« La Vie rêvée du Capitaine Salgari » par Paolo Bacilieri

Il y a des écrivains qui voyagent pour raconter et d’autres qui racontent pour voyager. Emilio Salgari est de ceux-là. Son nom est quasi inconnu en France mais à l’époque de Jules Verne, il demeurait un rude concurrent car Salgari comme lui promenait ses personnages sur la terre entière. L’auteur italien tient notamment sa renommée au personnage de Sandokan, qui a donné lieu dans les années 1970 à une série télévisée. Mais qui était vraiment Salgari ?

C’est sans doute ce que s’est demandé Paolo Bacilieri qui vient de consacrer au romancier de littérature dite populaire une biographie en bande dessinée. Salgari est né à Vérone en 1862 et décède à Turin en 1911, en se faisant hara kiri (selon la légende) ! Entre les deux, l’homme qui pour raisons de santé a sabordé une carrière dans la marine – mais qui signe tout de même à ses débuts « Capitaine Salgari » – est d’abord journaliste. Cependant, aux faits divers il préfère à l’évidence l’évasion lointaine quitte à rêver sa vie, à la réécrire  et à s’inventer un passé d’aventurier, ce qu’il n’est pas et ne sera jamais. En revanche, en rat de bibliothèque assidu à la curiosité inassouvie, comme Jules Verne, il se documente et joue de son incroyable imagination pour pondre plus de 200 romans et nouvelles. Pirates, corsaires et hors-la-loi de tout poil, de tout bord, de toute origine, nourrissent ses fictions feuilletonnesques défendant la veuve et l’orphelin, fustigeant la colonisation et l’injustice. S’adressant à un public plutôt jeune ou adolescent, l’homme en tire une grande popularité, d’autant que, comme on le dit sur cette page  : « Si l’on meurt par dizaines chez cet auteur, la mort n’est jamais ni dramatique ni horrible; elle participe plutôt d’une sorte d’écriture frénétique et baroque, où chaque tempête est la plus extraordinaire, chaque bataille la plus formidable, chaque ennemi le plus terrible ».Salgari aurait pu être riche, mais s’il s’est digéré ses connaissances, il ne sait pas gérer sa vie réelle : ses éditeurs l’exploitent et sa vie de couple est un naufrage. D’où son suicide, lequel sert d’ailleurs de fil rouge (sanglant, certes, mais l’album est en noir et blanc !) à ce récit. Alors qu’il montre le romancier allant stoïquement dans un bois pour mettre fin à ses jours, se remémorant chronologiquement sa vie, Bacilieri s’est plu à accompagner cette évocation de nombreuses vues de l’Italie  typique (monuments ou quartiers populaires) de textes empruntés aux œuvres de Salgari, réalisant ainsi des contrepoints savoureux. Autre particularité, la décomposition de planches en de petites cases représentant des portraits, des gestes, des détails, morcelant ainsi la vie pittoresque ou banale au fil d’une vie qui a connu pour décors Vérone, Turin, Venise, Gênes… Bacilieri déconstruit régulièrement ses planches, ce qui dynamise visuellement son propos ; comme on le voit sur cette page, par exemple.

Alors qu’actuellement, la mode est aux biographies d’auteurs , ce Salgari est une surprise car l’écrivain n’est plus guère recommandé et sa vie n’est guère passionnante. Le travail de Bacilieri lui redonne de l’éclat et de l’intérêt et on en ressort avec l’envie d’aller rencontrer l’œuvre dont il existe dans la collection « Bouquins », chez Robert Laffont, « Le Corsaire noir et autres romans exotiques ».Tout un programme !

Alors bons voyages !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« La Vie rêvée du Capitaine Salgari » par Paolo Bacilieri

Éditions Delcourt (16, 95 €) – ISBN : 978-2-7560-3602-1

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