COMIC BOOK HEBDO n°75 (23/05/2009)

Cette semaine : Revenons à la vie avec THE TWELVE, SLOTH et SLEEPER?


THE TWELVE vol.1 : UN SIÈCLE DIFFICILE (Panini Comics, 100% Marvel)

Straczynski, Weston : l’affiche est bonne, ce qui devrait normalement être synonyme d’œuvre de qualité. Eh bien c’est le cas ! The Twelve est un très bon comic dont la moitié du récit initial en 12 épisodes vous est proposée dans cet album. En ayant comme l’un de ses thèmes récurrents l’exploration fantasmée et historique des super-héros fondateurs, Alan Moore ne se doutait pas qu’il allait influencer – par ricochet, en différé, des années plus tard – des tendances éditoriales et artistiques empruntant cette voie avec un tel engouement. Et le public aime ! Alors… tant que le talent est là… le syndrome Watchmen peut continuer à faire des merveilles là où beaucoup n’arrivent pas à s’extirper de la norme linéaire. Avec The Twelve, nous avons affaire à une très belle exploration affective des super-héros et de leurs névroses, de leurs capacités et incapacités à être, à exister. C’est donc tout sauf un comic plein de BING et de BANG (même si ça chauffe parfois), mais bien la chronique d’une mort et d’une résurrection annoncées pour nos surhumains qui est ici exprimée avec la belle humanité de Straczynski. C’est d’ailleurs l’humanisme tout sauf naïf de cet auteur qui donne un ton non condescendant à l’œuvre, ce qui nous sauve de bien des clichés à craindre en de pareils contextes !

Que nous raconte donc The Twelve ? L’histoire se déroule aujourd’hui, et aujourd’hui, dans l’univers Marvel, c’est l’après Civil War. Les données ont changées. Il ne s’agit pas d’une évolution mais d’une révolution. Et elle tient lieu de réalité. Alors imaginez ce que ressentiraient des super-héros de la seconde guerre mondiale s’ils se réveillaient non pas en 1964 comme Captain America, mais en 2008, après 60 ans d’un sommeil léthargique ? Eh bien c’est ce qui arrive ici à douze d’entre eux. Jadis héros mythiques, les voici débarquant dans notre monde actuel, devant comprendre et assimiler la chose, et tout redécouvrir, appréhender les avancées technologiques, sociales, politiques qui les prennent à la gorge. Sitôt réveillés, sitôt recensés par le gouvernement ? Houla, ça va un peu trop vite pour eux, tout ça, d’autant que certains doivent faire le deuil d’une épouse, d’un proche, qui eux ont vieilli puis disparu. C’est un véritable choc psychologique que subissent ces super-héros en revenant à la vie ainsi. La vie, oui, mais laquelle ? Tout a disparu ou presque, ce qui marchait avant ne marche plus et inversement, et surtout… quelle réalité à se donner à soi, lorsque ce que l’on est appartient au passé ? Selon leur caractère et leur personnalité, nos douze héros vont bien sûr réagir différemment. Ces différentes personnalités sont d’ailleurs assez bien trouvées, juste ce qu’il faut de kitch et de mythe pour que ça fonctionne dans un équilibre prêt à déraper. Il y a : la belle et froide Veuve Noire (non non, pas Natasha) qui tue par simple toucher ; Mr E, sorte de Spirit ; Master Mind Excello, aux sens super aiguisés ; Fiery Mask, capable de plonger votre âme dans l’insoutenable ; Rockman, un super costaud en carapace, roi du monde souterrain ; Captain Wonder, au look et à la force cosmiques, capable de voler ; le robot Electro, en contact psy avec son créateur ; Dynamic Man, puissant héros volant ; le Témoin, veillant à ce que ceux qui doivent vire ou mourir suivent bien leur chemin ; et puis Blue Blade et Laughing Mask, deux personnages hauts en couleurs et forts en gueule mais sans super-pouvoirs, tout comme le Reporter Fantôme, le dernier des douze, mais aussi le narrateur de cette histoire… Les personnages sont attachants, l’histoire riche et bien menée, les dessins de Chris Weston sont – comme d’habitude – excellents : que demander de plus ? Bah, le second volume, tiens !


SLOTH : LES PARESSEUX (Panini Comics, Vertigo GN)

Si vous aimez la bande dessinée, le nom des frères Hernandez ne vous est donc pas inconnu, puisque Jaime et Gilbert sont les célèbres auteurs de Love & Rockets. C’est Gilbert que nous retrouvons cette fois en solo avec un album très personnel, très étrange, très… vraiment très étrange et très personnel ! La lecture de cet album nous plonge dans une sorte de rêve, de poème surréaliste, de récit hypnotique, de transe lente et d’étrangeté lancinante, nous menant on ne sait où, nous perdant et nous retrouvant le long des infractuosités du récit. Il y a un peu de David Lynch dans cet album. Un Lynch doux-amer. L’histoire nous entraîne sur un chemin qui ne cesse de nous étonner par le trouble qu’engendrent les situations, et les frontières bousculées entre réel et fantastique. Nous sommes constamment dans des états de conscience différents, devant nous-mêmes renouer les éléments entre eux afin qu’ils prennent sens dans leur influence sur l’action. Ce qui est narré est peut-être vrai, peut-être faux, c’est parfois la réalité la plus simple et quotidienne tout comme nous pouvons avoir affaire à une interprétation, un fantasme, un délire. Sauf que ces délires prennent assez vie pour qu’ils influent sur la réalité, et que la réalité n’a plus assez de poids pour contrebalancer les choses de manière lucide. Oui, je sais, c’est un drôle de truc…

L’histoire en elle-même est tout ce qu’il y a de plus banale (hum) : Miguel Serra, un adolescent mal dans sa peau, décide de se plonger dans le coma pour ne plus assumer la réalité de la vie. Ce coma ne sera pas éternel, puisqu’au bout d’un an Miguel se réveille, indemne mais beaucoup plus lent dans ses mouvements, semblant traîner une terrible paresse, comme une torpeur. Ce retour à la vie signifie (contrairement à celui de nos héros de The Twelve – décidément ça pionce dur, cette semaine) retrouver les siens, son environnement, et sa vie à continuer telle qu’elle était. Enfin… pas tout à fait comme elle était. Car s’il y a toujours la petite amie, les copains et le groupe de rock, certaines choses ont changé, et il se passe de drôles de trucs dans la citronneraie (on parle d’apparitions, de meurtres…). De terrifiantes visions vont hanter nos personnages qui vont – sans s’en douter – glisser progressivement de la normalité au surnaturel qui les habite, qui nous habite tous, malgré la normalité de notre monde anormal. Rarement un auteur aura traité du problème de l’adolescence avec un tel recul et une telle liberté tout en enserrant son sujet au plus près jusqu’à le presser dans son essence. Sloth est une intéressante expérience de lecture que je vous conseille si vous aimez les récits phosphorescents, amers et fascinants comme le zeste d’un citron.


SLEEPER vol.2 : TOUS LES FAUX MOUVEMENTS (Panini Comics, 100% Wildstorm)

Bon dieu, revoilà Holden Carver… Préparons-nous à un gros coup de grisou, à du soufre et de la luxure, des emmerdes à n’en plus finir, des ambiances sombres et de la douleur, des situations inextricables… sans parler des coups de flingues, des mensonges assassins, des panneaux avec écrit « DANGER », des sentiments de survie et d’amour, et des manipulations au millième degré. Va falloir serrer les miches si vous voulez aller jusqu’au bout de cet album, mes petits chéris. La belle mécanique qu’a enclenché Ed Brubaker avec Sleeper continue donc de se refermer inexorablement sur le héros qui – quoi qu’il puisse faire – semble voué à rester dans la position qui est la sienne : littéralement invivable, intenable, insupportable, tout simplement impossible. Celles et ceux qui ne connaissent pas cette œuvre doivent se demander ce que je baragouine là… Petit rappel, donc. Holden Carver est un agent gouvernemental qui a été infesté par un artefact extraterrestre l’insensibilisant à la douleur et lui donnant certains pouvoirs étonnants. John Lynch, son boss, l’a réinséré dans le milieu en tant qu’agent dormant ayant soi-disant exterminé ses coéquipiers, afin de révéler les comportements et de mettre à jour l’organisation sous-jacente du crime. Holden doit alors échapper aux autres agents, et se retrouve finalement recruté par Tao, un puissant criminel ayant le pouvoir de manipuler les consciences. Holden infiltre petit à petit l’organisation, mais Lynch tombe dans le coma, ce qui veut dire que la seule personne qui puisse rétablir la vérité sur Holden et l’extirper de cette situation ne peut plus rien dire ni faire, situation qui empêche à jamais Holden de retrouver sa vraie vie (mais oui, décidément, cette semaine, par un pur hasard, il n’est question que de sommeil et de retour à la vie ! C’est dingue, ça, non, quand même ?). Holden est coincé, foutu, obligé de continuer à jouer le rôle qu’on lui a attribué, le mettant en danger de tous côtés, traître parmi les traîtres, se demandant si finalement il n’est pas en train d’aimer cette vie de dingue et le personnage qu’il endosse. Est-ce mieux qu’avant, malgré l’insupportable à gérer ? Holden est-il aussi devenu insensible à la douleur morale, à celle qui le fait se perdre complètement ? Les frontières deviennent de plus en plus floues pour lui, et ce ne sont pas ses rapports « amoureux » avec Miss Misery (de l’organisation de Tao) qui vont l’aider à reprendre pied, car la belle griffe pendant l’amour comme avec un scalpel, et se repaît d’une manière générale de la violence absolue avec une jouissance terrible. Demandez le programme… si vous êtes toujours en vie…

Ce volume 2 est déjà une charnière, dans la série, puisqu’il perce l’abcès sans rien résoudre de la situation, avancée lourde de conséquence qui ne fait qu’enfoncer Holden dans la m… et ne lui laisse finalement que peu de choix hormis celui de changer et de devenir quelqu’un d’autre. Ses nerfs vont être mis à rude épreuve, car un événement important va à nouveau catalyser son espoir de s’en sortir. En effet, un type apparaît à un moment, et croise le chemin de Holden. Stupéfaction : l’homme dit venir de la part de Lynch, et que le vrai dossier de Holden existe quelque part, qu’il peut lui permettre de le mener à cette seule preuve physique qu’Holden n’est pas un agent renégat et assassin, travaillant pour la pègre. Le choc. Mais comme d’habitude, rien ne va se passer comme il le faut, et les pièges et chausse-trapes vont grouiller de toutes parts. Sale temps, encore une fois. Je ne vous dirai évidemment rien de plus sur l’histoire sinon ça n’a plus d’intérêt, mais sachez que tout ceci est bien angoissant. C’est toujours aussi fort et poignant, explorant des strates humaines assez peu recommandables mais qu’on regarde en face, nous plongeant dans un bouillon d’humanité névrotique et paranoïaque. Plus qu’un polar réussi ou une intrigue d’espionnage savamment ficelée, Sleeper est une œuvre noire noire noire. Pas complaisante mais rude en diable. Possédant toutes les qualités des meilleurs œuvres noires américaines des années 40. C’est vraiment très très bon. Outre le scénario brillantissime de Brubaker, l’œuvre entière est totalement transcendée par la mise en pages et les dessins de Sean Phillips. En effet, comme je l’avais déjà souligné dans un précédent article, Phillips a transposé le découpage de Brubaker avec un talent fou, dans des mises en pages d’une acuité démente en ce qui concerne la narration. Je ne vous parle même pas de ses dessins efficaces et percutants, mais de la manière dont Phillips a agencé les scènes, chaque planche étant une petite expérience narrative en soi, avec comme fil conducteur un espace global où les cases sont réparties dans une mosaïque plus ou moins resserrée, imbriquées dans une composition où le sens de lecture se fait plus dans un cheminement d’ambiance visuelle que de linéarité, et ce toutle long de l’œuvre, ce qui est assez fortiche. Du coup, cette particularité graphique et narrative nous plonge dans une drôle d’atmosphère, et la lecture de Sleeper se démarque de celle de beaucoup d’autres œuvres n’arrivant pas à articuler ce genre d’intentions qu’on devrait voir plus souvent. Les forts contrastes que Phillips imprime à ses images donne à l’ensemble une grande noirceur, magnifiant la mise en page par un écrin sombre exprimant l’angoisse sous-jacente. Vous l’aurez compris, une œuvre forte et vénéneuse que je vous recommande vivement si vous n’avez pas peur du noir.

Cecil McKINLEY

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