COMIC BOOK HEBDO n°68 (04/04/2009)

Cette semaine : Du costaud, du lourd, du qui rigole pas, avec GOD SAVE THE QUEEN, DMZ, les VENGEURS, BATMAN/DEATHBLOW, et le PUNISHER.

GOD SAVE THE QUEEN (Panini Comics, Vertigo GN)

Si vous aimez les œuvres sulfureuses, étranges, hypnotiques, les histoires déjantées et la peinture, si vous aimez être dérangés, bousculés, interrogés, si vous aimez comprendre en étant perdus, alors cet album est fait pour vous. Tout droit sorti de la cervelle de Mike Carey et des pinceaux de John Bolton, God save the Queen est une création 100% britannique, de la meilleure veine, celle des auteurs qui réfléchissent et délirent, ne cessant d’apporter du sang frais depuis plus de 20 dans l’univers des comics, osant ce qu’on n’ose pas ailleurs. God save the Queen nous raconte comment Linda, une adolescente assez blasée mais néanmoins en quête d’elle-même, se retrouve mêlée à un combat entre deux reines du monde de Féerie. Arpentant Londres à la recherche de sensations fortes, Linda, accompagné par son ami Jeff, finit par faire connaissance avec une bande de jeunes désœuvrés mais « cools » réunis autour de Verian, un jeune homme froid et fascinant. Mais le « cool » ne dure pas longtemps, car tout ce petit monde se shoote au Cheval Rouge, mélange de sang et d’héroïne, faisant plonger Linda dans une dépendance qui s’ajoute à celle du cœur… Le hic, c’est que ce n’est ni le trip ni l’overdose qui se trouve au bout du chemin, mais un monde fantastique où elfes et fées se battent pour l’équilibre du pouvoir et de leur univers. L’ancienne reine Mab la folle entend en effet bien reprendre le pouvoir sur son royaume et chasser la reine Titiana de son trône. Entre drogue, délire, réalité et surnaturel, Linda se retrouve malgré elle au carrefour de deux dimensions, de deux vérités, l’une pénétrant l’autre par des chemins qui remettent la conscience du monde en question. Bref, God save the Queen est le genre d’œuvre qui fait réfléchir tout en nous emmenant au-delà de nos propres frontières de l’imaginaire, se propageant longtemps en écho après avoir refermer le livre. Le scénario de Mike Carey est impeccable, labyrinthique à souhait, et les peintures de John Bolton sont absolument géniales. La première planche de l’album, où Mab arrive du fin fond des cieux sur un char tiré dans les airs par une hermine blanche ailée, laisse d’entrée le lecteur pantois devant la subtile puissance de cette image… Tout au long du récit, Bolton alterne peintures fantastiques à la Rackham et hyperréalisme pop, explorant les nuances tout autant que les évidences, jouant superbement sur les couleurs, les ombres et les lumières pour nous offrir une sorte de patchwork hallucinant, interaction de folie et de réalisme, de figuratif et de d’imaginaire, de conscient et d’inconscient. Les couleurs et les formes se mélangent jusqu’à nous plonger dans l’envoûtement le plus profond. On ressort de l’album dans un drôle d’état, demandant quelques secondes pour tenter de reprendre pied avec le réel. Mais quel réel ?

DMZ vol.4 : TIRS AMIS (Panini Comics, 100% Vertigo)

Je ne saurais trop conseiller à celles et ceux qui ne connaissent pas encore cette série fabuleuse de la découvrir de toute urgence. L’une des plus culottées et intelligentes et passionnantes du moment, réussissant à nous faire réfléchir sur l’état de notre monde actuel avec une acuité et un courage qu’il faut saluer bien bas. Une œuvre absolument nécessaire pour comprendre aussi le tournant qu’a pris le comic book depuis le 11 septembre, devenu une nouvelle fois plus adulte, et semblant n’avoir peur de traiter aucun sujet, même le plus brûlant. Et DMZ est chaud brûlant, une vraie bombe, un révélateur de conscience. Exprimant l’articulation possible ou impossible de nos valeurs et de notre rapport au monde en temps de guerre, surtout lorsqu’il s’agit d’une guerre utérine où les États d’Amérique entrent en conflit autour de Manhattan. Une guerre civile sale, âpre, dégueulasse, où le journaliste Matty Rott en bave un maximum… Tirs Amis est sans doute l’un des volumes les plus forts et réussis de la série, nous renvoyant certains éléments cruels de notre monde actuel. Matty doit en effet interviewer le soldat impliqué dans le plus grand scandale de cette guerre civile : le jour 204. 204ème jour de guerre où 198 civils qui manifestaient pour la paix ont été massacrés par une troupe de soldats ayant perdu les pédales. Nation détruite, ordre devenu chaos, et maintenant armée meurtrière : l’Amérique s’enfonce inexorablement dans les pires écueils de son histoire, et rien ne semble pouvoir aller contre cette réalité. Mais que s’est-il vraiment passé ce jour-là ? Matty va pousser son enquête bien plus loin, recueillant les témoignages d’autres soldats – dont un haut gradé retors. Petit à petit, il va comprendre que derrière l’horreur se cache des éléments qui ne pourront qu’engendrer à nouveau l’horreur. Plus qu’une bande dessinée « de guerre », plus qu’une œuvre à sensations fortes, DMZ met plutôt en exergue un réel regard sans concessions sur les saloperies qui régentent le monde, et le peu qu’on puisse faire en réaction. Maupassant disait que si tous ceux à qui on demandait de prendre les armes retournaient celles-ci contre ceux qui les leur ont donné, alors ce serait la fin de la guerre. Que dirait Maupassant aujourd’hui ? Nul ne le sait, mais le sergent John G. Ford qui signe la préface de ce quatrième volume a connu l’Afghanistan et l’Irak. Ce qu’il écrit est édifiant. Et ne fait que confirmer l’extrême valeur de cette bande dessinée engagée contre le meurtre de l’humanité. L’humanité en général, mais aussi notre humanité à chacun, celle qu’on sent tout au fond de nous et qui a envie de vomir face aux infos.

VENGEURS : LA GUERRE KREES/SKRULLS (Panini Comics, Best of Marvel)

Si vous êtes accros aux comics, vous devez être au courant que depuis février nous sommes à l’heure de Secret Invasion, et que vous feriez mieux de vous méfier de vos voisins car eux aussi pourraient s’avérer être de vilains extra-terrestres prêts à tout pour s’emparer du monde. Gasp ! À qui faire confiance, puisque les Skrulls ont pu infiltrer chacun d’entre nous en s’emparant de notre apparence et de notre identité ? Les Skrulls font partie depuis bien longtemps du paysage Marvel. Allez, un petit effort de mémoire, c’était en janvier 1962 dans Fantastic Four #2. L’épisode s’appelait The Fantastic Four meet the Skrulls from Outer Space, et nous y apprenions que des extra-terrestres aussi hideux que belliqueux et polymorphes tentaient de faire main basse sur la Terre. Heureusement, les Quatre Fantastiques étaient là et semblaient avoir éradiqué le problème une bonne fois pour toutes, transformant les Skrulls en paisibles vaches… Plus de 40 années de comics nous ont depuis prouvé le contraire ! En 1983, John Byrne a même revisité cet épisode mythique avec un certain génie. Mais il n’y a pas que les Skrulls, dans la vie (et heureusement), il y a aussi les Krees, leurs ennemis historiques dont le représentant le plus célèbre sur Terre fut bien sûr Captain Marvel. Les Krees débarquèrent plus tard, dans Fantastic Four #65 en août 1967, . Dès lors, nous savions combien Skrulls et Krees n’étaient pas du genre à boire le thé ensemble, mais les vraies hostilités prenant la Terre en otage ont commencé réellement en juin 1971 dans Avengers #89. Waouh ! Quel hasard ! C’est exactement par cet épisode que s’ouvre cet album. Eh oui mes petits chéris, Panini a eu la riche idée de rééditer les épisodes des Vengeurs où prirent racine les éléments qui – presque 30 ans plus tard – auront un écho particulier dans le contexte de Secret Invasion. Un complément historique que tout fan se doit donc de (re)découvrir, donc !

Aux manettes, nous avions Roy Thomas qui commençait à bien connaître la série puisqu’il avait déjà écrit 50 épisodes d’Avengers, et une formidable équipe artistique puisque aux côtés des deux Buscema (John et Sal) s’ajoutaient le génial Neal Adams et le fabuleux encreur Tom Palmer. Toute une époque, où la nouvelle génération d’auteurs et d’artistes ayant succédé aux maîtres du Silver Age s’imposèrent définitivement en inventant de nouveaux territoires, de nouvelles dynamiques. Évidemment, les dessins de Sal Buscema sont formidables, souples et angoissants, avec quelques beaux hommages graphiques à Jack Kirby, bien sûr, John Buscema sur les Vengeurs c’est toujours fantastique, puissant et gracieux, trop beau… Mais vraiment… Mais vraiment… Neal Adams, quelle claque, les amis, trente ans après ! Les épisodes où intervient Adams semblent d’un seul coup faire passer la série de la sitcom bien foutue mais indubitablement naïve à une œuvre adulte, concrète, folle, drainée par une ondulation forte qui happe le regard et hypnotise les sens. C’est… C’est fabuleux, vraiment. Neal Adams est un pur génie, l’un des plus grands dessinateurs de comics qui aient jamais existé. Regardez la double page titre de A Journey to the Center of the Android !, et vous comprendrez. Tournez les pages, et vous verrez. Comparez avec les pages précédentes. Sal Buscema, avec tout le respect qu’on lui doit à juste titre, semble découper ses planches sans jamais trop oser se détacher du « gaufrier » (terme de Franquin désignant la planche découpée en tant de cases égales). Quand Adams débarque, les cases s’allongent, se déforment, s’étalent sur de grands espaces, les visages se superposent aux cases, les directions s’affolent… Bref, nous avons là un vrai artiste de la narration, de l’invention, faisant exploser les cadres et les conventions tout en s’appuyant sur une connaissance classique ébouriffante. Du grand art. Outre l’intérêt de lire cet album dans le contexte de Secret Invasion (en kiosque), la présence de Neal Adams rend cet album tout à fait indispensable à tout fan se respectant, même si vous êtes un Skrull…

BATMAN/DEATHBLOW : APRÈS L’INCENDIE (Panini Comics, Wildstorm GN)

Espionnage, meurtres, terrorisme, bourreaux et victimes… Ce scénario de Brian Azzarello regorge de tous les éléments qui sont chers à ce conteur d’histoires policières particulièrement noires (avec 100 Bullets en première ligne, bien entendu… ). Après l’Incendie est un crossover DC/Wildstorm assez particulier puisqu’au-delà des deux univers se rencontrant se profile une rencontre qui n’a pas lieu en dehors de ses ramifications temporelles. En effet, l’histoire se déroule sur dix ans, et Batman se retrouve dans le sillon de l’enquête menée des années plus tôt par le tueur des services secrets dénommé Deathblow. Ce dernier est mort, et c’est par le biais de Scott Floyd que Bruce Wayne va rattacher l’affaire qui l’occupe aux efforts passés de feu Michael Cray. Quelle affaire ? Cela commence par une main coupée retrouvée à une station service, puis une suite d’incendies explosifs faisant de nombreuses victimes. Qui est donc le pyromane qui embrase Gotham City ? Qu’avait donc trouvé Deathblow avant de mourir ? Les choses seront plus complexes que prévu, ce combat mettant en scène bien plus que la seule logique du pyromane. La narration parallèle d’Azzarello fait merveille dans le va et vient qui se fait constamment entre passé et présent, réussissant comme d’habitude à structurer un récit savamment découpé qui entretient le suspense dans un bel équilibre. Cette histoire assez compliquée est servie par les admirables dessins de Lee Bermejo qui font mouche par leur réalisme noir et puissant, collant parfaitement au sujet. L’ambiance graphique engendrée par le travail des encreurs Tim Bradstreet et Mick Gray ainsi que la mise en couleurs talentueuse de Grant Goleash et José Villarrubia confèrent à l’ensemble une indéniable qualité esthétique, suintante à souhait, où les contrastes s’en retrouvent sublimés. Un album assez séduisant, pour amateurs d’action musclée.

THE PUNISHER : CERCLE DE SANG (Panini Comics, Best of Marvel)

Tous aux abris, Frank Castle est de retour ! De retour ? Oui, effectivement, c’en fut réellement un lorsque – en janvier 1986 – débuta la mini-série en cinq parties Cercle de Sang qui redonna assez d’élan au personnage du Punisher pour lui offrir une carrière solo (et il eut effectivement sa propre série régulière l’année suivante, réalisée par Mike Baron et Klaus Janson). Cercle de Sang, elle, fut écrite par Steven Grant et dessinée par Mike Zeck et Mike Vosburg, dans une ambiance rappelant parfois celle de Miller sur Daredevil. Car cette histoire de gros bras et de flingues avait besoin d’un minimum de qualité pour être autre chose qu’une histoire de gros bras et de flingues, et l’équipe a réussi le pari. Grant a su donner au Punisher assez de contraste pour en faire une personnalité attachante et surprenante, et les deux Mike se sont apparemment régalés à enchaîner cadrages saisissants et images finement réalisées. Lorsque débute l’album, Frank Castle est en prison où l’a mené une enquête l’impliquant directement, mais une fois dans le bain il va s’apercevoir qu’il y a fort à faire avec de nombreux prisonniers agressifs – dont le patibulaire Puzzle. Apparaît alors une organisation secrète appelée Trust qui propose à Castle de le faire sortir de prison en échange de son action contre le crime et la guerre des gangs que ne peut endiguer la police seule. En acceptant, Castle aura enfin les moyens matériels afin de poursuivre son combat, ainsi que l’appui de la Trust. Et sans le vouloir il trouvera une compagnie féminine qui ne le laissera pas indifférent. Déterminé à éradiquer la guerre des gangs, Castle accepte donc, et le Punisher réapparaît alors avec toujours plus d’assurance et de volonté. Oui, mais… Qui sont vraiment les gens de la Trust ? Ne sont-ils pas en train de manipuler le Punisher pour satisfaire de sombres desseins ? Rien n’est moins sûr, et entre une amante redoutablement dangereuse, un homme qui recherche le Punisher pour venger son père, les porte-flingues de tous bords et les pièges à éviter, Frank Castle a du pain sur la planche ! L’action est menée de main de maître, le suspense est bien construit notamment grâce à un découpage et des narrations parallèles joliment structurées, les dessins plaisants et parfois très beaux, bref : même les pacifistes forcenés comme moi trouveront ici de quoi se réjouir avec bien autre chose que des BANG et des OUCH !

Cecil McKINLEY

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