« Un léger bruit dans le moteur » par Jonathan Munoz, Gaet’s et Jean-Luc Luciani

Il n’y a pas que des voyages exotiques et enchanteurs. En bande dessinée, notamment, certaines destinations portent en effet au trouble, à l’angoisse, au malaise. Songez à « Piège nuptial » ou « La Peau de l’ours », chroniqués ici-même pendant l’été. C’est aussi le cas d’« Un léger bruit de moteur » ou l’histoire d’un « enfant qui tue les gens », quelque part, dans un hameau isolé, oublié dans ses marécages glauques, au bord d’une route terreuse improbable où ne passe presque personne, un bourg aux maisons de bois branlantes où s’agite une communauté régressive à souhait…

À l’origine, « Un léger bruit dans le moteur » est un roman de Jean-Luc Luciani. Quand il l’écrit, en 1999, « La base du travail, explique-t-il, était la suivante : écrire une histoire totalement hors normes, à la limite du publiable. Qui ne reposerait que sur le style de l’écriture. Effectivement une fois le manuscrit terminé, beaucoup de gens l’ont lu, aimé, mais m’ont dit qu’il était impubliable ». Publié, il le fut pourtant (aux éditions l’Écailler, 2004 puis 2012), mais était-il possible de l’adapter, de mettre en images des mots qui avaient déjà du mal à passer ? C’est tout le pari de ce volume hors-normes…

La bande dessinée met en scène un bled aux allures vaguement américaines : il y a un « market » et des autos rondouillardes à pare-chocs chromés, très années 50. Pourtant les noms prénoms des personnages (Mme Frolignac !) sont plutôt franco-terroirs ! Mais l’auteur joue l’ambigüité comme pour cette épicerie qui est « closed », page 80.C’est en tout cas là qu’est né un gamin dont la naissance a provoqué la mort de sa mère. Un traumatisme chez cet enfant qui en veut, en plus, à son père d’avoir trouvé une autre femme. Alors, d’« accident » en « accident », le gosse revanchard, décime le petit peuple minable qui l’entoure. Derrière son visage d’ange et son regard placide, se cache un serial-killer calculateur, froid, épouvantable, à tel point qu’il n’y a aucune raison pour s’intéresser à un être aussi tordu. Mais les adultes qui l’entourent sont si mauvais, si abjects qu’on veut savoir ce qu’ils sont vraiment, tous, et où ira ce poulbot au cerveau chamboulé. Car, ce qui choque, ce n’est pas tant le ratissage systématique d’une population, certes locale et minime, mais qu’il vienne d’un gamin. C’est là qu’est le nœud et l’enjeu de cette histoire « impubliable » racontée par l’enfant lui-même, un petit diable qui régit son monde sans éveiller le moindre soupçon, mais qui a tout à craindre d’une voiture qui passe – enfin ? – et de Laurie, la petite voisine.

Au-delà du récit implacable et volontairement malsain, il faut insister sur ce que lui apporte la bande dessinée car le travail de Jonathan Munoz enfonce le clou – et l’image n’est pas prise au hasard -. Sous son trait charbonneux et sa mise en couleur tantôt bleuâtre, tantôt grisâtre ou ocre, voire façon carte à gratter par ailleurs,  l’auteur installe un monde rural et déjanté, un univers de fin du monde ou de « trou du cul du monde » comme on dit souvent, qui joue savamment de l’ombre et de la lumière. Les quatre pages du cahier graphique final confirment d’ailleurs le talent de l’auteur dont c’est semble-t-il le premier album.

Bref, c’est noir, oppressant, horrible, parfaitement mené et diablement bien dessiné ! Alors, comment dire… : « bon voyage » ?!

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Un léger bruit dans le moteur » par Jonathan Munoz, Gaet’s et Jean-Luc Luciani

Éditions  Physalis (17,90 €) – ISBN : 978-2-36640-007-6

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