FRANÇOIS BOURGEON

A l’occasion de la splendide réédition des trois principales séries de François Bourgeon (« Les Passagers du vent », « Les Compagnons du crépuscule » et « Le Cycle de Cyann» ) chez la jeune et dynamique nouvelle maison d’édition 12 bis (1) , retour sur la carrière de ce conteur magnifique qui travaille régulièrement entre terre et mer?

Ce n’est qu’après quelques centaines de planches et une dizaine d’années de patience que François Bourgeon, né à Paris en 1945, est devenu le célèbre auteur de la série historique et maritime « Les Passagers du vent ». Diplômé maître verrier (il fréquente l’école des Arts et Métiers dans la section vitrail), François Bourgeon publie ses premiers dessins en 1971, dans des revues pour jeunes filles très sages comme Lisette, avant d’être publié dans la presse catholique (Fripounet, J2 Magazine, Djin…). « C’était une période d’apprentissage intéressante pour celui qui apprend mais beaucoup moins pour celui qui cherche à connaître une oeuvre. En ce qui me concerne, elle est remplie d’ouvrages mineurs pour lesquels j’ai un certain attachement un peu nostalgique, mais qui n’est pas lié à la qualité de ce que j’ai pu créer. » (2)

Certes, mais dans cette rubrique, ce qui nous intéresse justement, ce sont ces fameux travaux du passé, et contrairement à ce qu’en pense notre fabuleux dessinateur et narrateur, ces pêchés de jeunesse valent quand même le coup d’œil, surtout sur le plan graphique ! « Toutefois, je voudrais quand même rajouter que, comme la plupart des auteurs de ma génération, je fais partie des gens qui ont eu la chance de pouvoir apprendre leur métier, relativement discrètement : nous travaillions sur des supports dans lesquels nous avons pu réaliser des essais et faire quelques erreurs sans que ce soit irrémédiable pour nous. Aujourd’hui, il y a très peu de revues qui permettent cela et les jeunes auteurs sont directement obligés de se lancer dans des albums ; si cela ne marche pas, les éditeurs leur ferment définitivement leurs portes ! Même si quelqu’un est très doué dès les premières années de sa vie, il a rarement l’expérience de vingt ou cinquante ans de vie pour avoir le temps de se faire une mémoire, une réflexion, pour avoir quelque chose à raconter ! Il serait souhaitable que le monde de l’édition permette aux jeunes auteurs de perdre un peu de temps, au départ. Malheureusement, les actionnaires ne l’entendent pas de cette oreille et l’investissement à long terme est pratiquement condamné : cela complique énormément la tâche des gens qui démarrent dans ce métier. En plus, ils sont souvent noyés dans la masse de la production actuelle. Tous ces bouquins qui sortent ont-ils la possibilité d’exister réellement ? Y a-t-il plus de place en librairie, plus de journalistes pour en parler, plus d’attachées de presse pour en faire la promotion, plus de lecteurs pour les lire, sont-ils plus riches pour pouvoir les acheter ? Ce n’est certainement pas encore le cas ; donc, des gens sont automatiquement sacrifiés pour des raisons qui n’en valent peut-être pas la peine : il y a quand même une responsabilité à faire croire à quelqu’un que l’on va s’occuper de lui alors que l’on n’en a pas la possibilité matérielle ! » (2)

Donc, en 1972, François Bourgeon publie ses premières bandes dessinées dans le Lisette des éditions Montsouris et dans le Nade des éditions Bayard (le contenu de ces deux titres était rigoureusement identiques, à l’exception de la couverture) : il s’agit de « L’Ennemi qui vient de la mer » (14 planches) et de quelques épisodes de la série « Loyse ».

Ces scénarios assez convenus étaient dus à Henriette Robitaillie (qui signait Cécile Romancère ou Clara), l’une de ces nombreuses journalistes ou romancières qui dépannaient les rédactions de la presse féminine en produisant un bon nombre de scénarios. C’était aussi le cas d’une autre Henriette (Henriette Bichonnier) qui lui écrivit « La Lettre du roi » et la série « Docteur Anne », toujours pour les hebdomadaires Lisette et Nade, en 1972.

Congédié en 1973, suite à la disparition de ces revues, François Bourgeon entre ensuite aux éditions Fleurus où il illustre des récits courts dans Fripounet, magazine d’obédience catholique pour les jeunes enfants. Les scénaristes de ces histoires complètes, souvent historiques, étaient imposés par la rédaction et avaient nom Rose Dardennes, G. Pivot, Jean-Marie Pélaprat, Max Nicet, F. Mocky, Jacques Ferlus, François-Marie Pons ou Mauguil (qui écrivit pas moins de onze épisodes de cinq planches chacun des « Yaourts bleus », lesquels sont parus entre décembre 1973 et septembre 1975).

En fait, le plus prolifique de ces scénaristes était surtout Robert Génin (sur « Aurore », toujours dans Fripounet, en 1975). Ce dernier deviendra l’ami de François Bourgeon et lui permettra, entre autres, d’intervenir efficacement dans ses scénarios.

« J’avais régulièrement envie de changer les scénarios ! Qu’ils soient bons ou mauvais, ce n’était pas le problème : j’avais automatiquement d’autres idées qui se greffaient sur ces travaux ! Robert Génin m’a permis, un peu à son corps défendant parfois, mais surtout par gentillesse et amitié, de traficoter ses textes dans la mesure où il lui arrivait fréquemment d’être pris par le temps, ne pouvant pas les terminer ou les écrire lui-même. Cela donnait, entre nous, des conversations conflictuelles ou amusantes, amicales ou parfois un peu tendues, et c’est ainsi que je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait le plus dans la bande dessinée, c’était de raconter une histoire ! Quand les éditions Glénat m’ont proposé de leur présenter un projet, c’est mon ami Claude Lacroix (avec lequel, beaucoup plus tard, François Bourgeon collaborera sur « Le Cycle de Cyann », en 1993) qui m’a poussé à mettre sur le papier ce que j’imaginais, prétextant que si je prenais un scénariste, quel que soit son talent, cela ne correspondrait jamais à ce que j’avais en tête et que je serais toujours déçu. J’ai suivi son conseil, cela a donné « Les Passagers du vent » pour Circus, en 1979, puis la série médiévale « Les Compagnons du crépuscule » pour (A Suivre), en 1983, et je ne m’en suis jamais mordu les doigts ». (2)

Robert Génin collabora de nouveau avec François Bourgeon, dès l’année suivante, sur la série de science-fiction « Magica »

et sur les moyenâgeux « Brunelle et Colin » (3) dans Djin, successeur de J2 Magazine.

C’est aussi dans cet hebdomadaire pour les filles édité par Fleurus que notre remarquable dessinateur illustra auparavant « La Cabane de Noncières », sur un scénario d’un certain Gabou, en 1974. En attendant son heure, le futur créateur des « Passagers du vent » continue à polir son époustouflant style graphique dans Djin, en mettant en images quelques histoires courtes, destinées à un jeune public féminin, scénarisées par Monique Amiel, Bhi-Chong, Pierre Dombre, Jacques Josselin, Jean-Paul Laselle…

Avant de trouver enfin le succès qu’il mérite avec le grand feuilleton maritime « Les Passagers du vent » (publié à partir de 1979 dans le mensuel Circus des éditions Glénat), François Bourgeon adapte, avec l’aide de Bertrand Solet pour les deux premiers, quelques romans célèbres pour Pif GadgetLe Serpent de mer » et « Le Secret de Wilhelm Storitz » de Jules Verne en février 1978 et janvier 1979, puis « La Vouivre » de Bernard Clavel en août 1981), dessine « La Roulotte » puis « La Gallada » (deux scénarios de François-Marie Pons publiés dans Fripounet en 1980) et illustre « Maître Guillaume » (en 1978) : un scénario didactique sur les bâtisseurs de cathédrales dû à Pierre Dhombre et édité directement en album par Univers Média, une maison d’édition confessionnelle, avant d’être repris dans un beau livre que lui a consacré François Corteggiani (« François Bourgeon : le passager du temps » aux éditions Glénat, en 1983).

Grâce à ses différents et ultimes travaux de commande, son trait arrive à maturité. François Bourgeon va pouvoir désormais conduire son travail avec exigence, sans aucune complaisance, tout en accumulant une documentation sans faille et multipliant les esquisses et les études de personnages (allant jusqu’à construire des maquettes et mouler des masques) (4)

Et surtout, il ne se laissera pas impressionner par les éditeurs, sachant pertinemment que c’est son travail de création qui est à la base du succès de ses bandes dessinées, que ce soit « Les Passagers du vent », « Les Compagnons du crépuscule » ou « Le Cycle de Cyann » que viennent de rééditer somptueusement les éditions 12 bis : et le public ne s’y trompe pas ! « Je pense que tout est une question d’équilibre : les relations entre auteurs et éditeurs sont en train de devenir une discussion entre les éditeurs et les distributeurs (quand les éditeurs ne sont pas eux-mêmes distributeurs), et l’auteur est bien oublié dans tout ça. Une fois que l’on a vendu le produit livre, on a complètement oublié qu’à l’origine il y avait quelqu’un qui n’est toujours pas payé. On copie malheureusement sur les systèmes anglo-saxons qui ont leurs qualités en faisant tourner les machines différemment de nous, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont souvent obligés de venir puiser dans notre littérature, dans notre cinéma et dans nos bandes dessinées pour faire des remakes : leur fonctionnement en équipe les a privés de cette imagination créatrice individuelle que l’on ne retrouve pas dans un groupe, lequel a toujours tendance à supprimer les différences. On arrive donc à une situation avec des standards, donc beaucoup plus calibrée : et l’atypique y est tout de suite repoussé ! » (2)

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

(1) Et en attendant un diptyque inédit de 142 pages à paraître, le 3 septembre 2009 et en janvier 2010 : « La Petite fille Bois-Caïman », tomes 6 et 7 des « Passagers du vent ».

(2) Tous les entretiens avec François Bourgeon reproduits ici sont extraits d’une entrevue que ce dernier a accordé à Gilles Ratier et qui fut publiée dans le quotidien régional L’Echo du Centre en 2003.

(3) Dix-huit épisodes de cinq planches chacun qui furent publiés entre octobre 1976 et septembre 1980, puis furent repris en deux albums aux éditions Glénat en 1979 et 1980. La série fut ensuite reprise graphiquement par Didier Convard dans Gomme en 1981.

(4) Pour en savoir plus sur François Bourgeon, on pourra consulter Les Cahiers de la BD n°65, (A Suivre) n°61 et n°226, Circus n°25, Dommage n°1, Sapristi n°17, n°37, Schtroumpfanzine n°29, Café noir n°4, L’Année de la BD 1981-82 et 1986-87, Auracan n°3 et n°20, Le Goinfre n°12, Parallèles n°8, Bo Doï n°31, n°50, n°81 et n°104, Vécu (NS) n°32, Bandes Dessinée Magazine n°6, On a marché sur la bulle n°6, BullDozer n°4, n°5, L’Intention n°3, DBD (NF) n°11, La Lettre n°94 et les ouvrages suivants :
- « Les Nouveaux Petits-Miquets » d’Yves Frémion, aux éditions Le Citron Hallucinogène, en 1982
- « Bourgeon : Le passager du temps » de François Corteggiani, aux éditions Glénat, en 1983
- « Bourgeon à la Hune » aux éditions Glénat, en 1986
- « Dans le sillage des sirènes »de Michel Thiébaut, aux éditions Casterman, en 1992
- « Les Chantiers d’une aventure : autour des Passagers du vent » de Michel Thiébaut, aux éditions Casterman, en 1994
- « Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits…. » de Paul Roux, aux éditions Mille îles, en 1999
- « Itinéraires dans l’univers de la bande dessinée » de Michel-Edouard Leclerc, aux éditions Flammarion, en 2003
- « François Bourgeon : l’envers du décor » aux éditions de la Bibliothèque municipale de Brest, en 2006
-
Ces livres et revues étant, pour la plupart, épuisés dans le commerce (sauf peut-être les deux derniers), on peut également se référer aux sites auracan.com et bdselection.com qui ont mis en ligne de nombreux articles et interview sur le sujet.

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