Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Sang noir, la catastrophe de Courrières » par Jean-Luc Loyer
Paraitra le 07 mars 2013 le nouvel album de Jean-Luc Loyer, « Sang noir, la catastrophe de Courrières » : disons le tout net, derrière ce titre macabre se cache l’un des premiers grands albums indispensables de l’année 2013. Cette critique élogieuse tient certes au choix du sujet, rarement évoqué : la terrible tragédie survenue en mars 1906 dans les mines de Courrières (région Nord-Pas-de-Calais), qui fera 1 099 victimes. Elle tient surtout à son traitement : une évocation minutieuse, documentée et même documentaire des événements, où l’alternance des scènes évoquant l’aspect social, humain ou politique du drame amène une émotion à fleur de peau. Pour paraphraser Jean Jaurès, il y a toute L’Humanité de son auteur dans cet album…
Comme l’annonce la phrase introductive placée en surtitre de la couverture, l’histoire de la plus grande tragédie minière française débute le 10 mars 1906 à 06h30 du matin. On exploite là un vaste gisement de charbon qui fournit 7% de la production nationale, mais le travail d’abatage, effectué à une profondeur de 330 mètres, est extrêmement risqué. Les fosses indépendantes sont mal aérées et les mineurs utilisent encore des lampes à feu nu, toujours dangereuses en présence de boiseries et de relents de gaz. Le matin du 10 mars, 1 664 mineurs et galibots (âgés de 14 à 15 ans), étaient déjà descendus dans les fosses 2, 3, 4 et 10 lorsqu’une très violente explosion dévaste en quelques secondes les 110 kilomètres de galeries communes aux fosses 2, 3 et 4. On estime aujourd’hui que cette déflagration était un « coup de poussière », soit une explosion causée par la présence dans l’air de fines particules de poussières de carbone hautement inflammables.
Sur place, c’est l’effroi : les secours sont désemparés, les familles des victimes s’inquiètent, les forces de l’ordre doivent intervenir pour contenir des proches en colère autant que les curieux et les journalistes. La presse, dont Le Petit Journal, s’empare de l’affaire pour faire ses titres à sensation. L’image de la souffrance des mineurs rejoignent dans la réalité le roman d’Emile Zola, « Germinal », publié en 1885 et qui se concluait sur pareille catastrophe. Près le 15 mars, la colère puis la révolte grondent dans tout le bassin minier : 40 000 mineurs se mettent en grève pour exiger de meilleures conditions de travail, tandis qu’un duel politique se noue entre Georges Clemenceau et Jean Jaurès, ce dernier accusant à haute voix le patronat de vouloir sauver les installations plutôt que les hommes…
Le visuel proposé pour le 1er plat ne montre pas les effets de la tragédie mais la suggère : le dessin, traité en noir, blanc et sépias, renvoie à l’idée d’un monde passé saisi entre ombres et lumières. Le visage de trois mineurs, illuminés par la lueur d’une lampe, semble venir découvrir à l’avant-plan une réalité demeurée hors champ, comme camouflée au fin fond d’un boyau de mine. On devinera au premier coup d’œil, entre étais, boisages et plafond plongé dans le noir, que ces hommes sont déjà dans un cercueil, saisis dans un cadrage où l’air saturé de particules annonce le danger qui les guette : cette menace s’agite précisément sous leur nez, dans la mesure où la lumière de vie sera aussi l’étincelle du feu meurtrier…
La couverture, pour aussi mystérieuse (que regardent ces hommes ?) ou inquiétante qu’elle soit, laisse toutefois une place à l’espoir : d’abord parce que le récit se fait témoignage à hauteur d’hommes, dans le cadre d’un devoir de mémoire historique. L’album, dès sa couverture qui peut aussi faire songer à une jaquette d’émission documentaire, se positionne dans le genre de la bd reportage ; elle est par exemple et en ce sens à rapprocher du visuel imaginé aux éditions Futuropolis pour l’album « Le Jour où… 1987-2012, France Info, 25 ans d’actualités » (juin 2012). Ensuite et surtout parce le choix de Jean-Luc Loyer et de son éditeur, au final, n’auront pas été de surenchérir dans la noirceur annoncée mais de – sans jouer sur les termes – mettre « en abyme » le rôle des trois mineurs : si le chiffre trois peut renvoyer inconsciemment aux trois puits de mines touchés, la scène montrée peut alternativement renvoyer à l’avant catastrophe (les mineurs découvrent un problème), au temps t (les mineurs rescapés tentent de sortir de la mine) ou à « l’après » : les mineurs peuvent être perçus comme trois hommes venus au secours de ceux demeurés à terre et dans la terre, ce que suggère d’ailleurs l’angle de vue en contreplongée.
Dans la réalité, la chronologie des événements réserva aussi son lot de surprises : le 30 mars, soit vingt jours après l’explosion, treize rescapés réussirent à retrouver la sortie par leurs propres moyens après avoir erré dans le noir sur des kilomètres ! Le 04 avril, enfin, un 14ème et ultime survivant sera retrouvé par des secouristes allemands munis d’appareils respiratoires. Preuve s’il en est qu’il ne faut jamais perdre totalement espoir…
En France, le « sang noir » des mineurs coulera encore longtemps : en décembre 1974, un énième coup de grisou fera encore 42 victimes à Liévin, à une dizaine de kilomètres à peine du site de la catastrophe de 1906. En France, la dernière mine de charbon en France fut celle du puits de la Houve, située à Creutzwald en Moselle : elle fut fermée le 23 avril 2004… Uniquement pour des raisons économiques.
Depuis 1906, il n’exista quasiment aucun film ou téléfilm évoquant cet événement : le seul est très récent et fut réalisé cent ans après les faits : il s’agit de « Moi, Louis, enfant de la mine », un téléfilm français de Thierry Binisti, diffusé pour la première fois sur France 3 en octobre 2007.
Les documents qui suivent et complètent cet article sont délivrés aimablement et en exclusivité par Jean-Luc Loyer : ils constituent un précieux témoignage sur la genèse d’une couverture :
Philippe Tomblaine
« Sang noir, la catastrophe de Courrières » par Jean-Luc Loyer
Futuropolis (20, 00 €) : ISBN : 978-2754806114
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