« L’Épouvantail » par Jules Stromboni et Olivier Cotte

Après avoir adapté le brillant polar de Michael Dibdin, « L’Ultime défi de Sherlock Holmes », Olivier Cotte et Jules Stromboni transposent dans la collection Rivages Noir de Casterman « L’Épouvantail » (au cinéma « The Scarecrow ») : ce roman noir envoûtant, signé de Ronald Hugh Morrieson, possède indéniablement une ambiance particulière, suscitant une fascination trouble qui n’est pas sans évoquer un autre chef-d’œuvre du 7ème art : « La Nuit du chasseur ». Et dans l’obscurité, une couverture d’outre-tombe…

Dans le film culte de Charles Laughton (1955), Robert Mitchum incarne Harry Powell, prêcheur fanatique à la recherche du butin d’un hold-up, dont les phalanges sont ornées des mots « Love » et « Hate ». Filmé du point de vue du jeune John Harper (10 ans à peine), « La Nuit du chasseur » est une œuvre forte sur la fin de cette innocence qui caractérise les années de l’enfance. John est contraint par les évènements d’agir en adulte, face à des adultes totalement défaillants, voire démoniaques quand s’avance l’ombre du pédophile et du violeur en la personne meurtrière d’Harry Powell.

Couverture originale pour "L'Epouvantail", éd. Rivages/Noir (2006)

Robert Mitchum dans une scène culte...

Ronald Hugh Morrieson (1922 – 1972) est un auteur néo-zélandais aussi connu comme musicien et amateur de boissons fortes que pour ses récits et nouvelles dont « The Scarecrow » (1963), adapté au cinéma en 1982 (le titre français étant « Épouvantail de la mort »). L’action se déroule dans la Nouvelle-Zélande des années 1930 : deux adolescents (Ned Poindexter et Les Wilsond) de la petite ville de Klynham, habituellement occupés à voler des poules, voit arriver un mystérieux inconnu au physique inquiétant, Hubert Salter (interprété par John Carradine dans le film), qui a tôt fait de s’intéresser de près à Prudence, la sœur de Ned. Dans leur propre album, Cotte et Stromboni s’approchent parfois du ton assez ludique et décontracté du long-métrage, même si les deux gamins affrontent un authentique serial killer dans un récit dont la tension et la noirceur poisseuse vont crescendo.

Affiche originale pour "L'Epouvantail" (S. Pillsbury, 1982)

Le premier plat de couverture imaginé pour l’album est relativement fascinant : tandis qu’une ombre digne de « Nosferatu » (F. W. Murnau, 1922) ou d’un zombie rôde en arrière-plan, un arbre décharné tend ses branchages – déjà teintés d’un sang rougeâtre par le crépuscule – vers le visage cadavérique d’une jeune fille. Cette dernière, dont le regard apeuré jeté derrière elle et vers le haut, traduit une grande menace, semble déjà n’être qu’un cri dans la nuit, aussitôt étouffé par une nature complice des pires crimes !

A cette chaleureuse ambiance il faut encore rajouter un para-texte (un titre digne d’Halloween et la mention de la collection Rivage Noir) qui n’incite pas à la franche rigolade. On songera à des références visuelles liées au cinéma de genre des années 1950 et 1960 : films fantastiques et d’horreur de la Hammer, séries des « Dracula » (initiée en 1958 par Terence fisher) avec Christopher Lee et Peter Cushing et veine du cinéma gothique réactualisée par Tim Burton. On pourra ainsi comparer la couverture de « Épouvantail » avec les affiches du premier « Dracula », de « la Momie » (T. Fischer, 1959), de « La Nuit du loup-garou » (T. Fischer, 1961) ou encore de « Sleepy Hollow » (T. Burton, 1999).

Affiche italienne pour "Dracula" (1958)

L’album comme le roman joue à l’évidence avec les nerfs du lecteur : sommes-nous donc les seuls à voir que le sinistre Salter n’a rien du gentil magicien de comptoir et tout d’un infâme assassin, perpétuel insaisissable par les forces de l’ordre ? N’oublions pas que les protagonistes sont des enfants, et qu’il leur faudra malheureusement grandir pour voir – et affronter – la réalité en face. L’unique arbre de la couverture ne saurait donc cacher plus longtemps l’étendue de la menace. L’amoncellement de déchets formant la colline sur laquelle s’avance la silhouette (l’ombre qui marche…) annonce également le motif central : une décharge abjecte des âmes et des corps, où la mort n’est jamais très loin.

Philippe Tomblaine

« L’Épouvantail » par Jules Stromboni et Olivier Cotte
Casterman (18, 00 €) – ISBN : 978-2-203-04888-1

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