« Kongo » par Tom Tirabosco et Christian Perrissin

« Tout m’est antipathique ici. Les hommes et les choses. Comme je regrette de m’être lié pour trois ans ». C’est le capitaine au long cours de la marine britannique Jozef Teodor Konrad Korzeniowski qui écrit, autrement dit le futur Joseph Conrad. Après l’Orient et l’Australie, le voici sur le continent noir embauché par une compagnie belge…

Il quitte Bruxelles en mai 1890 direction le Congo « décidé à participer à notre grande Å“uvre civilisatrice » comme dit son patron qui l’engage à piloter un des vapeurs de sa flottille. Apparemment disposé à croire le discours philanthropique de Léopold II,  Roi des Belges, le capitaine Korzeniowski ne fait qu’une erreur en quittant l’Europe : il laisse à Bruxelles une femme qui l’adore, sa « divine tante » Marguerite, dont il n’a semble-t-il pas mesuré tout l’amour et le désir. Ça va lui faire de belles rêveries quand il commencera à subir les miasmes sylvestres ! En attendant, le voyage est long, alors l’apprenti-écrivain Josef prend des notes, écrit (platoniquement) à sa tante et découvre enfin l’Afrique vue du bateau (Grand-Popo – Bénin – « truffé de sauvages insoumis »), puis Libreville au Gabon, enfin Boma et la remontée du fleuve. Déjà, autour de lui, s’agitent de bons blancs, suants et gras, intrigants et trafiquants… d’ivoire. Que ne ferait-on pas pour l’ivoire ? Justement, aucune limite dans l’abjection pourvu qu’on entasse les défenses ! Bientôt le voyage se fait à pied, avec porteurs, évidemment bénévoles et curieusement fragiles (certains meurent d’épuisement, on se demande pourquoi), mais « le fouet, ils comprennent toujours » !  De campement en campement, la caravane progresse comme progresse la perception que Conrad a de ce monde inhumain où les pires fauves ne sont pas les animaux, mais les potentats blancs.  Enfin, voilà Kinshasa, le fleuve et la promesse d’un vapeur à commander : mais là, tout se complique…Malgré l’intérêt du récit concocté par Perrissin à partir des ouvrages de Conrad et des biographies existantes, malgré la charge anticolonialiste qui transparaît au fil des épisodes (les exactions liées à ces missions « civilisatrices » sont désormais secrets de Polichinelle), la grande force de cette aventure tient à la réalisation graphique. Le dessin de Tirabosco, charbonneux et aux contours adoucis qui rend ses vues à la fois réalistes et impressionnistes, est tout simplement magnifique. Les pages où Konrad s’enfonce en forêt, seul, ou les vues du bateau voguant  entre des berges touffues, construisent un inépuisable livre d’images aussi muettes qu’évocatrices. Certains dessins qui doivent tout à l’estompe (à la manière d’un Mattotti) constituent des tableautins qui s’égrainent utilement au fil de 168 planches tout simplement remarquables.

Un dossier final consacré à « Conrad et les fantômes de Monsieur Kurtz » explique  le parcours de l’écrivain et le contexte historico-mercantile qui justifia tous ces chefs de guerre entourés de mercenaires sans foi ni loi, contexte que Conrad déclinera dans « Un avant-poste du progrès » et son célèbre « Au cœur des ténèbres »…

Alors bon voyage,

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Kongo » par Tom Tirabosco et Christian Perrissin

Éditions Futuropolis (24 €) – ISBN : 978-2-754806-18-3

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