Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine? : ? La Princesse du sang T.1 ? par Max Cabanes, Jean-Patrick Manchette et Doug Headline, ? Amitiétroite ? par Bastien Vivès et ? Léna et les trois femmes ? par André Juillard et Pierre Christin.
- ? La Princesse du sang T.1 ? par Max Cabanes, Jean-Patrick Manchette et Doug Headline – Éditions Dupuis (15,50 Euros)
Nous sommes en 1950, sur une plage de l’Atlantique. La tentative de kidnapping d’une petite fille tourne au massacre et l’unique survivant de ce sanglant affrontement disparaît en emmenant l’enfant prénommée Alba. Puis, on se retrouve en 1956, quand la jeune photographe de guerre Ivory Pearl, connue pour ses reportages violents sur les champs de bataille et pour son mépris du danger, vient passer le réveillon en Normandie chez son protecteur, ancien officier de la Royal Air Force et surtout pivot de l’Intelligence Service. Fatiguée, elle lui annonce qu’elle a décidé de passer l’année dans un endroit isolé pour fuir la civilisation et se reposer en photographiant la nature. Son vieil ami dirige alors son choix vers la Sierra Maestria, à Cuba. Et voilà, la belle Ivy impliquée, à son insu, dans une opération des services du contre-espionnage français visant à mettre hors course un trafiquant d’armes international. Or, ce dernier n’est autre que l’oncle d’Alba, et c’est lui qui avait commandité l’enlèvement de sa nièce six ans plus tôt…. Il s’agit, en fait, de l’ultime roman (inachevé) de Jean-Patrick Manchette : l’un des maîtres français de la littérature noire. Á partir des notes de son père, le scénariste et cinéaste Doug Headline a reconstitué la trame de ces extraordinaires aventures mêlant aventure, polar, action et géopolitique. Et il faut bien dire que Max Cabanes, que l’on n’attendait pas forcément sur cet univers qui semble bien éloigné de ses « Colin-Maillard » ou de ses « Dans les villages » (même s’il avait déjà illustré brillamment certains thrillers comme « Bellagamba » de Patrick Cauvin), fait un travail remarquable. Il réussit à dynamiser merveilleusement le récit avec un dessin puissant et racé, tout en imposant d’emblée son style graphique : ce qui est la marque des plus grands !
- ? Amitiétroite ? par Bastien Vivès – Éditions Casterman (16 Euros)
Deux lycéens, deux amis : la belle et futile Francesca qui vous séduit au premier clin d’œil et ce grand échalas de Bruno qui, lui, galère sérieux quand il veut emballer. Comme tous les jeunes gens de leur génération, leur vie sentimentale et sexuelle est très libre : ils passent, sans états d’âme, d’un partenaire à un autre et se racontent ensuite leurs « exploits ». Mais voilà, leur connivence sensuelle ressemble à l’une de ces nombreuses amitiés tellement ambiguës entre une fille et un garçon. D’autant plus que s’ils finissent toujours par écouter, d’une oreille bienveillante, leurs frustrations, quand l’un trouve enfin l’âme sœur, l’autre commence à être jaloux et à souffrir de son absence… Il est clair que, comme il l’a récemment démontré avec l’étonnant « Le Goût du chlore » ou avec le non moins intéressant « Dans mes yeux », Bastien Vivès s’intéresse aux choses de l’amour, réussissant souvent à trouver un juste équilibre entre l’intime, l’émotion et le désir. L’authenticité de son propos et certainement ce qu’il y a de plus intéressant même s’il s’intéresse enfin plus précisément à la psychologie de ses personnages. Côté graphique, il met toujours l’accent sur la gestuelle et le mouvement des corps en jouant sur les couleurs floues ou « flashies », ceci afin de mieux faire disparaître traits et contours, avec une science des cadrages et du découpage assez remarquable : surtout dans la longue et belle scène d’amour en caméra fixe qui est narrativement fort réussie. Une preuve de plus que le génie de ce jeune et sensible auteur, qui a quand même trop tendance à se cantonner dans les explorations intimes, se retrouve surtout dans son indéniable talent de metteur en scène, lequel nous permet d’éviter l’ennui des habituelles bluettes entre ados boutonneux !
- ? Léna et les trois femmes ? par André Juillard et Pierre Christin – Éditions Dargaud (14,50 Euros)
Trois ans après « Le Long voyage de Léna », le très documenté scénariste Pierre Christin et l’élégant dessinateur André Julliard reprennent leur personnage de très belle femme brune et solitaire, traumatisée par la mort de sa famille lors d’un attentat, et qui, pour ne pas tomber dans la déprime, joue à l’espionne. Après avoir participé avec réussite à une mission d’infiltration, elle a refait sa vie en Australie, mais elle s’ennuie. Or, les services secrets français vont lui donner l’occasion de se replonger dans la violence humaine avec une nouvelle mission. Il s’agit d’infiltrer un réseau terroriste et d’entraîner trois jeunes femmes vouées au martyre… Dans ce second tome, moins de déplacements (même si on passe des tractations en Géorgie aux camps d’entraînement dans le désert du Sahel, en finissant par Paris, la cible de l’attentat kamikaze) et moins de langueur (alors que l’intrigante Léna laisse toujours, régulièrement, son esprit vagabonder) ; mais plus d’actions, lesquelles sont toutefois atténuées par de longs récitatifs et monologues intérieurs surmontant les splendides dessins minutieux et mélancoliques d’André Juillard : à noter que ces derniers sont actuellement exposés à Paris, à la galerie Christian Desbois, jusqu’au 24 octobre. En résumé : un traitement du terrorisme intelligent et très convaincant réalisé par Pierre Christin, lui-même féru de géopolitique et grand bourlingueur devant l’éternel ! Il nous offre ici, outre un superbe portrait de femme, un voyage insolite et romantique où se connectent, bien loin de tous les clichés, les mouvances actuelles de la fournaise islamiste.
Gilles RATIER