Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Samsara T.2 ? par Michel Faure et Frank Giroud, ? Une enquête de l’inspecteur Canardo T.18 : La Fille sans visage ? par Benoît Sokal, et ? Le Codex angélique T.3 : Thomas ? par Mickaël Bourgouin et Thierry Gloris.
? Samsara T.2 ? par Michel Faure et Frank Giroud – Editions Dupuis (15,50 Euros)
Faute de mécènes, une jeune enseignante progressiste de Manchester doit se résoudre à fermer la classe où elle prônait des idées fraternelles et égalitaires (riches et pauvres y avaient les mêmes droits), en cette fin du XIXème siècle. C’est alors qu’on lui remet un journal relatant les tribulations de son colonial de père qui vient de décéder. Ce manuscrit mettant à jour une partie de son douloureux passé, la jolie Anglaise débarque aux Indes britanniques pour rejoindre sa sœur et son beau-frère. En effet, pour financer son école, notre vaillante suffragette au caractère bien trempé est bien décidée à retrouver le trésor convoité, 28 ans plus tôt, par sa famille ; ceci malgré une terrible malédiction qui semble régner sur elle, depuis plusieurs générations, et sans se soucier des nombreux dangers qui l’attendent dans cette région pourtant réputée pour son hostilité… Et nous voilà partis pour une incroyable chasse au trésor dans le pays des maharadjahs, au cœur des jungles indiennes ; un parcours parsemé de nombreux clins d’œil aux initiés : la cité perdue et les richesses de Golconde nous renvoyant à « Bob Morane » et son vieillard de gardien devenu fou au « Spectre aux balles d’or », un épisode de « Blueberry »)… Si on rajoute à cela de formidables couleurs directes qui subliment l’exubérance du trait somptueux et baroque de Michel Faure (particulièrement dans les paysages luxuriants et envoûtants où déambulent nombre de personnages énigmatiques aux trognes très expressives), on obtient l’un des meilleurs récits d’aventure que le 9ème art nous ait offerts ces derniers temps : l’habile conteur qu’est Frank Giroud ayant parfaitement su utiliser l’histoire avec un grand H, tout en nous intriguant avec un récit passionnant où le romanesque en bande dessinée prend sa véritable dimension !
? Une enquête de l’inspecteur Canardo T.18 : La Fille sans visage ? par Benoît Sokal – Editions Casterman (10 Euros)
Avec cette dix-huitième enquête de son palmipède ivrogne et cynique, plus souvent spectateur qu’acteur, Benoît Sokal (toujours secondé efficacement par Pascal Regnauld) nous prouve que, même s’il est plus enclin, ces derniers temps, à s’enthousiasmer pour les univers graphiques des jeux vidéos, il est toujours un grand auteur de bandes dessinées ! En commençant comme une aventure de « Gil Jourdan » (avec des cascades automobiles dignes de « Surboum sur 4 roues ») et en se terminant dans une ambiance Tintinesque où des comploteurs cagoulés semblent sortir tout droit des « Cigares du pharaon », cette nouvelle aventure ne déroge pas à la règle ! En effet, ce polar animalier, créé en 1978 dans les pages des premiers numéros du mensuel (A Suivre), continue de renouveler les poncifs d’un 9ème art quelque peu empreint de belgitude, tout en respectant la tradition : sans s’embarrasser d’une morale restrictive, cette savoureuse série dénonce sans complaisance les tares et les faux semblants de notre société. Un soir de beuverie comme les autres, Canardo ramène la belle Galina, une gentille fille de l’Est qui termine son turbin (pardon, son tapin!) à trois heures du mat’, dans sa Cadillac 1956. Sur la route, il est heurté violemment, par un richissime fils à maman, et les deux oiseaux de nuit finissent à l’hôpital. Si le canard noctambule sans sort sans séquelles, la prostituée, elle, n’a plus beaucoup de visage. La fortunée mère du responsable de ce terrible accident, qui plus est se révèle être un déviant sexuel, la confie alors aux bons soins du docteur Merveille, un ami de la famille, qui exerce son art chirurgical et « esthétique » dans la clinique des Pins, bien à l’abri des paparazzis…
? Le Codex angélique T.3 : Thomas ? par Mickaël Bourgouin et Thierry Gloris – Editions Delcourt (12,90 Euros)
Soyons francs, mon esprit cartésien à souvent du mal avec ce genre d’histoire historico-fantastique. Pourtant, comme le souci premier du prometteur scénariste qu’est Thierry Gloris est de finaliser une histoire crédible, je dois bien reconnaître que ses histoires, qui se déroulent d’ailleurs dans un univers historique très documenté, finissent par me surprendre par leur maîtrise et leur profondeur ; mais aussi par l’efficacité de ses dialogues et de ses références aux feuilletonistes du XIXème siècle ! D’autant plus que la qualité de la narration va souvent de pair avec celle des graphistes avec lesquels il travaille : comme c’est le cas ici avec l’impressionnant trait de Mickaël Bourgouin (dont c’est la première série), lequel nous assène également un habile savoir-faire quant à son adéquate mise en couleurs. Ce triptyque intriguant, à vous donner la chair de poule, commence dans le Paris de la Belle Epoque où un tueur en série, qui nous rappelle un peu Jack l’éventreur, fait les choux gras de la presse. Pendant ce temps-là , un jeune homme ne pense qu’à sa mère, terrassée par un arrêt cardiaque vingt ans plus tôt. Son oncle, inventeur de l’hibernation artificielle, la maintient dans sa splendeur d’antan, espérant la faire revivre grâce à quelques incantations prélevées dans un ouvrage de sciences occultes écrit par un mystérieux moine : « Le codex angélique ». Mais, finalement, le héros devra procéder à un choix cornélien : pour que sa génitrice puisse renaître, la femme qu’il aime doit mourir…
Gilles RATIER