« Fragments » par Stefano Casini

Sous-titré « Histoires vécues par des héros ordinaires », « Fragments » est avant tout chose un journal intime, celui de Casini lui-même qui se remémore des souvenirs d’enfance, et compose ainsi une galerie de personnages pas si ordinaires que cela, des individus proches ou entrevus qui l’ont marqué, voire troublé et qui ont contribué à bâtir son existence…

C’était le cas quand, tout gamin, le petit Stefano rencontra pour la première fois des fous du village de Querciolo, rencontres traumatisantes avec ses cousins Giorgio et Adorno, une race de crétins qui semblait composer sa famille ! Stupéfaction, car cela contraste avec les histoires familiales liées à la guerre, des histoires d’Allemands redoutés ou d’Américains salvateurs qui le fascinent au point que Casini tente de retranscrire en BD (et en changeant de style) la « vision dramatique » qu’avait l’enfant qu’il était de ces événements. Il se revoit, pistolet à la main tel un cow-boy, jouant au milieu des rues en terre battue, la tête nourrie de ses lectures de fumetti qui exhibaient des héros militaires dont il connaissait toutes les armes.

La vie des autres nourrit l’imagination, avec ses désillusions comme celle de voir disparaître ses héros.  C’est le cas avec ce grand-père qui se meurt, ce qui l’oblige à « redimensionner les rêves ». Casini se rappelle aussi ce peuple ouvrier vaillant et fier d’appartenir à telle ou telle usine, à cette cavalerie de cyclistes qui venait embaucher ou débauchant la nuit, « nuée de bicyclettes qui sortaient telles une nuée de lucioles ».  Autre temps… Autres temps qui reviennent en patchwork aux couleurs douces, très douces. Le jaune y est très pâle et les ombres d’un bleu diaphane, Casini composant ainsi des planches d’une extrême légèreté et d’une grande tendresse, celle que l’on a pour un passé qui nous a pétris.

Stefano Casini nous avait habitués à tout autre chose, avec notamment les quatre tomes d’«Hasta la victoria !» qu’il a consacrés au contexte révolutionnaire cubain des années 1950. Il y nouait une intrigue autour d’une sorte de Corto Maltese ténébreux et pragmatique, aimant les femmes et les bonnes causes. Rehaussé de couleurs chaudes, le trait caricatural de Casini faisait merveille, portraiturant avec une efficacité redoutable sa galerie d’individus, fictifs ou réels. Plus récemment, dans « Masques », Casini donnait à voir une Amérique violente, celle d’un jeune adolescent en rupture avec la société et qui décidait d’intégrer un gang violent pour s’en sortir… En fait, un ancien récit inédit doté pour l’occasion de planches nouvelles en préface et postface. Enfin, Stéfano Casini s’est associé au scénariste Laurent Galandon pour les deux tomes de « La Vénus du Dahomey », chez Dargaud, deux albums qui mettent en scène le Paris de la fin du XIXe siècle et Diamanka, cette femme devenue un animal de foire coloniale, ce qu’il est convenu d’appeler depuis des « zoos humains ». Guerrières et guerriers du Dahomey firent en effet les beaux jours du Jardin d’acclimatation dans les années 1890. Auparavant, au Dahomey (l’actuel Bénin), le souverain Ghézo avait en effet créé des compagnies féminines de cavalerie et d’infanterie baptisées « les Amazones vierges du Dahomey » qui combattront lors de nombreuses guerres tribales ou troupes coloniales.

Alors, bon voyage dans l’Italie des années 60 !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Fragments » par Stefano Casini

Éditions Mosquito (18 €) – ISBN : 978-2-35283-889-3

 

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