« Légende » T6 (« Le Secret des Eïles ») par Yves Swolfs

Si vous recherchez un jour le sens du mot « légende », vous trouverez comme première définition un « récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique ». Nul doute qu’en construisant peu à peu sa série, initiée en 2003 pour les éditions Soleil, le dessinateur et scénariste Yves Swolfs a dû prendre en considération une trame faisant appel ainsi aux éléments clés du folklore médiéval : un héros chevalier, des forces aux pouvoirs maléfiques, un petit peuple opprimé, une nature doublement féérique et dangereuse, et, bien sur, d’inaccessibles châteaux perchés sur quelques éperons enneigés. Voici donc un imagier symbolique parfaitement retransmis par les couvertures de l’ensemble de la série …

La série « Légende » se compose d’un premier cycle, constitué de 5 albums (T1 « L’Enfant loup » en 2003, T2 « Les forêts profondes » en 2004, T3 « La Grande battue » en 2006, T4 « Le Maitre des songes » en 2008 et T5 « Hauteterres » en 2011), et d’un premier one-shot paru en décembre 2012 (T6 « Le Secret des Eïles »). Ces différents titres proposent par conséquent d’emblée aux lecteurs un univers, le Moyen Age, perçu sous l’angle du genre Fantastique – voire Heroic Fantasy - et du récit de type Merveilleux : comme on le voit, le mythe de l’enfant sauvage prédestiné, élevé par des loups, reprend également tout un univers légendaire. On se rappellera ainsi aussi bien la naissance de Romulus et Remus lors de la fondation mythique de Rome que de celle de Mowgli dans « Le Livre de la jungle » (R. Kipling, 1894), ou encore du titre homonyme du film semi-documentaire de François Truffaut réalisé en 1969.

Dans le premier tome de la série, la mise en abyme du conte initiatique est instaurée puisque Tristan de Halsbourg y relate la légende qui a fait de lui un « Chevalier errant ». Il raconte indirectement comment, près de vingt ans auparavant, le château de son père fut attaqué et brûlé par son propre frère, Matthias le sec. Encore bébé mais sauvé des flammes et abandonné en forêt, Tristan fut ensuite recueilli par un étrange ermite meneur de loup. Douze années en pleine nature, parmi la meute et loin des félonies du monde politique, vont lui permettre de développer ses réflexes de survie. Mais, unique héritier potentiellement vivant, il représente une menace pour le trône de son oncle. Ce dernier, conseillé par le fourbe sorcier Milos Shaggan, recherche en vain un enfant qui porterait sur son torse la marque de naissance de la famille…

Réalisées à la manière des affiches de film, les couvertures d’Yves Swolfs mettent en conflit/relation deux mondes qui se croisent, s’affrontent, se reflètent et tendent au climax archétypal attendu dans ce genre de récit. Les visuels des tomes 1 à 5 semblent de fait boucler la boucle en montrant par deux fois l’évolution de Tristan, enfant devenu un preux chevalier susceptible de protéger comme il se doit la veuve, l’orphelin(e) ou les anciens. Sur l’ensemble de ces tomes, les différentes menaces représentées semblent suivre un cycle crescendo (hommes de troupe en armes, adversaire redoutable à l’épée, diabolique Shagan et ses créatures infernales) que seul l’arme du héros arrivera à renvoyer au néant afin de rétablir la justice et la paix. L’épée, précisément, est sans doute l’un des principaux éléments clés de la série puisqu’on la retrouve sur la quasi intégralité des couvertures (tome 4 mis à part), dans une évocation qui laissera là aussi la place à d’autres références médiévales légendaires : l’épée Durandal du chevalier Roland, l’épée Excalibur du roi Arthur, l’épée Gram des contes nordiques ou encore l’épée Joyeuse, arme ayant appartenu à Charlemagne et utilisée lors du sacre des premiers rois de France à partir du XIIème siècle.

Renvoyée à l’arrière-plan ou carrément inexistante sur les couvertures du premier cycle, l’image de la femme est un peu plus portée en avant avec le tome 6 qui dévoile le buste d’une intrigante femme elfique (dont le portrait est dessiné à partir de l’actrice américaine Uma Thurman). Après l’automne et l’hiver, c’est également un nouveau cycle naturel qui s’annonce si l’on s’en réfère aux paysages visibles dans les alentours. Pour l’occasion, et après avoir reconquis son trône et passé quelques mois à remettre les choses en bon ordre, le chevalier Tristan est de retour dans la Nature qui l’a vu grandir. Mais ses nuits sont hantées par les Eïles, créatures envoûtantes qui essaient de lui voler son âme pendant son sommeil… Comme à l’accoutumée, le « chevalier errant » se trouve donc placé sur le dilemme du bon chemin à suivre : de la féérique jeune femme ou du sombre château se tenant devant lui, lequel est à vrai dire le plus hospitalier ou le moins dangereux ?

Mythe, conte ou légende, l’Aventure vécue est-elle finalement bien réelle ? Tristan s’endort et se réveille, raconte son propre « cycle arthurien » par personne interposée tandis que les albums se dévoilent sous des titres qui laissent « songeurs » : dès le tome 1, un certain Aelred de Hilseim prend en effet la parole et se fait chroniqueur d’événements logiquement passés, lointains et plus ou moins incertains, où la fiction, les époques et la réalité ont tôt fait de se retrouver entremêlés. Autre élément troublant, l’épée de Tristan, qui figure seule sur l’illustration du coffret rassemblant les trois premiers tomes de la série, est ornée de l’effigie d’une jeune femme au visage de sainte et aux yeux clos, « comme plongée dans un songe éternel et douloureux » (case 2, page 5 du premier tome). Est-il donc permis de croire que la série met finalement en exergue ce que dévoile son titre : la grande Aventure n’y est peut-être qu’un conte, narré par un enfant-chevalier dont les rêves d’adultes (les combats à cheval, l’affrontement avec les forces du mal, l’héroïsme et l’éveil à la sexualité) se heurtent à la conscience de soi. Car la véritable aventure qui se dévoile en filigranes au fil des cases et des visuels est toute autre mais essentielle : l’enfant loup des origines, saisi entre le Bien et le Mal échappera-t-il in fine à la violence des temps et évitera-t-il de devenir un loup… pour l’homme ?

Philippe Tomblaine

« Légende » T6 (« Le Secret des Eïles ») par Yves Swolfs

Éditions Soleil Production (13, 95 €) – ISBN : 978-2-302-02438-0

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