Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Deux mangakas à Angoulême » par Garu Terada
Alors que cette quarantième édition du plus grand festival de bande dessine en France est sur le point de se clôturer, jetons un coup d’Å“il sur cette étrange parution des éditions Kana : « Deux mangakas à Angoulême ». Sorte de carnet de voyage illustré d’un couple de dessinateurs japonais venus en France pour réaliser leur première séance de dédicace. On y découvre comment Toru Terada a été recruté par Jean David Morvan et comment il va être parachuté, avec son épouse, dans la belle ville d’Angoulême !
Ce manga est atypique en bien des points. Déjà , son format, un peu plus grand qu’un manga poche traditionnel. Ensuite, sa couverture est cartonnée, à l’instar des bandes dessinées franco-belges. Du coup, le prix s’en ressent et les habitués des mangas peu coûteux seront un peu surpris. Néanmoins, cela va également permettre d’attirer un public bien différent et habitué à payer les livres le prix fort. En revanche, ces derniers risquent encore d’être décontenancés par le sens de lecture, toujours inversé par rapport à nos habitudes d’Occidentaux. Mais tout ceci est bien normal puisqu’il est publié dans la collection Made in qui regroupe les Å“uvres plus adultes de l’éditeur Kana.
Cette histoire raconte le déplacement que Toru Terada a réalisé il y a sept ans, lors de la promotion de sa première bande dessinée « Petit Monde ». Il est venu en compagnie de sa femme et c’est elle qui réalise ce carnet de voyage. Son style énergique et lâché est plus à même de raconter toutes ces anecdotes vécues, avec un ton plutôt humoristique. Garu Terada est une dessinatrice spécialisée dans le Yon-Ko-Ma : ces bandes de quatre cases qui se lisent de haut en bas et qui sont souvent incompréhensibles pour les étrangers, tellement leur humour est décalé. Avec « Deux mangakas à Angoulême », elle est passée au format planche, plus a même de raconter une histoire à suivre sur la longueur. Si, sur la couverture, son nom apparaît comme étant celui de Terada, le patronyme de son amri, elle est connue dans son pays sous le nom de Garu Okada. En France, son mari étant plus célèbre qu’elle, l’éditeur a préféré mettre en avant son nom d’épouse.
L’aventure de Toru Terada débute alors qu’il est repéré par Jean-David Morvan qui cherche un dessinateur pour son nouveau scénario. Toru Terada est, à l’origine, un illustrateur spécialisé dans les héroïnes taciturnes et pulpeuses ; il travaille plus pour le monde du jeu vidéo que du manga. « Petit Monde » est sa première oeuvre en tant que mangaka et c’est en France qu’elle a été publiée pour la première fois. Du coup, les éditions Kana ont eu la bonne idée d’inviter le couple pour rencontrer son public de fans français. C’est un monde totalement inconnu et un peu inquiétant qui s’est présenté à eux. Il a fallu s’y préparer et le lecteur découvre que leurs appréhensions étaient fondées. La France, ce n’est pas le Japon et ce petit livre est là pour nous le prouver.
« Deux mangakas à Angoulême » est rempli d’anecdotes amusantes. Dés le départ on découvre Morvan et Buchet croqués comme des otakus de manga ou de figurines. Ils s’extasient dès que Toru Terrada évoque les gasahapons. Ce sont pourtant de simples petits personnages en plastique d’assez basses qualités. Ceux-ci étant distribués en très petite quantité en France, ils deviennent de vrais trésors pour les collectionneurs hexagonaux. Une rencontre furtive avec Moebuis est également croquée. Figure incontournable du 9e art, il joue d’une petite notoriété dans le milieu du manga au Japon. Leur rencontre fortuite, dans un ascenseur, montre bien que l’on peut tous révéler sa nature d’« otaku » à tout moment.
Si ce témoignage est intéressant pour appréhender les différences de point de vue entre le Japon et la France, sa lecture est parfois un peu confuse. Pré-publié en chapitres distincts, il y a beaucoup de répétitions qui sont un peu lourdes lors d’une lecture linéaire. Ces redites ne se suivent même pas toujours. Par contre, il y a une scène très amusante ou le couple de Japonais est baladé en voiture dans Paris : leur interprète s’efforçant de leur signaler à l’avance les différents monuments que leur veule doit croiser très furtivement. Là , on a la version longue par Mme Terada, mais également la version courte sur deux pages de Monsieur Terada qui malheureusement n’a rien vu du paysage.
Chaque chapitre est entrecoupé de longs textes explicatifs. Cela permet de mieux cerner le ressenti de ces visiteurs qui sont en fait principalement là pour le travail. Les différences franco-japonaises sont longuement évoquées et surtout c’est cette première expérience de la dédicace qui a décontenancé l’auteur japonais. Cet exercice étant peu commun dans son pays.
La lecture de « Deux mangakas à Angoulême » est agréable et l’humour omniprésent aide à apprécier ce récit à sa juste valeur. Témoignage loin d’être indispensable, mais qui pourrait intéresser les personnes voulant découvrir une autre facette du métier de dessinateur de bande dessinée. Un petit plongeon dans l’envers du décor et l’enfer, tout relatif, d’Angoulême.
Gwenaël JACQUET
« Deux mangakas à Angoulême » par Garu Terada
Éditions Kana, collection Made in (12,70€) – ISBN : 9782505017035