MARCEL LABRUME REFAIT DES SIENNES…

MARCEL LABRUME revient en force ce mois d’octobre 2009 avec la réédition intégrale de ses aventures et une exposition de planches originales. Ce sont les fans du grand MICHELUZZI qui vont être aux anges..!

MARCEL LABRUME (éditions Mosquito).

À l’occasion de la réédition de Marcel Labrume ce mois-ci aux éditions Mosquito, une exposition regroupant 15 planches originales de cette œuvre emblématique d’Attilio Micheluzzi se tiendra du 23 octobre au 20 novembre à la librairie Aaapoum Bapoum (14 rue Serpente Paris 6ème, M° Cluny ou St-Michel). Je vous conseille évidemment de vous rendre à cette librairie le vendredi 23 octobre à 19h00 pour le vernissage de l’expo, car outre le fait qu’il soit assez rare de pouvoir admirer les planches originales de Micheluzzi, le grand manitou des éditions Mosquito (j’ai nommé Michel Jans) sera présent afin de parler de l’artiste et de l’œuvre exposés. Lorsque l’on connaît le véritable amour de la bande dessinée de cet éditeur impeccable, on se dit que ce vernissage s’annonce fort alléchant, avec de nombreuses discussions possibles dans l’échange des passions. Et si vous ne connaissez pas l’art de Micheluzzi, voici une belle occasion qui s’offre à vous de découvrir le talent de ce grand maître italien du noir et blanc.

Ceux qui comme moi ne sont pas très portés sur les récits de guerre ne doivent aucun cas reculer devant le présent album, au contraire !!! Il découvriront avec étonnement combien Micheluzzi a réussi à traiter d’un sujet historique avec autant de documentation rigoureuse que de décalage sémantique, nous offrant une œuvre forte, en mouvement, plus étrange qu’il n’y paraît. Je m’explique. Les pérégrinations de Marcel Labrume, journaliste à la morale plus que douteuse, se déroulent grosso modo entre 1940 et 1942 ; l’Europe se noie alors dans des conflits qui finissent par déborder en Afrique du Nord. C’est précisément au Liban que nous rencontrons Marcel Labrume, dont la vie va basculer à cause d’une femme et du contexte inextricable de la guerre. Créé en 1980 par Attilio Micheluzzi dans la revue Alter Alter, le personnage de Marcel Labrume eut droit à deux albums (Que tu es beau Marcel, t’es un salaud Marcel et À la recherche des guerres perdues) qu’avaient publié en France les Humanoïdes associés dès 1983. Pourtant, même si Marcel Labrume fut récompensé par un Alfred du meilleur album à Angoulême en 1984, il avait fini par disparaître petit à petit des bacs de nos libraires. Épuisé, le Marcel. Voilà presque 25 ans qu’on ne croisait plus sa gueule en librairie. Ou alors bien cachée. À l’ombre. Comme, quoi, les Alfred, les Awards, les récompenses (hé ! t’as l’bonjour d’Alfred !)… Heureusement, les excellentes éditions Mosquito (qui fêtent cette année leurs 20 ans d’existence, bravo !) viennent de mettre un terme à ce silence éditorial en éditant un album regroupant les deux histoires en un même et beau volume, dans une traduction et une gravure nouvelles. Et c’est sublime. Qualité de rendu des noirs, belle opacité du papier pour les blancs; en synthèse, une belle restauration de l’œuvre. Mais je reviens à cette histoire de sémantique, qui s’applique essentiellement sur la première histoire. Ce qu’il y a d’extraordinaire, dans ce premier récit, avant même de parler de la beauté des dessins et des noirs, de l’efficacité du rythme et de la narration, c’est la nature même de ce récit. On y parle de guerre. Ça se passe pendant la guerre. Tout ce que l’on voit a un rapport avec la guerre. Et chaque événement découle directement de la guerre. Et pourtant, Micheluzzi a écrit et dessiné ce récit de guerre comme un polar, ça crève les yeux. Un vrai, un bon, un pur polar. Marcel Labrume parle de guerre mais est tout sauf un récit de guerre, avec pourtant chaque détail de costume ou de véhicule dessiné avec force documentation. La guerre ? On y est plongé, jusqu’au cou ; et pourtant elle n’est que le décor. Rien de plus. Le vrai sujet, la vraie atmosphère est ailleurs. Dans le film noir. Le polar. Polar décadent, en plus. Nous sommes plus dans Coup de torchon que dans Paris brûle-t-il ?… Vous me direz que je me trompe, que l’atmosphère est guerrière et historique ; bah non. L’atmosphère, l’ambiance, les éclairages, le glamour, le héros mauvais garçon et la pépée blonde qui surgit de derrière ses bijoux, l’alcool et les clopes, le sexe, les flingues et les coups fourrés… Tout respire le polar. Jusqu’aux cadrages, au noir et blanc, à la musique d’un club huppé et louche, le graphisme et la mise en pages qui rappellent souvent quelques joyaux de l’âge d’or du genre noir. Et, de ce point de vue seulement, cette œuvre vaut déjà d’être lue et relue. Les amateurs de petits soldats risquent d’être bien déçus… Ceux de Chandler devraient y retrouver leurs petits. Cette sorte de « décalage qui n’en serait pas un » au sein du récit fait du premier Marcel Labrume un pur chef-d’œuvre narratif, empruntant tous les codes d’un genre en les intégrant dans l’univers d’un autre, et en en tirant tout autre chose encore ! Puisqu’avant tout, avant la guerre et le polar, il y a Marcel. Marcel Labrume, ou Radiothérapie de la perversité du héros mythique

Ouais, c’est vrai que c’est un salaud, ce Marcel. Égoïste, opportuniste, grossier, violent… Apparemment, Micheluzzi voulait justement exprimer l’ambivalence que peut contenir un héros, et jouer sur le phénomène attirance/répulsion des lecteurs. De toute façon, le titre du premier récit, Que tu es beau Marcel, t’es un salaud Marcel, est sans équivoque sur ce point… Sorte d’incarnation du beau dégueulasse, du salaud qui fait craquer les poules, du pauv’ mec qui continue d’intriguer, Marcel est un salaud, c’est le slogan, mais il n’est pas le seul, et ça on le dit moins. Marcel, le salaud de l’histoire ? Mais alors que dire de chacun des personnages de cette bande dessinée ? L’humanité y est peu reluisante (doux euphémisme), loin de là… Des salauds, des salopes, des lâches, des ordures, et, si, parfois, dans un lointain écho muet, une lumière. Mais quelle importance ? La réalité de la guerre a engendré un bourbier mental et stratégique, avec un Liban où s’affrontent entre autres : Italiens, Anglais, Français, Arabes, gestapo, services secrets allemands, tribus dissidentes et toute une ribambelle de meurtriers, aventuriers et autres agréables machines à tuer. Sympa, hein ? Marcel Labrume, c’est l’itinéraire d’un type sans scrupules et qui s’en fout. La guerre, la mort, peu importe, il avance et sait ce qu’il veut, même quand plus personne ne sait. Il veut être Marcel Labrume. Cette œuvre révèle sans concessions et sans effets faciles ce que peut être le cheminement d’un être de cette sorte, comme il y en a un certain nombre, eux qui font aussi basculer l’humanité dans l’horreur, par répercussions multipliées… La forme du polar renforce aussi ce décalage, entre l’articulation personnelle d’une existence et la marche du monde. Micheluzzi semble ici nous dire : « Vous voulez comprendre la guerre ? Alors regardez l’homme. » C’est une œuvre sur ceux qui ne font d’autre choix qu’eux-mêmes, regardant le monde s’écrouler autour d’eux sans que leur petite moue cynique ne disparaisse de leur visage. Le second récit (À la recherche des guerres perdues) quitte l’ambiance polar pour revenir à un récit de guerre aventureuse plus classique, ne formant pas vraiment un diptyque avec la première histoire, mais plutôt une « tranche de vie retrouvée » de notre sale héros. Même si cette histoire est rondement ficelée et offre de nombreux bons moments de lecture, on ne pourra s’empêcher de préférer peut-être la première, plus courte mais très intense, plus dense, plus décalée, très puissante au niveau des contrastes et des ellipses, contenant des images dont la beauté du noir et blanc transcende tout. D’une manière générale, on ne pourra qu’admirer le très haut niveau de travail du noir et blanc de cet artiste. C’est tout simplement magnifique. Comme le dit justement Michel Jans dans son avant-propos, la touche de Micheluzzi est efficace sans être mécanique, dans un système graphique qui serait sans vie. Au contraire… Regardez les rayures de certaines robes, de certains costumes. Voyez comme le pinceau est libre, comme le trait se laisse aller à respirer plutôt qu’à ornementer. Au gré des pages, on s’arrêtera souvent pour admirer ces cases où Micheluzzi a poussé l’art du noir et blanc jusqu’à représenter simplement les choses par masses et vides, comme ont pu le faire Caniff ou Pratt. L’album regorge d’images si sublimement réalisées qu’on peut en jouir esthétiquement à l’infini. Que dire de plus, sinon que l’album est en lui-même tout simplement beau, et que je vous conseille de le lire ? Bonne lecture, donc…

Cecil McKinley

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