« Le Loup des mers » par Riff Reb’s, d’après Jack London

L’homme est un loup pour l’homme, c’est connu. Les pires sont les loups de mer, pas la poiscaille redoutable que l’expression désigne, mais ces hommes sans foi, sans loi, sans toit, ou plutôt qui n’ont de foi, de loi que les leurs, et de toit, que la mer immense – j’allais dire immonde. Le héros de Jack London est de ceux-là, un de ces capitaines à la stature carnassière, au verbe haut, l’œil perçant, la barbe hirsute, une bête grimaçante et hurlante qu’on ne pourra plus jamais voir autrement qu’à travers la représentation de Riff Reb’s…

Ce dernier s’est jeté sur le roman de London avec avidité pour en extraire deux hommes : l’un, Humphrey Van Weyden, veule, faible, petit, miteux, minable… L’autre, Loup Larsen, le géant, la trogne, la gueule, la poigne… Deux êtres que tout oppose. Tout ? Non ! Ils se découvrent une passion commune : les mots et les écrivains ! Tout a commencé bêtement : un naufrage, un rescapé. Humphrey part de San Francisco, avec l’air satisfait du jeune gentleman écrivaillon qui pense que tout va bien, que tout est prévu, que son avenir est tout tracé, mais à la manière de ces oiseaux de malheur qu’on rencontre au début de certaines aventures de Tintin, il croise un vieux Philipulus marinier venant annoncer la catastrophe. Elle arrive. Le bateau sombre et Humphrey, sauvé, se retrouve à bord d’un bateau roulant « dans la grande houle du Pacifique » et s’éloignant désespérément de la Californie. « Désespérément », car son capitaine n’a nulle intention de ramener le petit homme vers l’Amérique rassurante et civilisée. Humphrey Van Weyden est désormais prisonnier de cette coque ballottée et esclave de son tyran qui commande, bouscule, frappe, humilie, jette à la mer…

Peu à peu, Humphrey constate : « J’ai découvert le supplice de Loup Larsen, mon intimité s’étant accrue, si l’on peut parler en ces termes, d’une relation entre le roi et son bouffon, l’enfant et son jouet ou… La mort et le vieillard » ! En effet, l’Enfer est sur le pont et il ne fait que commencer, car Lou Larsen, ce diable d’homme, est aussi philosophe : il lit beaucoup, cite des noms d’écrivains, de poètes, de penseurs, à tour de bras, presque autant que d’injures, pour affirmer haut et fort son épicurisme (l’instant est inestimable, le reste n’est rien !) et son nihilisme, affirmant par exemple : «L’homme est un animal médiocre et sans l’apparition de la conscience, il aurait disparu depuis longtemps de cette planète»… Larsen convoque Nietzsche, Darwin, Spencer, pour mieux se débarrasser du monde et du doute : « Si vous étiez aussi sûr de l’existence d’un au-delà, est-ce que votre corps dirait : Vivre ! Je veux vivre ! ».

Avec « À bord de l’Étoile Matutine » adapté précédemment par Riff Reb’s d’après Mac Orlan (paru en 2009 dans la collection Noctambule chez Soleil), il s’agissait déjà d’une histoire sans concession, oscillant entre la cruauté digne de pirates assoiffés d’or et la violence indigne d’individus truculents en mal de compagnie. Au fil de chapitres à peine colorés (juste une teinte apposée aux dessins noir et blanc et différente à chaque fois), Riff Reb’s dessinait déjà des décors saturés, détaillés et réalistes et croquait des personnages aux mines patibulaires. On continue de s’extasier de  cette fougue graphique, de cette violence du trait qui hachure, qui triture, qui dénature et de cette sauvagerie qui anime les vagues, balance l’écume, difforme  l’horizon, transfigure le monde et le rend tempétueux et assourdissant.

 

Alors, bon voyage en haute mer…

 

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Le Loup des mers » par Riff Reb’s, d’après Jack London

Éditions  Soleil, collection Noctambule (17,95 €) – ISBN : 978-2-302-02435-9

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