PLUS DE LECTURES BD DU 11 MAI 2009

Notre sélection de la semaine : ? L’Enfant maudit T.1 : Les Tondues ? par Arno Monin et Laurent Galandon, ? Au Rallye ? par Pierre Place, et ? Une Aventure de Spirou et Fantasio par? T.5 : Le Groom vert-de-gris? par Olivier Schwartz et Yann.

- ? L’Enfant maudit T.1 : Les Tondues ? par Arno Monin et Laurent Galandon – Editions Grand Angle (12,90 Euros)

Le couple Laurent Galandon et Arno Monin confirme ici, avec cet excellent album, tous les espoirs placés en eux après leur émouvante « Envolée sauvage » qui abordait le thème de la Shoah vu au travers des regards d’enfants. Ils reprennent d’ailleurs certains éléments de leur première incursion dans le label Grand Angle de chez Bamboo (brutalité campagnarde et monde de l’enfance) pour évoquer ici les événements de mai 1968, remontant, pour les besoins de l’intrigue ce nouveau diptyque, aux lendemains de la Seconde guerre mondiale. Un jeune ouvrier d’origine creusoise, qui semble ne pas être vraiment concerné par les évènements qui secouent la capitale française en ce printemps-là, va partir à la découverte de ses racines pour essayer de comprendre qui étaient vraiment ses parents. Mais pour le moment, ce garçon taciturne et sans histoire n’a d’yeux que pour une amie d’enfance devenue étudiante et, hélas pour lui, amoureuse d’un chargé de cours à la fac. En les suivant, il est mêlé aux émeutes et est arrêté par la police… Avec habileté, le scénariste Laurent Galandon dénonce, une fois de plus, l’intolérance, en nous proposant une histoire bien documentée qui nous prend aux tripes dès les premières pages, pendant qu’Arno Monin y peaufine son style entre manga et école franco-belge, lequel illustre, curieusement, parfaitement les ambiances particulières de la campagne française du milieu du siècle dernier : voilà des auteurs qui méritent vraiment toute votre confiance et qui vous feront acheter leurs productions les yeux fermés !

- ? Au Rallye ? par Pierre Place – Editions Warum (16 Euros)

Avec une suite d’anecdotes sur la faune des habitués d’un bar de quartier populaire (des immigrés, intégrés ou pas, aux magouilleurs aux grands coeurs, en passant par une serveuse paumée et autres retraités ou alcooliques qui se tapent une belote), le storyboardeur de films d’entreprise qu’est Pierre Place (qui a été formé aux arts décoratifs de Strasbourg) nous dresse un tableau tout à fait prenant d’une banlieue miteuse du 19ème arrondissement où la misère et la dérive sociale sont monnaie courante. Tous ces laissés pour compte, qui doivent se démerder comme ils le peuvent et qui ont eu leur lot de galères, se retrouvent donc souvent au « Rallye », plutôt que de s’enfermer dans la solitude ou dans l’abrutissement télévisuel… Et entre les diverses discussions de comptoir, l’auteur nous fait déceler, avec talent et émotion, mais sans faire de concession, ce qu’est vraiment la vie pour la plupart des gens ! Evidemment, on pense tout de suite au « Big City » ou à « Un Bail avec Dieu » de Will Eisner, d’autant plus que le dessin au lavis virtuose de ce jeune professeur de bandes dessinées qui n’avait, auparavant, participé qu’au remarquable collectif « Parole sans papiers », paru chez Delcourt en 2007, est très proche du style que le créateur du « Spirit » employait pour ses romans graphiques ; mais la justesse du ton est là, les choix narratifs sont bons et, finalement, la chronique sociale est réussie ! Bref, voici encore un auteur (et un éditeur) à suivre de près…

- ? Une Aventure de Spirou et Fantasio par… T.5 : Le Groom vert-de-gris? par Olivier Schwartz et Yann – Editions Dupuis (13,50 Euros)

Après le brillant exercice d’Émile Bravo sur « Spirou et Fantasio », on attendait au tournant ce nouvel avatar du célèbre groom avec Yann au scénario, d’autant plus que l’idée de base était sensiblement la même. Sauf que…, le projet du prolifique et inventif scénariste des « Innomables » et de « Pin-Up » ne date pas d’hier ! A la base, il s’agit d’une commande du journal Spirou pour fêter ses 40 ans d’existence, en 1978 : des extraits ont d’ailleurs été publiés dans l’ouvrage « Les Inachevés de Chaland » aux éditions Champaka !!! Finalement, cela ne s’est pas fait car Tome et Janry, qui venaient d’hériter des personnages, craignaient que cela interfère avec leur propre vision du héros fétiche de l’hebdomadaire de Marcinelle. Et voilà que plus de 30 ans plus tard, cette histoire est remise au goût du jour dans le cadre des « one-shot » de la collection « Une Aventure de Spirou et Fantasio par… », se transformant en une sorte de suite au « Journal d’un ingénu » de Bravo. D’ailleurs, l’album commence trois ans après la déclaration de la Seconde guerre mondiale, au moment où s’arrête le récit précédemment cité…, alors que toute la capitale belge est entièrement occupée par les troupes de la Wehrmacht. Toute ? Non ! Des irréductibles combattants résistent encore et toujours à l’envahisseur : Spirou en tête sous le nom de code d’Écureuil wallon ! Pour évoquer Bruxelles sous l’occupation nazie, Yann affuble, malicieusement, notre héros d’une couleur d’uniforme allemand, transforme le Moustic hôtel (où il officie) en quartier général de la Gestapo et multiplie les clins d’oeil aux héros belges (autant à ceux qui ont vraiment existé qu’à ceux issus de la bande dessinée) ou au cinéma, à la littérature et à la musique de l’époque ! Si l’irrévérencieux scénariste excelle dans cette discipline, en en rajoutant jusqu’à plus soif pour obtenir une jubilatoire comédie totalement délirante (avec le risque, quand même, de dérouter les moins initiés), la « vraie » réussite de cet album, c’est la révélation graphique du dessinateur Olivier Schwartz. Ce créateur, jusque-là cantonné dans l’illustration d’une charmante série pour enfants (« L’Inspecteur Bayard »), explose littéralement avec son trait très marqué par le style du regretté Yves Chaland et surtout par celui du créateur de l’école dite de Marcinelle qui régna sur Spirou jusqu’à la fin des années 60 : l’immense Jijé, lequel prête ici ses traits au commandant Doisy (nom du premier rédacteur en chef de Spirou : un communiste qui travaillait pour les catholiques !!!) ! Un ouvrage en même temps très référentiel et totalement iconoclaste !

Gilles RATIER

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