Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Carlisle » T1 (« Tasunka Witko ») par Laurent Seigneuret et Edouard Chevais-Deighton
Eduquer ces sauvages d’Indiens pour les intégrer à la civilisation américaine ? Il suffisait d’y penser, mais l’idée n’est pas nouvelle : c’est nature / culture. Il faut donc cultiver le naturel pour que l’Indien ne revienne pas au galop avec ses flèches et ses tipis, bref de leur « emprunter » leurs enfants, de les scolariser et d’en faire des indigènes assimilés. C’est ce qu’on va tenter de faire en Pennsylvanie, au XIXème siècle, dans l’Ecole industrielle de Carlisle…
 Un certain Richard Henry Pratt (1840 – 1924) est à l’origine du processus. Plutôt que de se battre contre les Cheyennes, les Comanches et autres Kiowas, autant leur inculquer les bonnes manières. Plutôt que de les emprisonner parce qu’ils ne respectent pas les engagements des réserves, autant les embrigader : ce n’est pas pareil ! En 1878, il imagine donc un pensionnat hors réserve destiné à l’éducation des Indiens avec, pour mission principale, leur inculquer le langage de l’homme blanc. C’est dans l’ex-caserne de Carlisle que démarrera l’expérimentation, difficile, chaotique, mais imitée, même au Canada.
C’est là qu’arrive Jonas, fils d’un pasteur renommé, fraîchement diplômé de Harvard. Il découvre la vie des pensionnaires, les règlements, notamment l’uniforme et les cheveux courts, ce qui les démarque d’emblée de leur identité indienne, comme l’obligation de ne plus parler leur langue. La vie y est quasi-militaire, de sorte que d’abord convaincu du bien-fondé éducatif de sa mission, Jonas voit ses idéaux s’ébranler au contact des élèves. Pourtant, les apprentissages sont nombreux et la valorisation des compétences sportives tout à fait encouragées (avec des équipes de football de haut niveau). Reste qu’à l’issue des années d’étude, les quelques 10 à 15 000 Indiens ainsi « déculturés » ne sont plus indiens et deviennent des étrangers dans leurs propres réserves. Mais les Américains voient toujours en eux des sauvages mal dégrossis ! « Tuer l’indien, mais sauver l’homme » disait Richard Henry Pratt, mais il a souvent tué les deux !
Dans l’album, Jonas, qui arrive dans cette école en 1903, est de ceux qui prennent leur parti, qui les défend, naïvement quelquefois car son rôle est incompris de part et d’autre. Jonas se heurte à Pratt, le pousse dans ses derniers retranchements, le temps de donner aux lecteurs un témoignage romancé de ces écoles, dont le deuxième volet ne manquera pas de compléter l’évocation (ce premier tome contient en outre un dossier de huit pages sur Carlisle). Un bon sujet, donc, qui ouvre (encore) les yeux sur le problème des identités culturelles, sur la colonisation et l’intolérance, voire la tentative d’éradication.
 Alors, bon voyage ! …
 Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Carlisle » T1 «(« Tasunka witko ») par Laurent Seigneuret et Edouard Chevais-Deighton
Éditions Grand-Angle (13,90 €) – ISBN : 978-2-81892-391-7