« Captain Britain : la fin du monde » par Alan Davis et Alan Moore

Au sein de la dichotomie de Panini (entre des rééditions souvent abusives et des manquements inacceptables), voici une réédition légitime et bienvenue : celle des épisodes de « Captain Britain » réalisés par les deux Alan, Moore et Davis. Depuis sa parution en cartonné en 2006, cet album était devenu un peu rare (et cher chez certains revendeurs). Cette réédition en souple constitue donc une excellente opportunité de lire cette œuvre de haute volée si vous ne la connaissiez pas encore…

Je profite de cet article pour vous dire, chers lecteurs, combien je regrette que les super-héros Marvel se soient à ce point raréfiés avec le temps dans cette chronique hebdomadaire dédiée aux comics… C’est plus une conséquence malheureuse de la médiocrité éditoriale de Panini Comics qu’une volonté de ma part, bien sûr… Comme pour beaucoup d’entre vous, les super-héros Marvel sont pour moi une vraie madeleine de Proust, mon imaginaire d’adolescent ayant été fortement marqué par les titres des éditions Lug dans les années 70… Le temps passant, cette passion ne s’est pas éteinte, loin de là, vibrant à nouveau dans la première décennie des années 2000 via « Marvel Knights », « Civil War » & co… Entre un patrimoine qui tarde vraiment à se concrétiser et des choix d’œuvres actuelles qui manquent cruellement de talent sur le fond comme sur la forme, les albums réellement intéressants proposés par Panini Comics sont devenus peau de chagrin. Récemment, par exemple, j’aurais aimé chroniquer le « Black Widow » de Sean Phillips et Sienkiewicz (deux artistes que j’adore), mais – horreur et damnation – esthétiquement c’est une catastrophe, si hideux et maladroit que ça ne donne même pas envie de se plonger dans l’ouvrage… Néanmoins, je vous promets de redoubler d’attention pour traquer les rares albums dignes de ce nom qui sortiront afin de consacrer plus d’articles à Marvel dorénavant. C’est pas gagné, mais c’est promis. Je vous parlerai d’ailleurs bientôt de Spider-Man et des Avengers… Mais pour le moment, revenons au « Captain Britain » de Moore et Davis, une perle à ne manquer sous aucun prétexte !

 

Avec cet album, nous replongeons dans la première moitié des années 80, lorsqu’Alan Moore « se faisait encore la main » sur des séries super-héroïques avant d’entamer les œuvres qui allaient le hisser tout en haut du panthéon des auteurs britanniques ayant révolutionné l’histoire contemporaine des comics. Pour Marvel UK (filiale de Marvel USA en Grande-Bretagne), Alan Moore s’attaqua à un super-héros typiquement british mais parfaitement intégré à l’univers US des comics. Équivalent symbolique – surtout dans le costume – de Captain America, Brian Braddock incarne la grandeur de l’Angleterre, son esprit chevaleresque et magique, directement liée aux mythes arthuriens, Merlin en tête. Même si le contexte anglais est fortement utilisé par Moore dans ces récits, celui-ci n’a cependant pas cloisonné le contexte, faisant apparaître çà et là certaines figures américaines bien connues des fans : Arcade, Sebastian Shaw ou Peter Gyrich, par exemple… Moore profite de son passage sur la série pour rattacher une spécificité anglaise forte à la grosse machinerie américaine sans pour autant pervertir l’essence du personnage et de la série. Il en ressort une vraie puissance, une cohérence, donnant au personnage une importance salutaire, possédant son histoire, sa mythologie, et n’ayant rien à envier à ses cousins d’outre-Atlantique tout en ne se coupant d’eux.

 

Le ton de Moore y est incisif, le récit haletant, intense, l’écriture est belle et redoutablement efficace. Ainsi, dès la première planche, les trois premières cases contiennent assez d’éléments pour installer parfaitement le contexte, nous plongeant immédiatement dans l’ampleur du récit. Par la suite, Moore reste opiniâtre et percutant dans ses propos, alliant tragédie et action avec le talent qu’on lui connaît. Graphiquement, c’est une petite merveille : les dessins d’Alan Davis sont vertigineux, engendrant de sublimes et terribles visions qui transcendent littéralement le scénario. Coup de maître : la représentation de Fury le cybiote (créature faite de chair et de métal) dont chaque apparition est un chef-d’œuvre de dessin, alliance entre la terreur visuelle d’un golem moderne et celle d’une machine à tuer. C’est sublime, tout simplement ; l’un des plus beaux méchants de toute l’histoire des comics car effrayant au possible… De bout en bout, Alan Davis nous offre du grand art, à la fois complexe et lisible, sachant se nuancer sans rien perdre de son style admirable. C’est beau, c’est fort, c’est à admirer sans fin, sorte de rencontre réussie entre un Bolland et un Bolton.

 

Dans ces histoires, Captain Britain va devoir affronter une menace si grande qu’elle pourrait signer la fin du monde, d’un monde. Le ton est très adulte, assez anxiogène, avec une Angleterre prête à basculer dans le totalitarisme anti-super-héros. Une thématique chère à Moore, qu’il développera et déclinera par la suite avec le succès qu’on sait. Dès le départ, Moore investit le personnage de Captain Britain sous le sceau de la tragédie et de la folie, ne ménageant pas le super-héros en lui faisant vivre d’horribles choses où il ne serait que le jouet inconscient d’un Merlin très ambigu dans ses actes et ses paroles. Entre mondes parallèles et menaces fascistes, la série prend d’elle-même une amplitude et une profondeur qui en font une réussite absolue, passionnante à lire et superbe à voir. Au-delà des fans de Moore (qui ne peuvent passer à côté de ce comic historique), cet album ne pourra que ravir les fans de vrais, de bons, de beaux récits super-héroïques marveliens. God save the Queen.

Cecil McKINLEY

« Captain Britain : la fin du monde » par Alan Davis et Alan Moore Éditions Panini Comics (16,30€) – ISBN : 978-2-8094-3014-1

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8 réponses à « Captain Britain : la fin du monde » par Alan Davis et Alan Moore

  1. Renaud045 dit :

    Bonjour Cécil

    Un bien bel album en effet que je possède en hard cover, je ne supporte pas les souples Panini, même si je reconnais qu’au niveau du budget, essentiel aujourd’hui, un prix modique pour cette oeuvre est un plus incontestable. Quelle belle équipe aux manettes. Un scénariste encore « compréhensible » pour l’ensemble des lecteurs et un Alan DAVIS encore un peu hésitant, et qui deviendra quelques années plus tard un des dessinateurs les plus classe de Marvel, un dessin tout en rondeur, un mélange de Neal Adams, Frazetta et de Wallace Wood. Bref une oeuvre de jeunesse qui vaut bien plus que la prod actuelle Marvel. A ce prix là c’est donné. A noter que Panini ressort en souple « guerres secrètes », pas le chef d’ oeuvre du siècle, mais pour 4 euros de plus qu’un Lombard de 44 pages c’est un bon rapport qualité / prix.
    Pour en revenir à Panini, c’est pas pour critiquer ( ahhh leur nouveau relunch au numéro 1 cet été m’a fait bien rire…jaune) j’ai noté l’annonce en Marvel Classic kiosque la prochaine parution des Warlock de Kane puis Starlin. Magnifique initiative que je m’empresse de faucher d’une balayette bien placée. Pourquoi pas un DELUXE pour l’oeuvre de STARLIN !!! Y a tant de m…. oups, pardon qui sortent en Deluxe. Il y a déjà 80 Deluxe de sorti ( à 30 euros pièce, faites le compte) et allez, 1/3 d’acceptable…

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Renaud,
      Merci de votre commentaire.
      Je partage votre ressenti sur le « Captain Britain », autant pour Moore que pour Davis.
      « Guerres secrètes », ça reste bien sûr un jalon important – qui a un peu mal vieilli mais qui m’avait fait délirer à l’époque!
      Les « Warlock » de Kane puis Starlin: que du bon.
      Quant à la pléthore de Deluxe et l’intérêt très relatif de la plupart d’entre eux… No comment (après on va dire que je m’acharne).
      Bien à vous,

      Cecil McKinley

  2. Cher Monsieur McKinley, quand vous écrivez « C’est plus une conséquence malheureuse de la médiocrité éditoriale de Panini Comic…. », comment expliquez vous cette médiocrité? Ils ont accés à l’ensemble du catalogue Marvel passé, résent et à venir, fournissent prés de vingt revues par mois… Ne peuvent ils selectionner ce qui mériterait de faire l’objet d’albums? Ou pensent ils que les amateurs de comics français préferent la médiocrité?

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour François,
      Merci de votre commentaire.

      Quant à votre question… Eh bien… Que dire? Bien sûr, il y a les décisions en amont des éditeurs américains (devenus des grands groupes, avec Disney et Warner en ce qui concerne Marvel et DC) qui peuvent vouloir qu’un éditeur étranger édite certaines choses en priorité. Mais cela n’explique pas tout. Au-delà de certaines « obligations », il n’en reste pas moins qu’un éditeur peut tout de même choisir d’éditer certaines choses ou non.

      Le problème, c’est que Panini n’est pas un éditeur, mais un grand groupe qui a fait fortune en vendant des autocollants, et que ce groupe a un jour décidé de se payer un beau jouet, quelque chose qui serait à la fois bon pour les finances et bon pour l’image de marque: c’est vrai que devenir l’éditeur de Marvel, avoir Spider-Man et les X-Men dans son catalogue, ça a de la gueule.

      Le problème, donc, c’est que Panini n’est pas un éditeur mais un vendeur d’autocollants qui veut jouer à l’éditeur, croyant qu’être éditeur c’est imprimer des pages qu’on assemble sous une couverture. Donc Panini édite, édite, édite, mais sans aucune vraie vision éditoriale. Un éditeur, ce n’est pas un fabricant de livres, c’est avant tout un œil, une vision, une volonté de transmettre passionnément… tout en gagnant assez d’argent pour rentrer dans ses frais et gagner sa vie. Mais il semblerait que Panini ait pris cette équation à l’envers. Le fric avant, et la vision… même pas après, puisque finalement ils n’ont aucune vision, aucune ligne éditoriale. Le foutoir et les doublons incohérents sont bien la preuve de ce mercantilisme très éloigné du vrai métier d’éditeur: les lecteurs ne sont devenus que des acheteurs, pris en otages dans des achats répétés pour tenter d’avoir une œuvre en son entier. Ils commencent tout et ne finissent rien, et avant d’avoir fini relancent le titre dans un autre format qui… n’ira peut-être même pas jusqu’à terme, pouvant être relancer dans un troisième format… Même leurs publications en kiosque viennent parasiter l’édition cohérente d’œuvres (on l’a vu récemment avec les X-Men et le Fauve, ou bien les « X-Men Classic » reprenant ce qu’ils avaient déjà édité en Intégrales, Intégrales qu’ils rééditent maintenant en éditions soi-disant « anniversaire » ne comprenant aucune avancée légitimant un nouvel achat…

      Bref, je pense que vous m’avez compris. Panini s’est arrêté à un volume de l’intégrale « Sandman », laissant les lecteurs sur le carreau alors qu’ils avaient encore du temps pour le faire, ou bien ont attendu trois ans pour annoncer le « Daredevil » de Bendis et Maleev en Deluxe après avoir édité les trois premiers en un an: où respecte-t-on le lecteur? Surtout quand ce « DD » est déjà édité par eux en intégralité en 100% Marvel. Et puis ces albums « Best of », des simili-Deluxe qui proposent des épisodes de séries qui finiront par se retrouver réédités dans des Intégrales (je pense aux Fantastic Four, notamment).

      Je pourrai continuer d’accumuler les exemples de ce foutage de gueule intégral qu’est Panini Comics, mais à partir du moment où on a compris le principe, cela s’avère inutile et fatigant…
      Si, on pourrait aussi ajouter le fait qu’il n’y a aucune relecture digne de ce nom, et des choix de traducteurs parfois effarants. Et qu’enfin ils font des choix au sein du catalogue qui ne sont pas les plus intéressants de ce qui sort aux States, loin de là; il suffit de voir les derniers titres parus depuis deux-trois ans… Ça donne franchement pas envie.

      Bref, sur toute la chaîne c’est vraiment merdique… Une vraie blessure pour les « enfants de Strange » dont je fais partie et qui avaient toujours rêvé d’avoir un jour toutes ces merveilles convenablement éditées, en beaux albums rendant justice à ces œuvres qui ont nourri l’imaginaire de tant de lecteurs…

      Bien à vous,

      Cecil McKinley

  3. Michel Dartay dit :

    Bonsoir Cecil. Tout d’abord, bravo pour vos articles éclairés sur les comics. Ceci dit, je reste assez stupéfait par votre dernier message, car la critique BD est généralement élogieuse et enthousiaste, et là, vous avez taillé un joli costume sur mesure à l’éditeur paninien. En gros, vous écrivez sans complexe… ce que je pense tout bas (car j’ai beaucoup d’amis qui adorent les comics… ou qui gagnent leur vie en travaillant dessus, excusez-moi).
    Je connais assez bien le monde du comics, j’ai longtemps participé à la revue française Scarce. Après, j’ai essayé de développer une activité commerciale sur la BD et les comics, et là, j’ai pu ressentir (en discutant avec des centaines de clients, ou en travaillant sur une base régulière avec leur diffuseur exclusif, puis limité aux librairies Comics: son nom commence par Mak!), ou constater certaines aberrations: sans entrer dans le détail, je suis stupéfait que des titres de séries comme l’excellent Preacher (Vertigo, Ennis et Dillon) ou New X-Men (scénario de Grant Morrison, dessinateurs variés) soient restés épuisés si longtemps. Quand on travaille sur des licences connues à l’échelle mondiale, la moindre des choses est d’en proposer la disponibilité en permanence (à moins que l’on ne veuille alimenter le phénomène de la spéculation, ou éviter de gérer des stocks. C’est peut-être un vieux reflexe pour celui qui vend à l’unité sur le net dés cartes de footballers).
    Aujourd’hui, les super-héros Marvel sont à la mode, comme en témoigne le succès de leurs films en salles. Il ne reste qu’à espérer qu’un éditeur professionnel ne reprenne la licence. Et si c’était Hachette, qui a toujours eu des liens historiques avec Disney? Il suffit de voir le succès des ventes de séries DC depuis leur reprise par Urban Comics pour voir qu’il y a du potentiel.

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Michel,
      Merci de votre commentaire, et ravi que cela vienne d’un collaborateur de « Scarce », revue emblématique s’il en est.
      Tout d’abord, ne vous excusez pas d’avoir des amis qui travaillent dans le monde des comics ou qui aiment ces publications, je pense que nous sommes tous deux dans ce cas.

      Ensuite, même si mon coup de gueule vous a « stupéfait », je vois en vous lisant que vous n’en pensez pas moins, et si j’ai écrit des choses tout haut que d’autres pensent tout bas, alors cela n’est pas négatif. Vous-même avez déjà constaté de pareils retours dans votre entourage plus ou moins proches, et vous déplorez – à juste titre – des aberrations qui vous titillent. Vous parlez de « Preacher » et de « New X-Men », c’est vrai, mais on pourrait ajouter d’autres nombreux exemples, comme des Intégrales inexistantes et pourtant nécessaires (je pense à « Daredevil » dont on n’a publié que la période Miller, ou bien « Hulk » qui est resté sur le carreau, et l’on ajoutera à cela l’absence de « Captain Marvel » ou de « Doctor Strange », par exemple, qui ont quand même été dessinés par de très grands artistes).

      Si vous suivez ma chronique, vous devez savoir que j’aborde celle-ci comme un espace où donner envie de lire et non pas comme un défouloir de critique acerbe, histoire de faire le buzz ou de briller par mon cynisme. Pousser un coup de gueule ne m’amuse pas du tout, je préférerais consacrer ce temps et cette énergie à des choses plus positives. Mais parfois trop c’est trop, et il y a des choses qu’on ne peut passer sous silence, si l’on reste intègre et passionné. Ainsi, l’optique « éditoriale » de Panini est bel et bien une catastrophe, et c’est bien par déception que j’en arrive à écrire ce genre de choses – que beaucoup pensent tout bas, effectivement, je suis loin d’être un cas isolé. Car, comme je l’ai déjà dit, je suis de la génération « Strange », et je n’aurais demandé que ça, à jouir de beaux albums Marvel en VF, ce qui n’est malheureusement pas le cas…
      Je ne sais pas si Hachette serait le repreneur idéal de la licence Marvel, mais j’espère qu’un jour une structure passionnée et sérieuse reprendra le flambeau… En attendant, chialons un bon coup et reprenons-nous à espérer!

      Bien à vous, cher Michel.

      Cecil McKinley

  4. Tout est dit !

    (je tenais à le dire !)

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