grands-parents et à ce gamin courageux et émouvant qui découvre le monde en découvrant l’immonde : la déportation massive, les massacres, et un génocide que, comme celui des Arméniens, la Turquie continue officiellement à nier.
Un petit mot encore sur Antonin qui réalise en noir et blanc une bande dessinée aux personnages bien campés, le tout au service d’une narration efficace et d’une histoire émouvante. Dommage que l’album n’aie pas repris les couleurs de ces planches empruntées au blog de l’auteur (http://antonin-d.blogspot.fr/).
 Alors, bon voyage.
 Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Manolis » par Antonin et Allain Glykos
Éditions Cambourakis (20 €) – ISBN : 978-2-36624-040-5