À la recherche d’Héctor Germán Oesterheld

La fin d’année 2008 permet, enfin, au public francophone, de pouvoir lire deux des mythiques historietas (bandes dessinées publiées en Argentine) de Héctor Germán Oesterheld, l’un des plus célèbres scénaristes de ce pays d’Amérique Latine : « L’éternaute » dessiné par Francisco Solano Lopez (chez Vertige Graphic) et « Sgt. Kirk » illustré par Hugo Pratt (chez Futuropolis).

Né en 1919 à Buenos Aires, Héctor Germán Oesterheld avait commencé sa carrière dans la bande dessinée en 1950, après avoir mené de front des études en géologie et l’écriture de plusieurs contes pour enfants. Il collaborera, par la suite, avec les plus grands artistes argentins ou exilés italiens de l’époque (de Hugo Pratt à Alberto Breccia, en passant par Francisco Solano López, Eugénio Zoppi, Julio Schiaffino, Paul Campani, Jorge Moliterni, Gustavo Trigo, Carlos Freixas, Ivo Pavone, Carlos Roume, Arturo Del Castillo, Dino Battaglia, Leopoldo Durañona, Ruben Sosa…) et créera Frontera, l’une des plus importantes maisons d’éditions de son pays, laquelle publiera plusieurs magazines qu’il alimentera d’un nombre impressionnant de scénarios. Pour en savoir plus sur l’œuvre de ce fécond scénariste, consulter le passionnant catalogue de l’exposition « Historieta : regards sur la bande dessinée argentine » chez Vertige Graphic ou encore les meilleurs ouvrages de références concernant le sujet : comme le « Larousse de la BD » ou le « BD Guide ».]

De « L’éternaute », on ne connaissait, sur le territoire francophone européen, que sa version tardive de 1969, plus politique, car dénonçant l’asservissement de l’Amérique latine par les grandes puissances occidentales, et magnifiée par les dessins d’Alberto Breccia : elle fut publiée en France dans les revues Phénix et Charlie Mensuel, en 1973, puis en album par Les Humanoïdes associés, en 1993.

Grâce à Vertige Graphic, on peut donc découvrir l’œuvre d’origine, dessinée par Francisco Solano López, laquelle parût de 1957 à 1959 (dès le premier numéro de l’hebdomadaire Hora Cero Semanal) et fit également l’objet d’une adaptation en dessin animé, en 1968. Située dans un Buenos Aires criant de vérité, cette série de science-fiction nous tient en haleine avec une histoire d’invasion extraterrestre où, comme dans tous les récits de cet imaginatif scénariste, l’aventure arrive quand un homme quelconque, inscrit dans la routine et le quotidien, se retrouve confronté à une situation extrême. Ici, Oesterheld se met lui-même en scène : un homme capable de voyager dans le temps apparaissant, soudainement, dans la chaise en face de lui, alors qu’il était tranquillement en train d’écrire dans son bureau. Ce sont cent vingt pages en noir et blanc, au format à l’italienne où s’impose le talent graphique de Solano López, qui constituent le premier épisode et le premier volume (il y en a eu trois en tout) de cette fable fantastique proposée par Vertige Graphic.

En ce qui concerne « Sgt. Kirk », ce western peu conventionnel où le héros ayant assisté au massacre d’un groupe de Peaux-Rouges, perpétré par le 7e régiment de la cavalerie américaine dont il fait partie, décide de déserter et de prendre la défense des Indiens, a fait l’objet de nombreuses traductions dans notre langue : dont quelques épisodes dans Les Pieds Nickelés Magazine (en 1972) et en albums à la Sagédition (de 1975 à 1978) ou encore aux Humanoïdes associés (de 1984 à 1987). Il faut noter qu’il s’agit du premier scénario important d’Oesterheld et de sa première collaboration avec Pratt : ils réaliseront ensuite « Ticondera » et « Ernie Pike » (en 1957), puis « Lord Crack » et « Lobo Conrad » (en 1958). Publié en Argentine, à partir du 9 janvier 1953 dans le magazine Misterix, « Sgt. Kirk » d’Hugo Pratt (aidé pour l’encrage par Ivo Pavone, de 1954 à 1955) est devenu une valeur de référence dans l’histoire de la bande dessinée réaliste. Les six épisodes présentés dans le premier volume de l’intégrale en français démarrée par Futuropolis (qui correspond aux planches remontées et numérotées 1 à 180 dans la réédition italienne des éditions Ivaldi) sont pratiquement tous inédits en albums, même s’ils avaient été déjà proposés dans la revue Rintintin de la Sagédition (de 1975 à 1977) et, partiellement, dans deux albums pirates tirés à 250 exemplaires (aux éditions Cormoran), en 1980 et 1981 !

D’autres héros célèbres comme « Bull Rockett » (illustré en 1952 par Paul Campani, puis par Francisco Solano Lopez), « Randall » (dessiné avec panache par Arturo Del Castillo, en 1958) ou comme « Mort Cinder » (le chef-d’œuvre d’Alberto Breccia, en 1962, toujours disponible en France, chez Vertige Graphic) sont sorti de l’imagination du prolifique Héctor Germán Oesterheld : et il aurait pu en créer bien d’autres, seulement, voilà…

Le 21 avril 1977, en Argentine, un groupe paramilitaire à la solde de la dictature instaurée par les généraux, fait irruption au domicile du scénariste. Comme ses quatre filles qui connaîtront le même triste sort, Héctor Germán Oesterheld est enlevé puis torturé. Malgré une requête signée par l’ensemble de la profession, plus personne ne le reverra et son nom s’inscrit, depuis, sur la longue liste des martyrs de ce régime fasciste. Quand le journaliste Paolo Ongaro enquêtera sur sa disparition, deux ans plus tard, il obtiendra cette réponse : « Nous l’avons éliminé pour avoir réalisé la plus belle histoire qui existe sur Ernesto Che Guevarra »

On ne compte plus non plus les hommages qui lui ont été rendus en Argentine et dans le monde entier, tel ce collectif intitulé « Pétition : à la recherche d’Oesterheld et de tant d’autres » et publié par Amnesty International-Belgique, en 1987. De nombreux auteurs, et non des moindres (William Vance, Laudec, François Craenhals, Christian Darasse, Marc Michetz, André Geerts, Philippe Berthet, Franz, Frank, Christian Denayer, MiTacq, Jean-Claude Servais, Felicissimo Coria, Didier Comès, Tome & Janry, Michel Weyland, Frédéric Jannin, Dino Attanasio, Chris Lamquet, Ferry, René Follet, Serge Ernst, Will, Carine De Brabanter, Jidéhem, François Walthéry, Jo-Ël Azara, Cosey, Lucien De Gieter, Eric Maltaite, René Hausman, Turk, Pierre Seron, Eddy Ryssack, Charles Degotte, Marc Wasterlain, Marc Hardy, Bob De Moor, Tibet, Derib…), mirent en bandes dessinées la vie de cet homme qui s’imposa comme l’un des auteurs les plus importants d’Amérique du Sud. Hugo Pratt, lui-même, le célébrant comme « le meilleur scénariste que j’aie connu » De l’autre côté de Corto ».
‘>Propos repris de l’excellent livre de Dominique Petitfaux sur Hugo Pratt, aux éditions Casterman : « De l’autre côté de Corto ».
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Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

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2 réponses à À la recherche d’Héctor Germán Oesterheld

  1. « Ticondera » (sic)… Pauvre, pauvre, pauvre Oesterheld…

    • Gilles Ratier dit :

      Évidemment, c’est « Ticonderoga » qu’il faut lire : désolé !

      Nous relisons pourtant plusieurs fois nos textes et nous faisons le maximum pour éviter ce genre d’erreur mais, justement, l’erreur est humaine ! Vous ne vous trompez jamais, vous ? Alors c’est que vous n’êtes pas très humain (ce qui ne m’étonnerait pas vu le dédain sous entendu dans votre missive) !
      Cordialement quand même, du moins en ce qui me concerne…
      Gilles Ratier

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