« Harry Dickson » T1 (« L’Ile des possédés ») et T2 (« Le Démon de Whitechapel ») par Olivier Roman et Richard Nolane

Harry Dickson, le « détective américain » popularisé par l’écrivain belge Jean Ray à partir de 1929, connait une réédition aux éditions Soleil en cette année 2013. L’occasion est belle d’évoquer ces fameuses couvertures, remises en scène par Olivier Roman et Richard Nolane, dont on connait la passion pour les littératures populaires. Les histoires de cet évident émule du roi des détectives se (re)liront tel un hommage permanent à Sherlock Holmes, de manière transversale, par le biais d’histoires totalement inventées (mais pleines de sous-entendus holmésiens…), où Conan Doyle, H.-G. Wells, Lovecraft et Gaston Leroux sont , de la première à la dernière case, les ultimes références.

Avec Harry Dickson, tout devient très vite compliqué, à commencer par sa propre genèse. Nous nous permettons de reprendre ici des éléments évoqués dans l’ouvrage de référence « Sherlock Holmes dans la BD : enquête dans le 9ème Art » (Ph. Tomblaine, L’Apart Editions, 2011).

La naissance de cet « autre » détective de papier est ainsi directement liée à l’incroyable succès populaire rencontré par les « Aventures de Sherlock Holmes » depuis 1887. Le 15 Octobre 1907, les éditions de La Nouvelle Populaire reprirent à leurs comptes, sous l’appellation générique de Les Dossiers Secrets de Sherlock Holmes, une série de fascicules homonymes déjà parus illégalement en Allemagne ; ces derniers, d’abord intitulés Sherlock Holmes et ses plus fameuses aventures, furent rebaptisés en Issus des dossiers secrets du Roi des détectives, sous la pression des éditeurs et des avocats de Conan Doyle. Rien ne fut fondamentalement modifié, du reste, car le nom du héros continuait d’être utilisé « librement » en pages intérieures… En France, et pour les mêmes motifs, les Dossiers Secrets changent de nom dès le deuxième numéro : ils deviennent de manière assez transparente Les Dossiers Secrets du Roi des Détectives. Le nom d’Harry Dickson apparaitra subitement aux côtés de celui de Sherlock Holmes dans la version néerlandaise de ses mêmes dossiers, le 1er décembre 1927. En France, 180 fascicules (mensuels ou bimensuels) seront publiés de 1929 à avril 1938, publié et traduit par Fernand Laven.

Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain : le Vampyre aux yeux rouges. Visuel de couverture par l’illustrateur Rolloff pour le fascicule n°81 . F. Laven, 1933.

On ignore tout encore aujourd’hui des réels auteurs et traducteurs d’un grand nombre de ces Harry Dickson, l’origine du nom du héros elle-même étant fort incertaine : un ensemble de six courts-métrages de type serial, muet et français, avait été tiré de certains de ces fascicules en 1913 par le réalisateur René Plaissetty ; le personnage principal y devient… Harry Dickson en remplacement de Sherlock Holmes ! Les rééditions successives effectuées jusqu’en 1984 (Marabout, Nouvelles Editions Oswald, NéO) furent en outre jugées incomplètes ou peu respectueuses des textes originels.

Recueil paru aux éditions Marabout (1ère édition : 1966)

Harry Dickson (éd. Labor, Bruxelles 1996). Une couverture dessinée par Marc Sevrin

Un nom, toutefois, va ressortir de cette « cacophonie d’imprimés » : celui de Jean Ray. Cet écrivain belge, né en 1887 et disparu en 1964, devient le 15 juin 1930 le traducteur de la série des Dossiers» de l’allemand vers le néerlandais, puis vers le français. En avril 1932, il franchit un pallier, dans ce qui n’est alors qu’un travail alimentaire mené à un rythme infernal, en créant de toutes pièces une première aventure d’Harry Dickson. De 1932 à 1938, Ray imaginera de nouvelles histoires pour 106 fascicules, travaillant le plus souvent de nuit pour écrire 80 pages de récit (!). En avril 1938, et sans avertissements, la publication s’interrompt avec un dernier titre, inachevé : ce sera « Le Polichinelle d’Acier », titre écrit en page 30 du fascicule n°178 de la série. Alors que Jean Ray est souvent contraint par son éditeur de s’aligner sur les illustrations de couvertures, signées de Roloff, jamais son propre nom n’apparaitra aux côtés d’un fascicule d’Harry Dickson ; ce n’est que dans les années 1960, enfin, que Jean Ray (alors reconnu comme le plus grand écrivain Fantastique encore vivant) annotera avec Henri Vernes, le créateur de Bob Morane, un listing de toutes les aventures d’Harry Dickson afin de dire lesquelles étaient réellement de sa main…

De nombreux éditeurs se sont intéressés à ce personnage : bande dessinée oblige, on retiendra ici la tentative de Dargaud, qui de 1985 à 1991, publia quatre coffrets contenant en tout les quarante fac-similés des quarante derniers fascicules français d’Harry Dickson (n°139 à 178). Cette diffusion nouvelle inspire probablement les diverses séries BD inspirées du personnage : le scénariste Christian Vanderhaeghe et le dessinateur Pascal Zanon l’adapte d’abord pour Dargaud en 6 titres parus de 1986 à 2003, tandis que, depuis 1998, Richard D. Nolane scénarise treize aventures entièrement inédites, mises en images par Olivier Roman (Soleil Productions). De son côté, enfin, Didier Savard rend hommage au personnage via sa bande policière de style ligne claire intitulée « Dick Hérisson »» : 13 albums sont parus chez Dargaud depuis 1984.

Première version du visuel du tome 1

Deuxième version du visuel du tome 1

Chacune de ces bandes est une savante démonstration de ce qu’a pu concrètement apporter Harry Dickson de neuf au genre, pourtant constitué en parallèle permanent de l’univers holmésien : les personnages ne sont guère originaux (le détective infaillible, son assistant naïf mais courageux, la gouvernante dévouée, le superintendant de Scotland Yard toujours dépassé…), les décors souvent identiques (221 B Baker Street, bas-fonds londoniens, manoir cossu, pays exotique) et les criminels stéréotypés (politique dévoyé, savant démoniaque, secte sanglante, serial-killer, … ) mais le genre est fondamentalement mixte, oscillant entre récit Policier, roman d’Espionnage, nouvelle Fantastique, essai de Science Fiction et… Aventure. Le cadre historique d’Harry Dickson est celui des années 1920 – 1930, contexte offrant sans doute plus d’ouverture narrative que le strict cadre victorien, et qui permet en outre de laisser une part plus importante à l’action (notamment les courses poursuites entre divers véhicules) : très proche de l’esprit et du style du serial filmique, la vision contemporaine d’Harry Dickson est un mélange entre Sherlock Holmes, Indiana Jones, James Bond et le détective des films noirs hollywoodiens. Bien que plus fidèle aux textes de Jean Ray, la série dicksonienne de Vanderhaghe et Zanon multiplie les références au Tintin d’Hergé et aux « Aventures de Blake et Mortimer » d’E.P Jacobs, le graphisme adopté étant par ailleurs très proche plastiquement des albums de ce dernier.

Première version du visuel du tome 2

Plus orienté vers le Fantastique et vers des références contemporaines aux mondes de l’Aventure, du Policier ou de la Science Fiction (comme les séries TV « X-Files » ou « Les Mystères de l’Ouest »), la série Harry Dickson (sous-titrée, en pages intérieures, Le détective de l’occulte) selon Nolane et Roman met en avant des histoires inédites et quelques « authentiques » grands mystères en provenance soit de la sphère ésotérique-scientifique (phénomènes paranormaux divers), soit des sciences humaines (énigmes historiques : malédiction égyptienne, Raspoutine, mystère de Rennes-le-Château, etc.). Dans les deux premiers volumes de la série, le héros se rend sur l’ile de Kersey, pour y découvrir que plusieurs habitants ont subi un lavage de cerveau, puis affronte à Londres un effrayant ectoplasme, esprit malencontreusement libéré lors d’une séance occulte ayant mal tournée….

Visuel pour la réédition 2013 du tome 1 et maquette finalisée

Visuel pour la réédition 2013 du tome 2 et maquette finalisée

Visuel pour la réédition 2013 du tome 3

Les premières versions des couvertures (mises en couleurs par Jean-Jacques Chagnaud) sont assez efficaces : elles tendaient alors à « vendre » un album se voulant comme un mixte visuel entre affiche de cinéma fantastique et illustration de jeu de rôle (dont « L’Appel de Cthulhu », édité par Descartes et aujourd’hui repris de très belle manière par les éditions Sans Détours). Les visuels des années 1990 ne sont pas sans évoquer la série « Blake et Mortimer » (pour le tome 2, évocation ou rappel des différents projets de couverture pour « La Marque Jaune ») ou « Adèle Blanc-sec » (T6, « Le Noyé à deux têtes », 1985). A l’instar du premier visuel, réédité en 1994 au profit d’une illustration plus dynamique, les nouvelles couvertures d’Harry Dickson cherchent à « imiter » la manière de faire des fascicules initiaux, tels que publiés dans les années 1900- 1930. Mises en couleurs par Yoann Guillo, elles tendent désormais à inscrire le personnage comme un héros d’action, affrontant très directement les diverses forces du mal (savant fou, monstre tentaculaire ou officier allemand), ceci sans négliger le cadre du suspense-fantastique intrinsèque de cet univers. Dans l’image, la ligne de force diagonale et oblique induite par le corps ou la gestuelle des principaux protagonistes induira un irrépressible sentiment de surprise, de peur, de trouble, de déséquilibre et donc de folie (un point de santé mentale en moins !). On saisira dès lors d’un seul regard – si l’on en doutait encore – une ambiance éminemment feuilletonesque et romanesque, propice au constant surgissement de l’étrange et de l’indicible, ce que semble suggérer le surtitre générique « Détectives de légende »…

Couverture pour le tome 1 de l'intégrale Soleil (rééd. 2010)

Philippe TOMBLAINE


« Harry Dickson » T1 (« L’Ile des possédés ») et T2 (« Le Démon de Whitechapel ») par Olivier Roman et Richard Nolane

Soleil Productions, 1ères éditions en 1992 et 1994.
Éditions 2013 (10, 95 €) : ISBN : 978-2302027220 et 978-2302027640

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5 réponses à « Harry Dickson » T1 (« L’Ile des possédés ») et T2 (« Le Démon de Whitechapel ») par Olivier Roman et Richard Nolane

  1. Hervé LOUINET dit :

    Bonsoir,
    sympathique évocation de cette actualité relative à Harry Dickson.
    Je voudrais rectifier 2 ou 3 points sur l’historique de parution des fascicules originaux.
    Vous précisez : « En France, 180 fascicules (mensuels ou bimensuels) seront publiés de 1929 à avril 1938, publié et traduit par Fernand Laven. »
    En fait, en France et en Belgique, 178 fascicules paraîtront (mensuel jusqu’au 17, puis bimensuel jusqu’au 125 et mensuel à nouveau jusqu’au dernier). Ils seront publiés de fin 1928 à fin 1936, traduits pour les premiers numéros par plusieurs personnes, puis par Jean Ray qui finira par ré-écrire les histoires en gardant les superbes couvertures de Alfred Roloff que le diffuseur Belge, la Maison Hip Janssens, voudra garder pour une simple raison financière. Les histoires traduites et publiées par Fernand Laven, qui sont au nombre de 16, paraîtrons de 1907 à 1908 et sont une traduction de textes de la série originelle allemande. Ces récits, sans aucun rapport avec les Harry Dickson des années 30, seront toutefois ré-insérés dans les 178 fascicules pour combler certains retards (ou absences d’écrit) de Jean Ray.
    Par ailleurs, Jean Ray n’a jamais traduit un seul texte de l’allemand vers le néerlandais, mais seulement du néerlandais vers le français.
    Notons, que 3 aventures de Harry Dickson, ont été écrites directement en néerlandais par Jean Ray et signées « par l’auteur de Harry Dickson » (parution dans Ons Land en 1936 et 1937).
    J’ai écrit, il y fort longtemps, un article sur l’historique des Harry Dickson, visible e.a. ici:
    http://www.noosfere.com/heberg/jeanray/dickson/hdstory.htm.
    Ce dernier est toujours valable sur l’ensemble de l’histoire, mais plus à jour quant à la datation de la série française que l’on doit positionner du 15/10/1928 (n°1) au 15/11/1936 (n°178).
    Hervé LOUINET

  2. Tomblaine dit :

    Merci pour cette sympathique relecture et ces nombreuses précisions historiques…

    Les nouvelles originelles ont effectivement été écrites à l’origine en allemand, puis traduites en néerlandais et en français. Jean Ray a réécrit tous les textes à partir du n° 65 (65 à 69, 73, 75 à 77, 81 à 106, 111 à 178).

    J’en profite pour rappeler que les éditions Carnoplaste éditent depuis 2009 la « suite » des fascicules initiaux, en choisissant de débuter au 181ème numéro… :
    http://www.lecarnoplaste.fr/index.php?page=harrydickson

    A lire aussi, cette conférence datée de 2011 (doc pdf illustré… de couvertures) :
    http://recherche.univ-lyon2.fr/epic/IMG/pdf/Harry_Dickson.pdf

    Philippe Tomblaine

    • Hervé LOUINET dit :

      Bonjour,

      J’ai quelques exemplaires des éditions Carnoplaste, mais n’ai pas encore pris le temps de les lire.
      Sur le document de la conférence de 2011, il présente des erreurs assez grossières. Jean Ray n’a pas écrit les Harry Dickson en mer ou lors d’escales. La légende « de pirate » que l’auteur s’est forgée reste tenace ! Les Harry Dickson ont été écrit à Gand et pas en une seule nuit.
      Par ailleurs, Jean Ray n’a pas créé le nom « Harry Dickson », comme cela est stipulé, mais simplement repris le personnage. La nationalité américaine de Harry Dickson, bien que mentionnée en sous-titre, est évoqué dans les premiers fascicules, sur lesquels Jean Ray n’est pas intervenu.
      L’histoire des Harry Dickson est une aventure en elle-même.
      Hervé LOUINET

  3. dom dit :

    Bonjour
    Suite à un décès dans la famille, je viens de récupérer dans le grenier divers documents « Harry Dickson, le sherlohomes américain  » dont le fascicule N°2 Hotel borgne du Caire. Il a été édité au format in-4°, la couverture est illustrée en couleurs, 32 pages, sans date, Editeur : Roman Boek, Kunsthandel
    Pouvez vous me dire à combien je pourrais le vendre ?
    Par avance, je vous en remercie.

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