« Master Keaton » T1 par Naoki Urasawa

La série « Master Keaton » date un peu, cela se sent. Ce n’est pas le Naoki Urasawa que nous avons découvert avec « Monster » ou « 20th Century Boy ». Cette œuvre de jeunesse est aujourd’hui éditée en France chez Kana. Alors qu’au Japon, elle vient de reprendre sous le nom de « Master Keaton Remaster », après un arrêt de presque 20 années. C’est sûrement le bon moment pour découvrir cet « Indiana Jones » atypique.

La série « Master Keaton » fut publiée dans le Big Comic Original, à partir de 1988. La première partie s’est terminée au chapitre 144, en 1994. Soit un total de 18 volumes reliés. L’édition que Kana nous propose aujourd’hui est celle publiée en 2011, au Japon. Elle reprend l’intégralité des histoires réorganisées en 12 tomes. En France, cette série est peu connue malgré la sortie de la série animée éponyme (39 épisodes édités chez IDP).

Hiraga-Keaton Taichi est un brillant explorateur. Officiellement, il est professeur universitaire. Pourtant, il dispense très peu d’heures de cours. Du coup, il complète son salaire grâce à une autre activité bien plus lucrative : enquêteur d’assurance. Son esprit de déduction aiguisé l’aide à résoudre des cas complexes de fraude aux assurances, de personnes disparues, de faux suicides et de vrais meurtres. Surtout, cela l’oblige à se déplacer à travers le monde pour enquêter dans des terrains parfois hostiles. Mais Keaton aime cette vie de bohème pimentée. Il ne laisse que peu transparaître ses émotions et sait manipuler ses adversaires. Il a une fille, Yuriko, mais est divorcé de sa mère. Pourtant, on sent bien qu’il aimerait renouer les liens familiaux, ce qui est foncièrement impossible vu son caractère énigmatique, égoïste et imprévisible. Il a rencontré son ex-femme à la prestigieuse école anglaise d’Orxford. En effet, Keaton a la double nationalité japonaise et anglaise. Son père, Taihei Hiraga est japonais. Sa mère, Patricia Keaton, anglaise. Ayant déménagé à l’âge de 5 ans au Royaume-Uni, avec sa mère, il en a gardé son nom de famille par commodité. À son divorce, Keaton quittera Oxford pour s’enrôler dans les rangs des fameuses S.A.S. (forces spéciales britanniques) où il deviendra sergent-chef. C’est cet entraînement militaire exceptionnel qui lui permet aujourd’hui de se sortir de situation périlleuse, lors de ses enquêtes. Néanmoins, le rêve de ce professeur est tout simplement de reprendre ses recherches archéologiques dans le bassin du Danube où, pense-t-il, se trouveraient les origines de la civilisation européenne.

C’est ce personnage d’enquêteur aux multiples facettes qui rend ce récit intéressant : à la fois professeur universitaire à l’intellect sur-développé et homme de terrain aux capacités de survie impressionnantes. Keaton est un héros difficile à cerner, il faudra plusieurs chapitres au lecteur pour vraiment appréhender les tenants et aboutissants de cette série. Les premières histoires nous parachutant face à cet homme dont on ne connaît rien ne sont pas les plus passionnantes. C’est au fur à mesure que le récit avance que l’on arrive à comprendre ce qui motive cet homme. Aux histoires courtes du début succèdent des histoires à suivre bien plus passionnantes et globalement mieux construites. Keaton développe, à chaque fois, des trésors d’ingéniosité afin de se sortir de situations délicates. On sent une humanité profonde derrière son caractère froid et distant.

Le scénario de cette série n’est pas une création pure de Naoki Urasawa. C’est Hokusei Katsushika qui est crédité comme étant à l’origine de ce personnage. Pourtant, en décembre 2004, à la mort du scénariste, Urasawa a demandé à ce que son nom soit écrit d’une taille plus petite que le sien. Il estimait que c’était lui seul qui avait tenu la série de bout en bout. C’est en mai 2005, dans le magazine Shuukan Bunshun, à l’occasion d’une interview, qu’il fit part du conflit ayant opposé les deux hommes. Kariya Tetsu, un autre scénariste de manga renommé, ayant lu l’interview, s’opposera violemment devant ce manque de respect pour cet homme qui était également un ami proche. Ce mangaka utilisa toute son influence auprès de l’éditeur japonais Shogakukan pour que les deux noms continuent d’apparaître à niveau égal. Cette situation entraînant l’arrêt des rééditions du titre jusqu’en 2011, date de la première réédition en 9 volumes en version Deluxes.

Si Urasawa est encensé par la critique depuis « Monster », ses premiers travaux sont assez peu connus. En France, Glénat avait tenté de traduire la série « Pineapple Army » en 1998. Malheureusement, un seul tome fut publié. À l’époque, la situation du manga n’était pas celle que l’on connaît aujourd’hui. Les titres paraissaient au compte-gouttes et étaient souvent des traductions de l’anglais. Ce titre mélangeant guerre et humour n’a absolument pas trouvé son public, que ce soit en France, comme aux États-Unis où il s’arrêtera également très vite. Seulement 10 fascicules comportant chacun un chapitre furent disponibles. Il faut dire que les couvertures choisies par Viz Comics étaient peu engageantes et absolument pas en adéquation avec le contenu.

Au début de ma chronique, je faisais le parallèle avec « Indiana Jones », néanmoins le liens entre les deux œuvres est extrêmement fin. Chez Urasawa comme chez Spielberg, le héros est un archéologue aventurier, les similitudes s’arrêtent là. Dans « Master Keaton », il y a peu d’action au final : le personnage, au flegme très britannique, a un esprit de déduction qui prime sur la démonstration de force. Pourtant, il sait se servir de ce qu’il a appris à l’armée, afin d’arriver à ses fins ; et ce, toujours de manière subtile. Chaque histoire est source de dépaysement, Keaton voyageant de pays en pays. Mais c’est également source d’Histoire, ce genre de sujet étant en adéquation parfaite avec son travail archéologique. S’il y a quelques protagonistes récurrents comme sa fille, la plupart des personnages secondaires ne sont que de passage. Pourtant, ils sont souvent extrêmement intéressants et leur vécu sert à faire avancer l’histoire. Ce sont ces personnages secondaires qui font la richesse de cette série.

« Master Keaton », c’est une petite remontée dans le temps dans la carrière de Naoki Urasawa. Le scénario n’est certes pas aussi fouillé que celui de « Monster », mais chaque intrigue a le mérite d’avoir une fin facile à appréhender. Ce manga reste un classique agréable à lire, et on sent déjà la pâte du grand maître apparaître. Il est bon de voir ce travail enfin traduit en français. Il ne manque plus grand-chose de l’œuvre d’Urasawa inédite en français ; en tout cas, nous en avons déjà le meilleur !

Gwenaël JACQUET

« Master Keaton » T1 par Naoki Urasawa
Éditions KANA (15 €) – ISBN : 978250501764

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