COMIC BOOK HEBDO n°95 (31/10/2009)

Cette semaine, DAREDEVIL made in BRUBAKER : retour sur les deux derniers volumes parus.

Vous l’avez remarqué, non ? Bah oui… Ça s’agite beaucoup, chez Marvel, depuis quelque temps. Ça s’accélère. Ça tire un peu dans tous les sens, ça se dilate, ça s’excite, ça se révolutionne en un rien de temps. Adaptations au cinéma, création d’un studio propre, guerre civile, grand événement éditorial annuel chassant le précédent avec une dynamique étonnante, Hulk qui devient rouge, trois milliards d’équipes de Vengeurs (Puissants, Secrets, Nouveaux, de l’Initiative, à la plage, à la ferme…), Spider-Man qui repart à zéro ou presque : c’est une vraie enfant hyperactive que vient de racheter Disney (pour le meilleur ou pour le pire ?). Je ne dis surtout pas que cette agitation est forcément vaine, que cela n’amène rien, même s’il semble évident – et on peut le regretter – que Marvel veut aller plus vite que la musique et ne développe plus ses projets pourtant brillants dans le temps et la profondeur qu’il faudrait. Civil War, aussi fantastique qu’elle soit (j’adorrrre), avait un potentiel pouvant aller bien au-delà de ce qui a été exprimé. Et ne parlons même pas de L’Initiative qui s’avérait pourtant très intéressante dans le concept mais qui n’a pratiquement pas été développée. Quant à World War Hulk, si l’idée est génialement excitante, il reste après sa lecture comme un arrière-goût de rendez-vous manqué. Heureusement, Secret Invasion et Dark Reign amènent un peu plus de consistance, mais tout ça va si vite, n’allez pas si vite, hé, ho, moins vite, quoi ! Au milieu de tout cela, il y a une série qui construit une véritable et belle continuité, depuis des années. Elle évolue (et comment !) et tient compte du contexte Marvel général, mais en suivant sa propre lignée, prenant le temps de la consistance, de l’analyse, du rythme qui doit être le sien. Et ça fait du bien. Cette série, c’est Daredevil.
Les deux derniers albums de Daredevil sont encore une fois un pur régal, ayant la richesse des grands récits noirs, précis et ciselés dans un désespoir conscient, d’une grande beauté graphique et chromatique. Le scénario s’attache toujours autant à la psychologie des personnages et c’est tant mieux, car le terreau est en belle expansion. Avec les duos successifs Bendis/Maleev et Brubaker/Lark, Daredevil connaît tout simplement l’une de ses plus belles périodes depuis sa création, une sorte d’âge d’or moderne qui restera quoi qu’il arrive un futur classique incontournable. C’est rare, d’avoir une telle évidence à énoncer, sans le moindre recul, tellement cette réalité crève les yeux. L’âpreté du récit, les moments de terreur visuelle, l’acuité de l’introspection et l’esthétique noire réaliste de Daredevil restent à un niveau de qualité constante si haut que la série semble être en état de grâce depuis fin 2001. Une apogée de huit ans (et c’est pas fini), ça laisse rêveur… Et c’est merveilleux pour les lecteurs !

DAREDEVIL tome 16 : À CHACUN SON DÛ (éditions Panini Comics, 100% Marvel).

Dans de précédentes chroniques j’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette série, notamment par le passage de flambeau plus que réussi du duo mythique Bendis/Maleev à celui de Brubaker et Lark. Il semblait presque impossible de reprendre Daredevil après que Bendis l’ait poussée à ce point dans ses derniers retranchements tout comme il semblait plus que périlleux de passer après les visions sublimement noires ou solarisées de Maleev. Et pourtant… Ce ne sont plus les mêmes aux manettes, ça se sent, ça se reconnaît, mais Brubaker et Lark (peut-être parce qu’ils ont eux aussi une complicité de longue date dans les récits noirs) ont triomphé de tous les écueils pour nous offrir la plus belle continuité qui soit, en complète cohérence avec le postulat de Bendis, trouvant même dans l’esthétique de Lark un lien de parenté étroit avec celui de Maleev, sans rien singer, en restant intègre avec lui-même, dans sa respiration réaliste, noire et franche. Ce seizième volume est particulièrement riche en événements, et de tous ordres… Dieu que la vie de Murdock est compliquée ! Vous vous souvenez sûrement que Matt s’était évadé de prison et avait un peu pété les plombs en apprenant que Foggy était mort (même pas vrai), ce qui le mena en Europe, jusqu’à Vanessa Fisk et un beau coup de théâtre… Mais ça y est, Daredevil est de retour à Hell’s Kitchen. Et c’est pas beau à voir. Même si Iron Fist avait fait l’intérim pendant l’incarcération de Murdock, la loi du crime s’est néanmoins réorganisée – loin des yeux loin du cœur. Ça braque et ça flingue à nouveau. Il est temps que Daredevil redonne de la voix et fasse un peu de ménage, façon Batman. Mais il y a un hic. Ou plutôt une floppée de hics. Le hic, c’est que Melvin Potter, alias le Gladiateur, semble être redevenu une machine à tuer malgré ses dires déchirants et son attitude si compassionnelle. Le hic, c’est que Milla est pleine de doutes quant à sa réelle capacité à aimer un homme qui risque sa vie à chaque combat contre des super-dingues et autres dérangés à super-pouvoirs. Le hic, c’est que la petite fille chérie de la mafia, Lily Lucca, tourne un peu trop autour de Matt au goût de Milla. Le hic, c’est que Matt semble complètement paumé, malgré ses certitudes et ses combats légitimes. Le hic, c’est que… être Daredevil, c’est pas une vie. Et comme va nous le démontrer parfaitement le tome 17, ce n’est pas parce qu’on n’a pas peur que les choses s’arrangent, surtout après le drame qui clôt le présent volume…

DAREDEVIL tome 17 : SANS PEUR (éditions Panini Comics, 100% Marvel).

Un drame qui va avoir des répercussions dramatiques pour Matt mais aussi Milla… Vous pensiez que ça ne pouvait pas aller plus mal pour notre héros qui traversait déjà un enfer depuis des années ? Eh bien détrompez-vous, le Diable Rouge de la Cuisine de l’Enfer n’a jamais aussi bien porté son nom, car Murdock ne fait que tomber de Charybde en Scylla, sans que ce processus infernal semble vouloir s’arrêter un jour. Mais il ne lâche pas l’affaire. Tenace, l’animal. Je ne peux décemment pas vous expliquer le pourquoi du comment du récit sans en dévoiler toute l’intrigue, mais sachez qu’il sera question ici de prison dans l’entourage de Matt, d’un méchant très méchant prénommé Mister Fear (mon dieu, ce nom, qu’est-ce que ça craint…), de drogues hallucinogènes et de phéromones influents, des Exécuteurs qui reprennent du service avec un Ox toujours aussi massif, de l’ombre de Hood qui plane sur la ville, de souffrance, de l’ambivalence de Lily Lucca, de vengeance et d’actes vains. Un beau programme qui se déroule à un rythme soutenu, intense, dans une narration fluide et évidente, bien foutue, avec des cadrages souvent parfaits, donnant un intérêt aux scènes de baston. Le spectre de la prison, de la justice, de l’identité continuent de hanter la série, sans relâche, autant dans les scènes se passant au tribunal que lorsque les personnages se parlent à eux-mêmes, dans le silence de la nuit. Cela donne à l’ensemble une atmosphère très particulière, et qui finalement – si l’on y réfléchit bien – aura rarement été autant en corrélation avec la personne et la profession de Matt Murdock… L’album se dévore allègrement, avec grand plaisir, avec en ouverture l’épisode n°100 où Daredevil, sous l’effet d’une drogue, délire à plein pot, chaque hallucination étant dessinée par un artiste différent. Cela permet de rendre un bel et discret hommage au super-héros aveugle, ces artistes étant John Romita Sr, Al Milgrom, Gene Colan, Bill Sienkiewicz, Alex Maleev, Marko Djurdjevic et Lee Bermejo. Côté scénario, Brubaker continue d’explorer la psychologie des personnages avec volonté, distillant les choses dans une belle temporalité. Tout ceci devrait donc combler les nombreux fans de Daredevil qui frémissaient pour leur série. Notons enfin que ce mois-ci, aux États-Unis, est sorti le numéro 500 de Daredevil. En effet, il a été décidé de reprendre la numérotation originelle après le numéro 119 du volume 2, ce qui est un signe certain de l’importance de ce personnage au sein de l’univers Marvel : un vrai pilier qui, par le biais de nombreux artistes ô combien talentueux, a réussi à s’imposer par la richesse intrinsèque de sa nature, personnage emblématique, dramatique, au potentiel magnifique. Car faisons un effort et sortons-nous de l’habitude de lire les aventures de Daredevil. Revenons aux sensations premières, à l’idée avant le langage et l’expression, et recréons-nous cette image : quoi de plus fort, de plus poétique, effrayant, surnaturel, extraordinaire, intense, que cette vision d’un aveugle s’élançant dans le vide de la nuit, entre deux hauts immeubles ?

Cecil McKINLEY

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Une réponse à COMIC BOOK HEBDO n°95 (31/10/2009)

  1. Un bel article qui donne envie de se replonger dans la série…
    Pour ma part j’ai arrêté quand Bendis / Maleev ont arrêté, me disant que dorénavant ça n’a pourrait jamais être aussi bien.

    En revanche je suis loin de partager ton enthousiasme sur « Secret Invasion »… De la baston répétitive sur huit épisodes…

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