Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Philippe Caza (deuxième partie)
Voici le deuxième volet de notre dossier sur Philippe Caza : un retour sur sa déjà longue carrière, par l’intermédiaire d’une interview fleuve très illustrée que Jean Depelley avait réalisée, en 2001, en vue d’un livre qui devait paraître aux USA. Ceci afin de saluer, comme il convient, la parution de ses deux nouveaux albums : « Le Jardin délicieux », bande dessinée de soixante pages où ce fabuleux dessinateur revisite, avec autant de talent que d’humour, le mythe originel d’Adam et Eve, et « La Fin du monde ne passera pas ! », joli recueil de cinquante dessins écolos (voir http://www.bdebookcaza.com) !
bdzoom.com : Comment s’est passé votre entrée à Métal hurlant ?
Philippe Caza : Quand j’ai vu Métal paraître, j’ai tout de suite bondi ! C’était le journal qu’il me fallait. Non pas que je ne fus pas bien à Pilote, mais j’y exploitais seulement une de mes possibilités.
Tout à coup, en voyant Métal, je me suis dit qu’il y avait autre chose que j’avais envie de faire et que j’allais peut-être pouvoir faire, en particulier, quelque chose de plus franchement science-fiction.
À Pilote, à partir du moment où j’avais commencé les « Banlieue », qui marchaient bien, on m’en redemandait, on me promettait des albums, on me disait de continuer dans cette voie.
C’est d’ailleurs ce que j’ai fait et c’était bien… Je ne le regrette pas… Mais, en même temps, j’avais toujours envie de faire de la science-fiction, des grands trucs cosmiques, lyriques. J’ai préparé « Sanguine », ou « L’Oiseau-Poussière », et j’y suis allé.
bdzoom.com : En regardant votre collaboration à Métal hurlant, on se rend compte qu’elle est assez épisodique. Il y a exactement 13 numéros dans lesquels vous apparaissez. On sent en vous un artiste prudent. Vous assurez les séries chez Pilote ( « Les Scènes de la vie de banlieue » et « L’Âge d’ombre ») qui seront publiées en albums Dargaud. En même temps, vous vous autorisez des petites incartades expérimentales chez un éditeur plus jeune, les Humanoïdes Associés, où votre travail est très intéressant.
Philippe Caza : Oui, oui, c’est exactement cela… J’avais charge de famille. Il fallait assurer financièrement… Il faut bien reconnaître que Pilote et la maison Dargaud étaient extrêmement solides, qu’on était bien payés à la page, qu’on était sûrs d’être payés, que les droits d’auteurs sur les albums tombaient régulièrement et officiellement tous les trois mois. Alors qu’à Métal hurlant, c’était beaucoup plus aléatoire ! ! Mais j’ai toujours réussi à être payé… Parfois tardivement… Si mes souvenirs sont bons, ils ont dû déposer le bilan deux ou trois fois quand même, du temps de Dionnet…
 bdzoom.com : Il y a un épisode des « Scènes de la vie de banlieue » dans un Métal hurlant (MH # 25). Comment est-ce possible ?
Philippe Caza : Voyons voir… Est-ce que c’est « Bienvenue à VilleVille 2 » ?
bdzoom.com : Voilà  ! Dans cette histoire, il y a aussi Jean-Pierre Andrevon qui est coincé dans les cabinets !
Philippe Caza : Oui, j’ai toujours bien aimé faire des clins d’Å“ils un peu vaches à des copains… Cette histoire a été refusée par Pilote. Il trouvait que j’y allais un peu fort et que la situation d’un marginal des années 70 n’était quand même pas comparable à celle d’un Juif dans les années 40 sous Hitler. Ce qui est vrai, bien sûr ! Je ne leur en ai pas voulu pour autant… Je n’appelle pas cela de la censure, c’est plutôt un choix éditorial. On accepte un certain niveau et après cela déborde… Je respecte l’opinion de Guy Vidal, qui était alors rédacteur en chef de Pilote. Simplement, j’avais mes pages sur les bras et je suis allé les porter à Métal hurlant. J’ajouterai que Dionnet n’était pas mécontent de faire – non pas un sale coup – mais un pied de nez à Pilote !
bdzoom.com : Vous vous êtes souvent représenté comme étant le héros de vos histoires. Pour quelle raison ?
Philippe Caza : Je dirai pour pas de raison du tout ! C’est venu comme cela, comme bien des choses que l’on fait sans but bien pensé… Après, à la réflexion, on s’aperçoit que ce n’est pas du hasard… Tout a commencé par une histoire appelée « Le Caillou rouge », qui est à cheval entre les séries Pop-Art et les histoires plus réalistes et plus contestataires de la « Banlieue ». Je m’étais mis en personnage principal pour la simple raison que j’avais écrit l’histoire à la première personne. Lorsque je l’ai dessinée, je me suis dit : « Et bien, pourquoi ne pas me représenter ? ». C’est quelque chose que Gotlib faisait beaucoup dans Pilote. Il était le spécialiste de l’autoportrait. Il faut dire que c’était les débuts de la BD « d’auteur ». On éprouvait le besoin de dire « C’est moi qui parle ».
bdzoom.com : Était-ce pour appuyer votre message politique ?
Philippe Caza : Oui, je pense. Mais je crois que je n’aurais pas pu faire autrement, en fait… Je n’aime pas beaucoup – et je ne sais pas faire – les discours politiques généraux et idéologiques. Cela venait de l’intérieur, c’était une approche personnelle. Je ne me donnais pas forcément le beau rôle d’ailleurs… Je pouvais avoir divers rôles imaginaires, fantasmatiques, selon les besoins de l’histoire. Cela faisait partie du jeu. J’étais parfois la victime, le révolté ou même… le terroriste ! Cela me permettait d’aller jusqu’au bout de mes convictions, grâce à l’humour, grâce au dessin. Je faisais sur le papier des choses que je n’aurais évidemment pas faites dans ma vie, et que même je réprouve !
bdzoom.com : Vos histoires expriment souvent un retour à la nature. Il y en a une en particulier dans Métal hurlant...
Philippe Caza : Oui… Tout cela est aussi très lié à ma vie personnelle. Au début des années 70, j’ai quitté Paris et je me suis installé en pleines Cévennes. Mon premier voisin était à 1 kilomètre et demi ! Je continuais d’ailleurs à faire des « Scènes de la vie de banlieue », non sans rire de moi-même ! Ce que j’ai retiré de la période post-68 et qui me reste aujourd’hui, au-delà des convictions politiques, ce sont les convictions écologistes. Je reste écolo pur et dur… Cela s’est exprimé dans ma vie réelle par cette émigration dans les Cévennes, même si, passé un temps, j’ai éprouvé le besoin de revenir à la civilisation. L’histoire de Métal hurlant que vous citez doit être « La Paix » (MH # 66). Elle était sortie quelques années avant dans un petit opuscule publié par Kesselring et intitulé « Fume, c’est du Caza » !(1976). Dans ce livre, je me prenais aussi comme personnage pour, en quelque sorte, raconter ma vie personnelle (réelle et fantasmée) pendant l’écriture des « Scènes de la vie de banlieue ». C’était un peu « Les Scènes de la vie de campagne », dans un style expression directe. On était en plein dans l’Underground…
bdzoom.com  : Pouvez-vous expliquer les événements autour de « Coup dur à Stalingrad », la plus grande BD du monde, réalisée par toute l’équipe pour fêter Métal Hurlant # 50 ? Comment s’est passée votre participation ?
Philippe Caza : Et bien, exactement comme je le raconte dans la BD elle-même ! En fait, j’ai reçu ce courrier avec les planches précédentes de l’histoire,et quand j’ai vu ce que cela devenait et que ça partait dans tous les sens, j’ai essayé de remettre un peu d’ordre là -dedans… C’était vraiment la demande de ManÅ“uvre. Du coup, j’ai obtenu de faire 4 ou 5 pages alors que chacun n’en faisait qu’une, en principe. J’ai changé de style à chaque page, comme si j’étais plusieurs auteurs ! C’était un petit jeu personnel que je me suis offert. Cela dit, malgré mes efforts d’ordre, c’est ensuite reparti de plus belle dans le « déconnage » ! C’était bien la peine de se donner tant de mal, tiens !
bdzoom.com  : C’est durant cette année 1979 que l’extraordinaire portfolio « Caza » 30X30 paraît.
Philippe Caza : Oui, cela s’est fait à la même époque. Je me souviens très bien être allé à Paris une semaine pour travailler sur la maquette du 30 X 30 et qu’en même temps j’ai fini sur place, dans les bureaux des Humanos, mes planches pour le Métal # 50…
bdzoom,com : Ce portfolio est votre consécration à Métal hurlant.
Philippe Caza : C’était surtout ma consécration en tant qu’illustrateur. Il n’y a pas de BD dedans, mais seulement mon travail d’illustrateur.
C’était une idée de Dionnet de réunir le trio infernal : Druillet, Mœbius et Caza dans des albums beaux comme des 33 T.
C’est resté dans toutes les mémoires comme une référence, car on n’avait encore jamais eu cela et on ne l’a pas vraiment eu par la suite non plus, en dehors du fait que, les uns et les autres, nous avons continué à sortir de-ci de-là des compilations d’illustrations.
bdzoom.com  : Vous continuiez encore à cette époque vos travaux d’illustrateur de couvertures de romans de science-fiction ?
Philippe Caza : Oui, en 1974-75, donc en plein dans ma période Pilote - Métal hurlant, c’était la fin de mon époque Opta et mes débuts chez J’ai Lu…, et je continue d’ailleurs : je dois en être à 150 couvertures chez eux.
bdzoom.com : À partir de là , vous sortez des bandes fabuleuses dans Métal hurlant, comme « Arkhé » (# 74), « Axolotls » (# 78), « M le Maudit » (#80), « Laïlah ou les ténèbres » (#91), qui marquent le journal de l’empreinte Caza. Vous considériez-vous alors comme faisant partie de l’équipe Métal hurlant ?
Philippe Caza : Oui, oui… Même si je produisais d’avantage dans Pilote… Quand je venais à Paris, je passais rapidement chez Dargaud, mais je restais deux jours à Métal. Dionnet me faisait la liste des films qu’il fallait que je voie et des livres qu’il fallait que je lise ! Métal et Opta, c’étaient mes lieux de cÅ“ur, ma famille… plus peut-être que chez Pilote.
bdzoom.com : Ces histoires font référence à la mythologie chrétienne, avec la chute de Satan, l’arche de Noé… Revendiquez-vous ce patrimoine culturel ?
Philippe Caza : Oui, bien sûr. Cela vient de « La Bible », effectivement, mais aussi des auteurs que je citais tout à l’heure, comme Victor Hugo, qui a lui-même aussi puisé dans « La Bible ».
C’est dans mes racines, de même que la mythologie grecque, qui m’a fortement marqué lorsque je l’ai découverte comme tout le monde à l’école…
Même si je me suis détaché de toute religion, j’assume totalement le fait d’avoir mes racines dans « La Bible »…
bdzoom.com : Et les illustrateurs du XIXème siècle, comme Gustave Doré ?
Philippe Caza : Oui, bien sûr ! J’admire « La Bible » de Doré et, peut-être plus encore, « La Divine Comédie » de Dante, qu’il a divinement illustré.
Il se trouve que j’ai appris l’italien au lycée en planchant une année entière sur « La Divine Comédie » dans le texte !
Quant à Doré, il reste très important encore maintenant. J’ai souvent ses livres sous la main. Je vais y chercher des ambiances, des ombres, des lumières…
bdzoom.com : Vos couleurs ont toujours été assez novatrices et pour ces histoires, vous avez commencé à travailler en couleurs directes.
Philippe Caza : Oui, à partir d’ « Arkhê »…
bdzoom.com : Vous y avez poursuivi vos recherches graphiques et développé un lettrage très stylisé. C’est vraiment une approche artistique totale.
Philippe Caza : Oui, complète… C’était bien cela mon idée. Je pensais que le support de Métal hurlant pouvait me le permettre… J’avais malgré tout l’intention de faire « une bande dessinée », c’est-à -dire un récit mélangeant textes et images, mais je cherchais, justement, d’autres manières de mélanger texte et image. Je voulais faire un texte illustré ou une série de dessins accompagnés de textes, le tout racontant malgré tout une histoire, avec le texte dans la marge du dessin ou le dessin dans la marge du texte. Je souhaitais me mettre en marge de la bande dessinée, en quelque sorte, pour que mon ambition, mes envies puissent s’exprimer.
J’avais déjà commencé dans cette voie avec « Le Caillou rouge » ou « Les Scènes de la vie de banlieue » où le rapport entre le texte et le dessin n’était pas exactement celui, ni du roman illustré, ni de la bande dessinée, mais quelque chose un peu entre les deux, plus proche de la voix-off que du texte inclus classiquement dans l’image par les bulles.
J’étais très branché sur ce genre de choses. C’est sans doute lié à mes goûts littéraires, au fait que j’aime écrire et, qu’à certains moments, l’écriture pourrait se suffire à elle-même.
Cela peut aussi venir de mes goûts de maquettiste pour la typographie et le lettrage évidemment, la mise en page et la place du texte dans la mise en page elle-même, etc… J’aimais bien les travaux des grands maquettistes comme Faucheux ou Massin.
Celui-ci avait fait un livre sur « La Cantatrice chauve » d’Ionesco dans lequel il y avait tout un jeu de typographie superposée aux photos des acteurs, photos elles-mêmes poussées au trait, donc réduites à des signes. Tout ce jeu sémantique texte-image me passionne toujours, comme les trouvailles de Jean-Luc Godard à l’écran ou les apports du multimédia, l’hypertexte…
bdzoom.com : Avez-vous déjà tenté l’expérience d’écrire des nouvelles ou un roman ?
Philippe Caza : En ce moment même, j’ai deux nouvelles qui sont publiées dans le numéro 13 de Ténèbres, une revue consacrée au Fantastique.
Il y a une nouvelle ancienne que j’avais écrite en guise d’interview pour un fanzine et qui parle de « Quand les costumes avaient des dents ».
Il y a aussi une nouvelle plus récente, dans un style fantastique quotidien proche du Bradbury noir du « Pays d’octobre ».
bdzoom.com : Vous avez aussi raconté l’histoire d’« Alien », revue à travers les yeux de la psychanalyse dans Métal hurlant #104. Est-ce un concept pour lequel vous aviez prévu d’autres histoires ?
Philippe Caza : C’est un one-shot qui est parti d’une commande de la rédaction de Métal, comme la série « Zodiaque ». ManÅ“uvre avait demandé à chaque artiste de faire deux pages en toute liberté sur son film fétiche. Je crois que peu ont répondu… Moi, j’ai tout de suite pensé à « Alien », c’était effectivement mon film fétiche (et peut-être qu’il le reste, d’ailleurs !) Après, ma tournure d’esprit tordue et un tant soit peu branchée sur la psychanalyse a fait le reste. L’expérience m’a tenté de recommencer sur d’autres films. Je me suis amusé plusieurs fois à écrire des choses comme cela, parce que tel ou tel film me semblait nourri de symboles, volontairement ou non de la part de ses auteurs. Je me souviens avoir écrit un texte sur « Supergirl », que j’avais vu comme un très joli voyage initiatique. Je ne me suis pas plongé dans ce genre de choses plus sérieusement, mais je pourrais, parce qu’un certain nombre de grands classiques, en particulier dans le cinéma fantastique, sont nourris de fantasmes et d’onirisme, éminemment « psychanalysables ». Mais ce n’est pas mon métier, non plus !…
Fin de la deuxième partie
 Jean DEPELLEY
 Avec un tout petit peu de Gilles RATIER pour l’introduction et la mise en page !
Pour lire la première partie, cliquez ici : http://bdzoom.com/57251/patrimoine/philippe-caza-premiere-partie/
Voir aussi : http://www.bdebookcaza.com
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