Un roman (bio)graphique sur Romy Schneider, cela devait arriver tôt ou tard, et notamment dans la collection 9 1/2 de l’éditeur, dédiée au cinéma… Le choix des auteurs s’est porté sur ses débuts, y compris son enfance — vite évoquée — avec la guerre en fond, et son entrée timide dans le cinéma, jusqu’aux premiers rôles. On croisera naturellement Alain Delon, presqu’inconnu alors que Romy est déjà célèbre après « Sissi » : la relation amoureuse et professionnelle avec le jeune acteur français est fondatrice, essentielle pour les deux. Un album à la mise en images sensible, juste, sans effets appuyés, mais aux couleurs très choisies selon les moments narrés. Un trait doux et bienveillant : connaissant sa fin tragique, ce n’est que justice.
Lire la suite...« Les Innocents coupables » T1 (« La Fuite »), T2 (« La Trahison ») et T3 (« La Liberté ») par Anlor et Laurent Galandon
Il fut un temps pas si lointain – de 1830 aux années 1940 – où l’Etat, désireux de se débarrasser des innombrables enfants gavroches issus de la balbutiante Révolution industrielle, préféra mettre les enfants indisciplinés et les adolescents dans des centres pénitentiaires. Ces véritables bagnes, sobrement baptisés « colonies agricoles » ou « maisons de rééducation », sont au cœur de la trilogie des « Innocents coupables », scénarisée par Laurent Galandon et dessinée par Anlor (pseudonyme d’Anne-Laure Bizot, dont c’est la première série) : dans l’ultime volume, « La Liberté », paru début mai 2013, les quatre principaux protagonistes tentent une action désespérée pour s’évader. Voila une fin de cycle au rythme enlevé !
Le sujet est d’une violence et d’une intensité dramatique rare mais a pourtant été très peu évoqué par le cinéma ou la bande dessinée jusqu’ici, qui auront généralement préféré aborder des cas d’évasions plus connus. Seuls, donc, les récits documentaires de Claude Gritti (« Les Enfants de l’Ile du Levant », éd. Jean-Claude Lattes, 1999) et de Pascale Moignoux (« Graine de bagnard », éd. Azalées, 2006), ou encore le récent « Enfants du malheur ! Les bagnes d’enfants » (republication du témoignage d’Henri Danjou, Manufacture de livres éd., 2012). Notons que ce dernier ouvrage offrait aux nouvelles générations de redécouvrir le terrible récit d’Henri Danjou et la révolte des enfants du bagne de Belle-Ile-en-Mer (Morbihan) en 1934, qui avaient inspiré un fameux poème à Jacques Prévert, « Chasse à l’enfant » (cf. la mise en chanson : http://www.youtube.com/watch?v=upyoX-MRsNk). Le scandale des bagnes pour enfants éclata précisément en 1934, au lendemain de l’évasion collective des enfants du bagne de Belle-Île. Avant de manger sa soupe dans un silence absolu, un enfant avait osé mordre dans un morceau de fromage. Il fut immédiatement roué de coups par les surveillants. Une émeute et une évasion collective s’ensuivirent. Les gens de l’île et les touristes, alléchés par une prime de 20 francs par tête d’enfant, aidèrent les autorités à les chercher. Les 56 enfants « mutins » furent tous retrouvés…. Mais la presse s’empara des faits.
Avec « Les Innocents coupables », Laurent Galandon et Anlor s’immiscent au fil des pages et derrière la couverture, entre les murs suintants et les âmes torturées. Comme le suggère le titre de la série, inscrit comme à la craie, les héros sont des condamnés et méritent en partie leur sort… mais pas la manière dont est appliquée la loi. L’oxymore du titre nous renvoie donc à l’antithèse du traditionnel récit du genre, où le « Présumé innocent » (film d’Alan J. Pakula, 1990), parfois « Fugitif » (A. Davis, 1993) ou évadé annoncé, n’en est pas moins responsable – au nom de la morale et devant la Justice – de ses actes délictueux. Les trois titres des albums induisent parfaitement ce cheminement phénoménologique entre la psychologie et la physique des corps : fuite, trahison et liberté, comme trois « changements d’états », du prisonnier vers l’homme libre…
Le récit de ces albums nous fait suivre les difficiles aventures vécus à partir de 1912 par quatre adolescents, Jean, Miguel, Adrien et Honoré, tous incarcérés en rase campagne dans une colonie pénitentiaire agricole nommée « Les Marronniers ». Comme un trait d’union entre les albums, trois détails insistent sur trois idées complémentaires : la souffrance des corps (visage amaigri sous la pluie, fuyard en habits déchiquetés et pieds nus, enfants sales au milieu de la nuit), l’eau salvatrice (pluie, rivière ou filet d’eau entre les pavés) et le vert, comme couleur symbolique de la chance, de l’évasion naturelle et donc de l’espoir. Visuellement, l’inspiration pour ces couvertures est directement cinématographique : comment ne pas songer en effet aux affiches ou photogrammes issus d’œuvres référentielles telles « Midnight Express » (Alan Parker, 1978), « Les Évadés » (Frank Darabont, 1994) ou « Papillon » (F. J. Schaffner, 1973) ?
Laurent Galandon et la dessinatrice Anlor ont accepté – et nous les en remercions vivement – de nous dévoiler en détails la genèse de ce projet et la lente maturation de ces visuels :
« Même si ce n’est pas nécessairement évident, la naissance d’une histoire se fait souvent pendant l’écriture d’une autre. Pour « Les Innocents coupables », l’idée m’est venue alors que je travaillais sur « L’Enfant maudit » (réalisé avec Arno Monin, collection Bamboo Grand Angle, 2009 – 2012), qui raconte la quête d’un jeune adulte abandonné à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de mes recherches documentaires, notamment sur les orphelinats, je suis tombé sur quelques textes concernant les colonies pénitentiaires agricoles. Antérieures à l’époque que je traitais, elles ont néanmoins éveillé ma curiosité : la graine était plantée. Parfois, elle reste en terre sans donner de pousse, d’autre fois, elle émerge au gré d’une nouvelle impulsion. L’actualité me l’a offerte : en effet, il était alors question de la réouverture des centres fermés (de détention) pour mineurs. Certes, il n’était pas question de comparer les différentes structures. Leurs conditions de naissance et le fonctionnement sont différents. Aussi, ai-je tenté de mettre, à travers un récit romanesque, un petit coup de projeteur sur les premières et leurs effets néfastes malgré les ambitions philanthropiques initiales préalables à leur création. »
« T1 – Pour la réalisation des couvertures de ce triptyque, nous avions en tête la construction du récit sur les 3 tomes : soit l’histoire racontant l’histoire de 4 adolescents qui se lient d’amitié dans un bagne pour mineurs au début du XXème siècle. Les deux premiers tomes aborderaient donc chacun le passé d’un des protagonistes, tandis que le 3ème tome nous plongerait dans le passé imbriqué des 2 autres héros.
Il nous fallait donc une couverture de T1 qui mette l’accent sur Jean, dont le passé est dévoilé dans ce premier opus. Le cadrage serré sur le visage s’imposait : la couv’ est venue facilement. C’est une image forte qui ramène aux films de prison : le visage tourné vers le ciel, la pluie (qui lave les blessures et l’âme), les yeux fermés sur ce monde de sévices et d’injustice. C’est l’évocation de l’univers carcéral avec un fond succinct, composé de barbelés et de briques. Le ton verdâtre (glauque, littéralement) baigne toute la série, il allait donc de soi qu’il imprégnerait aussi l’illustration de couverture.
Ce visuel est lui-même issu d’une case de l’album (page 42) où la pluie lave des enfants lors d’une punition au quartier disciplinaire. Le cadrage a quant à lui été hésitant, entre un 3/4 en contre-plongée, pour finalement s’imposer en profil, plus lisible et plus fort visuellement, avec une silhouette bien découpée sous une pluie battante.
T2 – Le second tome nous plonge plus profond dans les affres du bagne ! Il est plus sombre, et le désespoir guette nos quatre amis. Les plans échafaudés sont des échecs. Le ton durcit. Les sévices pleuvent…
Côté graphisme, le trait se tend, et l’encrage laisse plus de place aux noirs. Couleurs et textures sont plus sales et crasseuses pour suivre la descente aux enfers de nos héros.
Le détail imposé pour cette deuxième couverture était de représenter Miguel, personnage notablement abordé dans le scénario, qui est le plus ténébreux, le plus taiseux de la bande : un « visage taillé au couteau », comme le décrit le scénariste dans les premières descriptions données.
J’ai donc cherché un visuel cadrant Miguel et laissant transpirer les tourments abordés… La couverture a été difficile à trouver. Le consensus n’a pas coulé de source ; au vu des premières recherches, l’éditeur craignait que le visage trop dur de Miguel ne nuise à l’attrait de la couverture !
On a donc pris le parti d’éloigner le cadrage. L’aspect oppressant a été suggéré par l’angle de vue en plongée, qui indique que la fuite du héros semble ainsi hasardeuse et compromise, comme placée sous surveillance. La noirceur cerne le personnage (dynamique des rochers), allant jusqu’à barrer sa perspective de fuite (feuillages qui dévorent et bouchent l’horizon). Et, une fois encore, l’eau s’est finalement imposée comme élément majeur sur le visuel, puisque la traversée de la rivière abrite généralement les fuyards. L’eau verte, opaque, salvatrice peut-être ?
T3 – On a renoué avec la fluidité : l’idée est venue nettement plus facilement que pour le tome précédent, la nouvelle difficulté étant d’évoquer cette fois deux personnages au lieu d’un seul. Honoré et Adrien devaient donc partager la vedette, pour compléter la présentation du quatuor. Les tensions et conflits qui les animent au long du tome 3 pouvaient être un bon support, leur amitié aussi : quel parti choisir pour les représenter ? Les recherches ont abordé les deux tendances (rough 2 et rough 3 pour le conflit). Cet album étant le dernier, on a préféré choisir le visuel qui suggère leur réconciliation : ils s’épaulent donc mutuellement (rough 4).
Les pavés sur leur chemin sont de plus en plus épars, le sentier se disloque, l’issue ne sera donc pas évidente à trouver ! L’eau se devait d’être présente : la pluie a cessé, au profit de l’humidité ambiante. Les enfants sont rincés, mais les rigoles dans la boue indiquent la direction à suivre pour cheminer vers la sortie de l’enfer… L’eau salvatrice, et de trois ! »
Visage levé vers le ciel à la recherche de la rédemption, corps tendu vers la fuite, complicité lumineuse dans le sombre chemin de l’aventure, voici le parfait résumé du destin du bagnard romanesque (on ne peut que citer Jean Valjean selon Hugo). Entre récit populaire et appel à l’indignation sur un mode finalement semi-documentaire, la trilogie des « Innocents coupables » nous rappelle, de manière essentielle, qu’il aura fallu attendre la période 1945-1947 pour voir la suppression des bagnes d’enfants. C’est alors l’adoption de l’ordonnance de 1945, un texte qui privilégie les mesures éducatives à la sanction et institue une justice pour enfants régit par le principe de la main tendue. Si les enfants sont enfin sortis de l’enfer des bagnes, un long purgatoire les attend…
Philippe TOMBLAINE
« Les Innocents coupables » T1 (« La Fuite »), T2 (« La Trahison ») et T3 (« La Liberté ») par Anlor et Laurent Galandon
Éditions Bamboo Grand Angle 2011, 2012 et 2013 (13,90 €) :
ISBN : 978-2-8189-0315-5
ISBN : 978-2-8189-0903-4
ISBN : 978-2-8189-2319-1