Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Magasin Général » T8 (« Les Femmes ») par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp
D’abord prévu en trois tomes, puis annoncé en six, c’est dorénavant sur neuf tomes que nous devons compter pour tout savoir du « Magasin Général », entrepris en 2006 par Loisel et Tripp, et dont le huitième tome vient de paraître. Huit tomes où l’on trouve un peu de tout, comme dans un Magasin Général, précisément. Quant à tout savoir de Notre-Dame-des-Lacs (au Québec, il n’existe qu’un Notre-Dame-du-Lac devenu Temiscouata-sur-le-Lac) est-ce possible ? Les auteurs s’y essaient, mais s’arrêteront-ils à neuf tomes, finalement ?
Tout a commencé quand Marie, la veuve de Félix Ducharme, décide de s’occuper elle-même du magasin, élément vital du village et lieu de rencontre. Tout le monde y tient et tout le monde la soutient : les commères qui pourtant jasent abondamment, les paysans plutôt rustiques qui attendent leurs commandes. D’ailleurs, le village tout entier est un univers convivial où tout est évènement : l’arrivée d’un jeune curé (et son amitié pour le vieux mécréant constructeur d’un bateau), le retour des frères Latulippe, trappeurs pittoresques s’il en est, jusqu’à ce Serge qui, bloqué par la neige, s’installe dans une dépendance du Magasin. Avec lui, c’est l’effervescence : non seulement, il s’attire les faveurs des uns et des autres en les aidant à tuer le cochon, mais il va jusqu’à concocter un mémorable repas de réveillon de Noël. Mieux : Serge se décide à ouvrir un restaurant… De fil en aiguille, le petit peuple se demande quand Serge et Marie vont se marier. Mais Serge a avoué son homosexualité à Marie… Stupeur et tremblements ! De leur côté, Marie et le jeune Marceau, dans un bref moment d’attirance mutuelle, se sont abandonnés l’un à l’autre, un épisode charnel qui n’a pas tardé à se savoir. La promise de Marceau, Clara, a débarqué publiquement au Magasin Général en furie, accusant Marie de lui avoir volé son fiancé. Le curé s’en mêle ; le village entre en ébullition. Marie décide de partir et Serge lui prête un appartement qu’il a encore à Montréal. Pendant ce temps, la tension monte au village, scindé en deux camps : ceux qui regrettent Marie (surtout les hommes) et ceux qui sont heureux qu’elle soit partie (surtout les femmes). A Montréal, Marie s’amuse comme une folle, sort et multiplie les amants…L’histoire aurait pu s’arrêter là , mais les auteurs ont manifestement été incapables de quitter leur progéniture de papier, et c’est tant mieux ! Marie est revenue et la chronique a repris, celle des mauvais jours et des bons moments, celles des grandes nouvelles aussi : dans ce dernier tome, Marie apprend avec surprise qu’elle est enceinte, ne sachant si c’est de d’Ernest ou de son frère Mathurin. Doute encore avec Réjean, le jeune curé, qui ne sait plus ce qu’il doit croire et abandonne son église… Ces héros sont fragiles, c’est pourquoi on les aime. Les rebondissements sont minimes, les mouvements du cÅ“ur en balancier, les aléas plutôt climatiques, c’est pourquoi on s’en délecte ! On ne vient pas au « Magasin Général » pour l’action, peut-être même y vient-on pour l’inaction, pour prendre son temps, tâter le pouls d’une population autarcique, l’entendre papoter (dans ce langage québécois si attachant concocté par Jimmy Beaulieu), commenter ces petites choses qui font l’épaisseur des jours. Des choses qui ne se disent même pas. Certaines pages juxtaposent ainsi des cases muettes illustrant des moments (pages 10/11, 18/19, 35, 48, 51…) ou des occupations, qui se répètent inévitablement, pour montrer que le temps passe, les saisons aussi, tout simplement, sous l’œil d’un trio animalier (chat, canard et ourson) digne de Benjamin Rabier !
On n’a pas tout dit de cette œuvre atypique tant qu’on n’a pas souligné l’excellence des couleurs de François Lapierre qui mériterait de figurer en couverture. Il est pour beaucoup dans la fascination que ces pages exercent sur le lecteur : paysages délicieux, intérieurs chaleureux, décors neigeux, joues rosées… C’est doux et cotonneux, boisé et rassurant…
Finalement, on irait bien passer le réveillon à Notre-Dame-des-Lacs, comme c’est le cas dans l’album !
Alors, bon voyage !
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Magasin Général » T8 (« Les Femmes ») par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp
Éditions Casterman (14, 95€) – ISBN : 978-2-203-04922-2