« The Crow : édition définitive » par James O’Barr

Les éditions Delcourt ont récemment sorti une édition définitive de « The Crow », la mythique série de James O’Barr. Une édition qui comprend tous les récits réalisés par l’auteur durant de longues années, finalisant le puzzle au gré des besoins, des blessures, des envies… Une œuvre d’une sensibilité extrême, d’où son accomplissement tardif car inhérent à l’humanité de l’auteur et faisant écho directement à sa vie comme rarement cela aura été le cas dans l’histoire des comics…

« The Crow » est une blessure. Profonde. Indélébile. La perte irréparable de l’être aimé. La mort. Le meurtre. Injuste et vain, aussi tragique qu’insensé… Il y a celle qui meurt, et puis il y a celui qui reste. Oui, des restes… Car la vie ne s’arrête pas partout de la même manière… James O’Barr était bien jeune lorsque sa fiancée perdit la vie à cause d’un chauffard, drame qui lui insufflera un insupportable sentiment de culpabilité alors qu’il n’y était pour rien… On imagine la souffrance aiguë de ce jeune homme à la charnière de ses 20 ans, perdant pour toujours sa chérie, d’une manière aussi tragique et absurde… On imagine aussi qu’un exutoire soit indispensable pour continuer à vivre après pareil chagrin. Cet exutoire, ce sera « The Crow », où le drame vécu par James et sa fiancée va être transposé dans un récit désespéré où suinte à chaque trait la colère, la douleur, l’anéantissement de soi… Même si le terme est devenu péjoratif, on ne peut que dire de « The Crow » qu’elle est une œuvre adolescente, dans le sens « noble » du terme, c’est-à-dire avec des faiblesses, une sensibilité à fleur de peau, des réactions épidermiques, mais sans que soient absents l’émotion réelle, le message fondamental, les qualités de fleurs vénéneuses mais riches de poids et de sens. Ce n’est pas pour rien que certains poètes français du XIXème siècle, comme Rimbaud, font partie de l’univers de cette œuvre, avec une nette préférence pour Baudelaire et ses somptueux poèmes d’amour et de mort…

 

Cette adolescence s’exprime aussi bien sûr par le trait, car lorsqu’il a commencé « The Crow » en 1981, O’Barr abordait la vingtaine et n’avait pas d’expérience professionnelle du dessin, même si cet art a toujours été sa passion. Tout au long des épisodes de cette œuvre qui furent réalisés de manière assez sporadique entre 1981 et 1995, on sent donc les énormes progrès d’O’Barr en termes de trait, de composition et de contrastes. C’est surtout à partir de 1989 que l’auteur va travailler de manière plus régulière sur « The Crow », une année où un autre « héros gothique » va entrer en scène : Sandman. Mais The Crow serait plutôt proche de la sœur de Sandman, la si touchante Death, qui aurait pu être la « fiancée de l’au-delà » d’Eric si ce dernier n’avait pas réussi à rejoindre sa chère Shelly par-delà la vie terrestre. Le style gothique du personnage est clairement affirmé et revendiqué, par exemple dans les musiques qui ont aidé l’auteur à créer cette œuvre (Joy Division, The Cure…). De plus en plus puissant dans sa stature au fil des récits, le héros au corbeau acquiert avec les progrès techniques de l’artiste une dimension de plus en plus sombre et impressionnante, flirtant avec l’exagération. La colère et la tristesse ne s’éteignent pas comme ça, décidément… On le comprend. Le seul et unique chauffard de la réalité est même si ignoblement existant et nocif dans l’esprit d’O'Barr qu’il devient une bande entière de loubards dans la bande dessinée, sa connerie meurtrière étant si insupportable qu’elle se démultiplie en un nombre conséquent d’individus dans la fiction.

 

On ne peut qu’être touché par autant de vérité de ton, d’intention, « The Crow » exprimant finalement par la création ce qui détruit un être dans la réalité. Un exutoire violent mais porté néanmoins vers la vie, malgré tout, contre tout, pour ne pas péter un câble. On ne peut être que confondu par cette vérité exprimée et l’idée d’un pardon par-delà la vengeance lorsqu’on sait que James O’Barr a eu une vie difficile avant même qu’il naisse. Une mère enceinte de lui allant de prison en hôpital psychiatrique, une famille d’accueil où il ne se retrouve pas, et le seul bonheur qu’il peut enfin vivre fauché par un chauffard… On ne peut que respecter la force et la faille d’O’Barr, avec une histoire pareille… et comprendre chaque trait qu’il incise sur le papier. On comprend aussi qu’il lui ait fallu plusieurs longues années avant de pouvoir dessiner enfin ce qui devait être raconté dans la version « finie » de « The Crow ». Parce que la faille ne se résorbe pas, par essence… et que le temps permet d’autres choses. Ainsi, dans cette édition définitive trouve-t-on des épisodes qu’O’Barr a réalisés récemment pour compléter le récit général. Généralement de tendres scènes d’amour venant contrebalancer par de subtils lavis les épisodes au noir et blanc aussi cru que la violence qui s’y exprime. L’ensemble de l’album est donc un incessant va-et-vient entre passé et présent, souvenir et vécu, avec ce sentiment diffus de devoir clore quelque chose sans l’oublier.

 

Les fans de cette œuvre seront plus que comblés avec cet album qui contient donc de nombreux inédits, soit une trentaine de pages comprenant un chapitre final spécialement réalisé pour cette édition. De même, des épisodes perdus ont été restaurés par l’auteur dans la grande tradition de la trame mécanique et du lavis, comme il tient lui-même à le préciser haut et fort dans sa préface de l’ouvrage. Un ouvrage dédié à Brandon Lee, le fils de Bruce Lee décédé sur le tournage de l’adaptation cinématographique de « The Crow » : non, non et non, ne croyons pas aux malédictions, et souhaitons à James O’Barr tout le meilleur de la vie, pour toujours.

Cecil McKINLEY

« The Crow : édition définitive » par James O’Barr

Éditions Delcourt (17,95€) – ISBN : 978-2-7560-3512-3

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