« L’Envolée sauvage » T3 (« Le Lapin d’Alice ») par Hamo et Laurent Galandon

La collection Grand Angle, que dirige Hervé Richez chez Bamboo, abrite quelques séries bien intéressantes. Parmi celles-ci, « Le Train des orphelins » dont nous vous avons déjà parlé, et « L’Envolée sauvage », une série historique dont l’action se déroule pendant la Seconde guerre mondiale.

Les deux premiers volumes ont connu un beau succès, porté par le bouche à oreille et la prescription. Ils ont reçu plusieurs prix (prix du Conseil Général à Blois en 2007 ; prix de la BD des collégiens à Angoulême en 2008). Ils ont été nominés aux « Essentiels jeunesse » au festival d’Angoulême en 2009 et sélectionnés parmi les 20 indispensables de l’été 2008 par l’ACBD (Association des Critiques de Bande Dessinée).

L’Envolée sauvage tome 1 couverture

Si vous avez manqué le début, voici un petit rappel :

Au bord d’une rivière, au cœur d’un paysage paisible, un homme âgé est assis. Il observe les oiseaux et les dessine. Il semble serein, même si  l’on aperçoit les chiffres tatoués sur son avant-bras gauche. On l’appelle : « Simon ! ».  Il se souvient …

Il se rappelle un temps ancien, quand déjà, il regardait et dessinait les oiseaux et que l’on était en 1941.

Simon est orphelin et vit dans un village demeuré encore à l’écart de la tourmente avec d’autres enfants perdus dont s’occupent la brave Marinette et le curé, le père Magloire. Mais bientôt, l’horreur se rapproche, l’antisémitisme gagne le village. Simon se fait traiter de juif et on le montre du doigt, comme les autres juifs. Pressentant le danger, le curé expédie Simon à Paris, dans un orphelinat prison où la vie est plus rude. Paris est occupé et les gens font la queue pour aller visiter la dernière exposition dont on parle : « Le Juif et la France ». Simon s’enfuit et trouve refuge dans une ferme où vivent une jeune femme et son fils. Il pense avoir trouvé la paix en s’occupant des oiseaux mais, non loin de là, la milice veille et l’étoile cousue sur la veste de Simon brille trop fort …

On aime beaucoup cet album, tendre et terrible, que l’on garde longtemps en tête après l’avoir refermé. Cette histoire, entre récit intimiste et historique, est aussi une chronique douce-amère des temps de guerre, de la haine ordinaire qui peut briser la vie d’un enfant. Le jeune héros, Simon, est très attachant, naïf, insouciant et inquiet en même temps. Il ne mesure pas toujours ce qui est en jeu en cette époque troublée et le vol d’un bel oiseau peut le plonger dans le ravissement et lui faire oublier tout le reste. Tout ceci est montré, dessiné, écrit, avec beaucoup de pudeur et de délicatesse, sans trop d’effets appuyés. On s’immerge rapidement dans la vie de Simon, et des détails toujours très bien choisis et amenés rappellent au lecteur les menaces qui guettent le jeune héros. Le second volume, très réussi également, est d’une tonalité plus sombre. Une seule éclaircie dans l’enfer, la rencontre de Simon et d’Ada.

Le deuxième cycle :

Cinq ans après, voici donc « L’Envolée sauvage » revenue, pour un deuxième cycle, que l’on peut lire et apprécier sans avoir nécessairement lu le premier. L’on y suit le destin d’Ana, l’adolescente rencontrée par Simon.

L'Envolée sauvage tome 3 première planche

Nous sommes à Paris en juillet 1942. La ville est occupée et les étoiles jaunes sont cousues sur les vêtements. Ana y vit assez tranquillement avec ses parents et sa sœur Lucja. L’on se réjouit à la perspective d’un bon repas, l’on y apprend l’algèbre ou la conjugaison. Le soir, Ana raconte des histoires à Lucja, qu’elle adapte aux demandes de celle-ci qui ne se sépare jamais de son lapin blanc en peluche. Ce sont, pour cette famille juive sans histoire jusqu’à présent, les derniers moments de bonheur.

L'Envolée sauvage tome 3 page 4

Car dans la nuit du 16 au 17 juillet, elle est arrêtée brutalement par la police française et emmenée au Vélodrome d’Hiver. 13000 personnes s’y entassent durant plusieurs jours dans des conditions très difficiles. Les parents d’Ana et de Lucja comprennent que, pour sauver leurs filles, il faut les faire sortir de là. La tante Margaux, qui appartient à un réseau de résistance, organise leur évasion et prépare leur changement d’identité. Les deux fillettes, devenues Alice et Camille Humbert, partent à la campagne où Berthe Montfleur les accueille dans sa ferme. Malgré son apparence de sorcière qui effraye la petite Lucja, Berthe veille attentivement sur elle et Ana, qu’elle protège et qu’elle remplume. Une autre vie commence, avec l’école au village, de nouveaux amis, des disputes façon « guerre des boutons », où il est question de « collabos » et de « terroristes », la messe du dimanche … Il faut oublier le passé, les êtres chers dont on n’a plus de nouvelles. Il faut apprivoiser l’angoisse, se méfier des apparences. Il faut survivre, il faut grandir. Ana sent tout cela et elle endosse ces lourdes responsabilités avec un sang-froid admirable.

L'Envolée sauvage tome 3 page 8

Malgré le sujet difficile, ce nouvel album, magnifique, met en scène des enfants plongées dans la tourmente de l’Histoire. Dans la narration principale en couleurs, sont enchâssées de belles planches en noir en blanc représentant les histoires qu’Ana raconte à sa sœur pour apaiser ses angoisses, dans lesquelles elles sont mises en scène. L’album est plein de poésie et d’émotions subtilement mises en images et en mots. Il y dénonce l’antisémitisme « ordinaire », celui des « bons » Français qui n’hésitent pas à dénoncer leurs compatriotes. Il montre les exactions de la zélée police française et le courage tout comme l’engagement des résistants et des Justes qui se battent pour sauver des vies et lutter contre la barbarie. En cela, l’album fait aussi, et de belle façon, devoir de mémoire.

 

L'Envolée sauvage tome 3 page 38

Au scénario, on retrouve Laurent Galandon, l’auteur de plusieurs séries publiées dans la collection Grand Angle, « Gemelos », « L’Enfant maudit », « Le Cahier à fleurs » ou « Les Innocents coupables ». Ce scénariste sensible et attentif aux mondes possède de nombreuses qualités : écriture ciselée et fine, capacité à raconter les êtres et les événements, à susciter l’émotion avec pudeur et profondeur, sans toutefois en faire trop. S’ajoute à cela ce qu’il appelle le devoir de mémoire.

« Je rencontre souvent le jeune public, qui ignore le sens des mots Shoah ou déportation. C’est abstrait pour eux et il y a de moins en moins de survivants pour témoigner. […] Le devoir de mémoire peut alors passer par la bd, qui reste un support accessible, une passerelle pour poser des questions et découvrir l’histoire. »

C’est Hamo, jeune dessinateur belge qui fit ses débuts dans Spirou, qui remplace Arno Morin au dessin. Il raconte :

« La passation s’est faite naturellement, je n’avais pas de consignes et Arno m’a dit de surtout le faire à ma manière. J’ai misé sur le côté moins réaliste de mon dessin, plus rond, et j’ai privilégié un découpage franco-belge pour rendre mes personnages plus vivants, plus dynamiques. D’ailleurs, dessiner des enfants m’a vraiment permis de développer cet aspect du dessin, d’aller vers des choses encore plus expressives. »

Souhaitons à ce deuxième cycle un aussi joli destin que le précédent. Il le mérite vraiment.

« L’Envolée sauvage » T3 (« Le Lapin d’Alice ») par Hamo et Laurent Galandon

Catherine GENTILE

Éditions Bamboo (13,90 €) – ISBN 978 2 8189 2209 5

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