Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« San-Antonio » en bandes dessinées
Le célèbre commissaire « San-Antonio » fête ses 60 ans cette année et les éditions Sangam ont eu la bonne idée de publier un très beau livre (« San-Antonio : Boucq & Dard » (1)) qui réunit les 150 couvertures illustrées par François Boucq, des esquisses préparatoires et des dessins non retenus ; avec, en supplément, un sympathique petit carnet de croquis.
Enfin, ce magnifique ouvrage est agrémenté d’une préface de Patrice Dard (le fils de Frédéric Dard et continuateur de l’œuvre créée par son père en 1949), d’un portrait émouvant du génial dessinateur lillois par l’ami Laurent Turpin et de textes passionnants sur l’histoire de ces couvertures par l’érudit Maxime Gillio : le tout sous un habillage graphique de Philippe Brulois, lequel met autant en valeur l’œuvre que François Boucq lui-même…
Le fait que ce soit François Boucq qui dessine désormais les couvertures de ce phénomène unique de la littérature française (autant les nouvelles aventures que les rééditions des précédentes), et ceci depuis 9 ans maintenant, est le lien tout trouvé avec le 9ème art ! D’autant plus que ses prédécesseurs, de Michel Gourdon à Roger Blachon en passant, entre autres, par Albert Dubout, Georges Wolinski ou Claude Serre, ne sont pas des inconnus dans le monde de l’illustration et que leurs styles ne sont guère éloignés de ceux que l’on trouve régulièrement dans les bandes dessinées… Et puis, n’oublions pas que « San-Antonio » c’est 200 romans vendus à plus de 160 millions d’exemplaires et traduits dans le monde entier, des adaptations cinématographiques, un sujet très prisé pour les travaux de recherches dans les plus grandes universités internationales, et aussi… des bandes dessinées !
La plus connue des deux versions « bédéesque » mettant en scène le commissaire chéri de ces dames et son irremplaçable adjoint Bérurier est certainement la plus ancienne ; c’est-à-dire celle qui parût dans le quotidien France-Soir, de septembre 1963 à mars 1975, et qui totalisa 3588 strips avec les textes placés sous les images (2) : une adaptation fidèle à la saveur argotique des romans (signée Robert Mallat) et des dessins souples et nerveux, aussi caricaturaux qu’élégants (dus à Henry Blanc (3)).
Les deux hommes étaient habitués à ce genre de performances où une bande de deux ou trois dessins surmontait un texte souvent imposant dans les pages de France-Soir. Robert Mallat, né le 28 août 1927, a été journaliste à France-Soir de 1954 à 1972. Étant l’un des principaux collaborateurs de Paul Gordeaux, le directeur littéraire du journal et le créateur des bandes dessinées verticales « Le Crime ne paie pas » et « Les Amours célèbres » ; il lui succédera (en 1963) ; créant notamment la série « Histoires mystérieuses » et adaptant « Viva Maria » (le film de Louis Malle), « Signé Furax » et « San Antonio » en bandes dessinées.
Fin 1972, il est engagé comme rewriter par L’Écho de la Mode, puis intègre le service culture du Point (où il est chargé de la rubrique sur la chanson française, dont il est l’un des meilleurs spécialistes, élargissant rapidement ce domaine au jazz, au rock, aux comédies musicales, au cinéma, au théâtre, à la télévision et aux mots croisés. Fondateur de l’Académie de la chanson (avec Pierre Mac Orlan, entre autres, en 1963) et du Finef (Festival international de l’enfance), également poète et écrivain à ses heures, Robert Mallat a aussi été producteur à France Inter, de 1964 à 1968, puis pour la télévision (TF1), entre 1982 et 1985.
Henry Blanc, quant à lui, est un dessinateur humoristique, né le 9 décembre 1921, qui n’est autre que le créateur du fameux « Jeu des 7 erreurs ». Si ses talents de chanteur lui valent presque une carrière en ce domaine, c’est avec ses cartoons dans la presse hebdomadaire parisienne qu’il commence à se faire un nom, s’offrant un détour par le dessin animé chez Paul Grimault (sur « La Bergère et le ramoneur »). Travaillant ensuite pour l’agence Walt Disney (de 1952 à 1957), il se fait surtout connaître pour ses bandes dessinées surmontant des pavés de textes mais réalisées avec un efficace sens du cadrage de l’image. En effet, on lui doit, entre autres, une adaptation du fameux feuilleton « Signé Furax » de Francis Blanche et Pierre Dac (diffusé tous les jours sur les ondes d’Europe N°1) qui fut publié de 1957 à 1961, une du « Jugement dernier » d’après Cami en 1961 et une autre des « Nouveaux mystères de Paris » d’après le feuilleton radiophonique de Gérard Sire en 1962.
Au début des années soixante, il est aussi contacté pour réaliser des dessins dans Le Journal du Dimanche (où il animera une bande dessinée muette : « Les Bons dimanches de monsieur Blanc », en 1962), puis dans Jour de France (il y créera une série familiale bien française : « Ferdinand et Véronique », de 1963 à 1968), et dans Ici Paris Hebdo (il y dessinera « Tonton Cyril », de 1963 à 1980, puis « Préhistoire de rire : l’humour à l’âge des cavernes », de 1966 à 1974). On le retrouve ensuite à Amis-Coop (avec « La Famille Campanule » : une série avec des bulles qui parût de 1983 à 1987) et comme illustrateur de nombreux livres d’humour signés Francis Blanche, Pierre Dac ou Jean-Charles (« L’Histoire de France vue par les cancres »…
Lorsque le Fleuve Noir (l’éditeur des romans de « San-Antonio ») envisage une série d’albums de bandes dessinées de 44 planches avec phylactères, adaptées par Patrice Dard, il fait naturellement appel à Henry Blanc. Mais celui-ci, surchargé de travail avec la bande quotidienne et ses autres travaux, décline l’offre… Finalement, c’est au studio belge d’Henri Desclez que sont confiés les sept albums cartonnés publiés de 1972 à 1975 : le responsable de cette petite entreprise (qui venait d’être nommé rédacteur en chef de l’édition belge de Pilote et qui allait devenir celui de l’hebdomadaire Tintin, à la suite de Greg en 1975) s’inspirant largement, avec plus ou moins de bonheur, des physiques immortalisés par Henry Blanc.
Heureusement, à l’époque, le dessinateur belge Franz Drappier (11 juin 1948-08 janvier 2003), qui ne signait que de son prénom, fait partie de ce studio (4) : et son trait plus personnel se détache de l’ensemble sur plusieurs albums. Cependant, le futur illustrateur de « Jugurtha », de « Thomas Noland », de « Lester Cockney » ou de « Poupée d’ivoire » ne réussira pas à sauver cette série qui cessera vite de paraître : « Lorsqu’Henri Desclez s’amenait avec le scénario, tout l’album était réalisé en huit ou dix jours. Les pages étaient préparées, les textes étaient déjà lettrés. Je commençais par dessiner les personnages, puis on passait aux décors. Á plusieurs reprises, il m’est arrivé d’encrer à l’envers des décors que l’assistant de Desclez, un certain Héric, crayonnait de l’autre côté de la table ! Je dois dire que ça m’a donné une certaine dextérité… D’après ce que je sais, le dernier volume (auquel je n’ai pas collaboré) a été fait avec un jeu de bromures des albums précédents dans lesquels Desclez a repiqué des dessins, en se contentant de créer quelques raccords. En tout cas, il est parti au Canada avec l’argent qui m’était dû, et il s’agissait d’une somme assez rondelette. Non seulement je n’ai pas été payé, mais cette expérience m’a valu une réputation de bâcleur dans ma profession ; et cette réputation injuste m’a poursuivi pendant dix ans ! » (5).
Lorsqu’il évoquait à nouveau cette triste expérience (au cours d’entrevues publiées dans Schtroumpf Fanzine n°30 de mai 1979 ou dans Tout Bulle or not to Bulle n°4 du printemps 1997), Franz racontait qu’il y avait un contrat très spécial qui stipulait qu’ils devaient fournir les planches dans un temps minimum : ces délais étant devenus de plus en plus pressants, ils durent terminer les vingt dernières pages d’un album en une nuit, leur voisin pompiste venant les aider à gommer les planches, pour aller plus vite, pendant que Desclez sirotait sa Gueuse…
Á noter que si « San-Antonio » figure, évidemment, sur les couvertures de ces albums (dont deux, « San-Antonio en Ecosse » et « Marie-Marie en Tyrannie », seront repris dans un pocket broché de 196 pages au format 13×18, aux éditions M.C.L., une filiale de la Société Française de Presse Illustrée, en 1975), c’est plutôt son acolyte rabelaisien Alexandre-Benoit Bérurier et la jeune Marie-Marie, amoureuse patiente et attentionnée qui se réserve pour le beau commissaire qu’elle épousera… quand elle sera grande, qui se partagent la vedette de cette version diversement appréciée par les amateurs…
Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes
(1) « Y’en n’aura p’t'être pas pour tout l’monde ! » : alors, n’hésitez pas à réserver votre exemplaire auprès de Sangam (8 bis rue Borie 33300 Bordeaux, infosangam@yahoo.fr, www.sangam.space-blogs.com).
(2) Sous la houlette de Jean-Paul Tibéri, deux épisodes de notre commissaire spécial mis en cases par Henry Blanc et Robert Mallat (« L’Affaire Fouassa » et « L’Affaire Bunks »), et dont certaines pages avaient été mises en couleurs pour l’occasion par Véronique Grisseaux, ont été compilées dans l’album « San-Antonio » paru dans la collection « Les Chefs-d’œuvre de la B.D. humoristique », en septembre 1995 : un ouvrage totalement introuvable aujourd’hui.
(3) Grâce à Guy Lehideux, les éditions Pressibus animées par Alain Beyrand ont consacré le n°2 des Dossiers Pressibus (daté de mai 1991) à Henry Blanc et ont édité son adaptation du deuxième épisode de « Signé Furax » dans un petit album au format à l’italienne tiré à seulement quelques centaines d’exemplaires.
(4) Alors qu’il était responsable du supplément Le Soir Jeunesse, Henri Desclez avait commandé à Franz une histoire de jockey (« Christopher : graine de jockey », sur un scénario d’Yves Duval, publié en 1972) et en avait profité pour intégrer le fougueux mais influençable dessinateur dans son équipe.
(5) Ces propos de Franz proviennent de l’interview qu’il avait accordée à Thierry Groensteen et qui fut publiée dans Les Cahiers de la Bande Dessinée n°64 de juillet/août 1985.