COMIC BOOK HEBDO n°44 (04/10/2008).

Cette semaine, DEATH de Gaiman, LES INVISIBLES de Morrison, WISDOM de Cornell, et HOOD de Vaughan.

DEATH : LA VIE… À QUEL PRIX ! (Panini Comics, 100% Vertigo)

Death : The High Cost of Living est le premier des deux spin-offs de Sandman que Neil Gaiman a consacrés à la sœur du Roi des Songes. Il sortit à l’époque en trois parties, de mars à mai 1993 (c’est-à-dire exactement en même temps que la fin du cycle Sandman : Brief Lives, titre ô combien évocateur reliant ces deux parutions parallèles), et fut publié en TPB en juin 94, agrémenté du récit court Death Talks about Life. Quant au second spin-off, intitulé Death : The Time of your Life, il sortit à la suite directe du dernier numéro de Sandman, revêtant ainsi et malgré lui le rôle d’épilogue, d’avril à juillet 1996 (cette mini-série devait compter quatre chapitres, mais seulement trois furent réalisés, réunis en TPB en mai 1997). Espérons que Panini publiera ce second opus !

On sait qu’avec Gaiman, les choses sont toujours un peu… décalées, et pourtant si proches de nous. Il en va bien sûr de même avec cette mini-série cocasse et imprévisible, un peu folle mais éminemment lucide, et finalement poignante. Comme vous le savez si vous êtes des lecteurs fervents de Sandman, celui-ci et Death appartiennent à la famille des Infinis, entités omnipotentes régissant l’ordre des choses. Gaiman a donné à la Mort un visage d’ange gothique, une beauté d’où émane énormément de compassion, de malice, de gentillesse, bref, une image bien loin de celle de l’horrible faucheuse. Death ne prend pas les vies humaines avec joie, ni avec haine, elle les prend, tout simplement, car c’est dans l’ordre des choses. Ce postulat permet à Gaiman de ne pas caricaturer la personnification de la mort, quelle qu’aurait été sa vision du personnage. Et c’est parfait. Death échappe à tout ce qu’on pourrait penser d’elle, craindre d’elle. Elle est espiègle et profonde, sensible, souvent étonnante, et l’on ne peut que la trouver terriblement attachante, très émouvante. Sans nous le dire, Gaiman nous fait travailler sur nous-mêmes, la grande humanité de cet auteur ressortant une nouvelle fois de l’esprit de ses œuvres.

« Un jour par siècle, la Mort prend forme humaine, pour mieux comprendre cette vie qu’elle spolie, et savourer l’amertume de la mortalité. Tel est le prix à payer pour être celle qui sépare les vivants de tout ce qui les a précédés, de ce qui viendra après eux. » Voilà donc de quoi il s’agit précisément ici. Non, Gaiman ne fait pas venir la Mort sur Terre comme beaucoup l’ont ou l’auraient fait, il choisit une option bien plus poétique et philosophique en forçant la Mort elle-même à savoir ce qu’est la Vie, sans la protéger, sans qu’elle la voie de l’extérieur, la ressentant au contraire bien en elle, profondément, tout comme les vivants ressentent la mort en eux lors du dernier souffle. Ne jamais oublier le prix inestimable de la vie, et accepter l’existence de la mort, voilà vers quoi nous emmène Gaiman. Des idées simples, saines. Mais si compliquées lorsqu’elles s’articulent autour de nous, loin des pages des bandes dessinées. Presque impossibles à assimiler, la vie nous entraînant d’elle-même dans son onde à la célérité inconsciente. Gaiman aurait pu plonger Death dans une réalité de vie où toute la logique de celle-ci éclate au grand jour ; l’auteur en a décidé autrement, et c’est dans un bien étrange quotidien que nous évoluons, nous demandant même souvent où il veut en venir. Mais Gaiman ne vient à rien, il traverse juste une tranche d’existence, avec tous ses aléas et bizarreries, et exprime l’inévitable engrenage qui nous fait dévier tout en restant soi.

Dans cette histoire, Death s’incarne ce jour-là en Didi, jeune femme insouciante. Son chemin croise celui de Sexton Furnival, un adolescent blasé qui pense fort au suicide. Tous deux vont se retrouver mêlés à une histoire abracadabrante, séquestrés par un dingue avide de pouvoir absolu, rencontrant aussi une clocharde âgée de 250 ans à la recherche de son cœur, des types louches, et étant constamment confrontés à ce que coûte la vie, en argent cette fois, histoire que les choses soient bien claires pour la compréhension totale du titre. Encore une fois, Gaiman fait plonger le réel dans le fantastique puis le fantastique dans le réel afin d’exprimer son propos en l’élargissant sur des champs de perception baroques mais indispensables. Les dessins de Chris Bachalo et Mark Buckingham illustrent joliment ce récit très spécial: certains passages sont tout simplement très beaux.
L’album se finit sur un court récit qui n’est pas vraiment une histoire mais plutôt un message informatif sur le sida où Death elle-même nous dit comment rester en vie par rapport à ce fléau. C’est en bichromie, c’est très beau, c’est dessiné par Dave McKean (promis, la semaine prochaine je ne parlerai pas de lui ni de Gaiman, pour une fois !). Ah oui, et en introduction, vous pourrez lire un texte assez nébuleux de Tori Amos, puisque la chanteuse est amie avec Neil. Pour finir, et parce qu’avec Gaiman il est toujours question d’amour, écoutons ce que dit Death, de retour de son périple d’un jour en la vie : « J’aurais voulu que ça dure toujours. »

LES INVISIBLES vol.2 : ENTROPY IN THE U.K. (Panini Comics, Vertigo Big Book)

Vous aimez Grant Morrison ? Vous avez bien raison !!! Morrison est un scénariste important, un auteur nécessaire en ces temps édifiants. Vive Grant Morrison ! Avec Warren Ellis, l’un des seuls ayant de l’audience et qui se permette de faire du rentre-dedans avec talent et acuité, bousculant la médiocrité en place sans démagogie. Lire un récit de Morrison, c’est toujours un acte en miroir de ce qui nous dégoûte dans notre monde réel, en en tirant une certaine énergie pour ne baisser ni les yeux ni les bras. Parce que l’humour est là. Parce que la puissance est là. Morrison refuse de ne pas regarder la merde en face. Et il nous le dit. Et il réfléchit. Et nous pose des questions. Et y a intérêt à avoir – sinon des réponses – au moins une réaction de vie. Il attend de ses lecteurs autre chose qu’une lecture admirative. Il donne des coups de pied au cul de notre constance pour nous faire réagir ; pour agir, tout simplement. Refermer le bouquin et se dire que rien ne devra ternir son intégrité et ses pulsions de vie. Bah oui, je sais, cette chronique doit vous sembler un peu loin de la bande dessinée, depuis le début, parlant de mort et de résistance, mais ceci est bien le reflet d’un état de fait : les comics abordent de plus en plus des sujets difficiles et primordiaux, et c’est tant mieux, mon dieu… Il faut arrêter de dire que les comics sont enfin devenus adultes ! Ça fait deux décennies qu’ils le sont (les épisodes du présent ouvrage datent de 1995 et 1996) ! Ils ne font « juste » qu’évoluer à l’intérieur de cette nouvelle strate, et heureusement ils évoluent bien, proposant des œuvres de tout premier ordre, intelligentes, courageuses, talentueuses et jouissives.

Dans ce monde actuel où tout semble devenu violent au sein d’un nivellement des esprits par le bas et d’une uniformisation de la pensée, où la violence est même devenue une esthétique, une valeur faisant mode, l’autre violence parfois nécessaire que peuvent revêtir certaines formes de résistance ne sont souvent aujourd’hui qu’une attitude sans substance et même une sorte de trahison à l’esprit humaniste frondeur (les faux rebelles, vous voyez ce que je veux dire ?). Et au milieu de ce foutoir, un Morrison, un Ellis, un Moore, un Keith, un Talbot, des auteurs et des artistes engagés mais avant tout des électrons libres qui en ont marre, qui gueulent mais qui gueulent vraiment, qui s’offusquent là où tout le monde ou presque se tait honteusement, inacceptablement, moins « limite » que Frank Miller et finalement bien plus thrashs que lui !!! Morrison et ses petits copains ont su trouver la parade à la surenchère de la violence dénaturée en revenant à des choses plus essentielles, mais exprimées avec outrance, avec des gros mots et des idées énormes. Bah oui, je sais. Mais c’est comme ça. Le monde est devenu si immoral que ce sont les punks qui sont obligés de faire le sale boulot de ranimer les consciences, quitte à se faire traiter de pornographes de la pensée. Rien de nouveau sous le soleil ? Oui et non, comme d’habitude. Mais bref. Revenons à nos humains, euh… à nos moutons.

J’espère vraiment que vous n’avez pas loupé le premier volume des Invisibles qui est sorti en février dernier ! Si c’est le cas, alors rattrapez le retard ! Les Invisibles sont un groupe de personnalités extraordinaires qui opère dans l’ombre pour sauver le monde de l’emprise d’une race extra-terrestre mettant à mal le tissu même de notre réalité. Le propos de Morrison dans Les Invisibles est limpide (dans la lignée d’œuvres de science-fiction comme Matrix des frères Wachowski ou du magnifique La Vérité Avant-Dernière de Philip K.Dick) : notre réalité n’est pas la réalité. Et personne ne semble le voir. Traumatisme. Heureusement pour l’humanité aveugle, les Invisibles sont là, ils traquent, réagissent, et c’est parfois assez dingue. Mais l’équipe même des Invisibles est constituée de dingues ! Le leader, King Mob, est l’ennemi n°1 de la Conspiration. C’est un combattant physique et psychique redoutable. King Mob a une personnalité fictive dans laquelle il peut se réfugier : Gideon Stargrave, l’espion psychédélique (avec pattes, col pelle à tarte et pattes d’eph)… Quand je vous disais que c’est dingue ! Et encore, z’avez pas tout vu, il y a aussi Fleur de Coucou, la belle sorcière télépathe venue du futur, Mec, l’ex-flic assez combative et qui est une femme malgré son nom, Lord Fanny, le shaman brésilien travesti, Jim Crow, la star du rap vaudou, et enfin Jack Frost, ex-voyou et futur Bouddha. Oui oui, vous avez bien lu, ce n’est pas moi qui défaille, c’est Morrison qui délire. Et mon dieu ce que ça fait du bien de lire une bande dessinée qui ne fait pas semblant, qui y va, quitte à aller trop loin, pour mieux revenir mais revenir dans le dingue et nous entraîner dans un tourbillon où l’on ne sait plus trop où on en est. Être réellement surpris est devenu si rare, dans cette profusion d’esbroufe travestie, elle aussi. Ça fait du bien, d’être secoués, ça oxygène et élimine les toxines. Les Invisibles est une œuvre de Morrison plus dans la lignée de The Filth que du Superman qu’il écrit pour Frank Quitely, bien sûr, et cette facette de son talent, ouvertement politique et consciente, témoigne de l’existence d’une vraie contre-culture qui perdure : ouf ! Car la « prise de conscience » continue encore aujourd’hui, dans Desolation Jones ou Ex Machina, deux œuvres qui dépotent et font réfléchir, ou même dans Civil War où l’on parle de fonds de pension et des dangers de la politique ! En France, pendant ce temps-là, de faux intellos continuent de faire la révolution entre quatre murs trop éclairés d’une galerie en vue, persuadés que les Américains biberonnent tous du Disney.

Bref. Ce deuxième volume reprend les épisodes 13 à 25 de la série, soit 328 bonnes grosses pages de subversion : de quoi passer un bon moment ! Vous pourrez donc lire la suite mouvementée des événements déployés dans le premier volume, dans un découpage toujours aussi efficace. Les Invisibles continuent de combattre la Conspiration, sont à la recherche de Jack Frost qui a disparu, doivent affronter le redoutable Sir Miles et la polymorphique Mlle Dwyer, mais aussi des démons peu ragoûtants. Nous apprendrons au passage que le passé de Lord Fanny fut parfois terrible, comme celui de Mec. Et King Mob va subir d’horribles tortures. Un programme chargé, donc, où notre appétit de délirer en a pour son argent. Plusieurs dessinateurs ont réalisé ces épisodes : Phil Jimenez, Tommy Lee Edwards, Paul Johnson, Steve Yeowell, Mark Buckingham et Jill Thompson : pas mal ! Les couvertures originales, toutes reproduites, sont absolument géniales, signées par le très talentueux Sean Philips.
Le premier volume s’intitulait Say You Want a Revolution, celui-ci Entropy in the U.K., on passe donc des Beatles aux Sex Pistols : vivement le prochain album !

WISDOM : RUDIMENTS DE SAGESSE (Panini Comics, Max)

Les fans de la série Excalibur connaissent évidemment le nom de Peter Wisdom. Comme le rappelle l’introduction de cet album, ce personnage a été créé par Warren Ellis, et s’inscrit donc dans une lignée de « héros » désabusés, cyniques et pour tout dire tordus. Son pouvoir ? Oh, vous savez, des histoires de doigts et d’énergie… Rudiments de Sagesse est le premier volume consacré à Wisdom dans la collection Max, reprenant les six épisodes de cette mini-série signée Paul Cornell, Trevor Hairsine et Manuel Garcia, parue initialement en 2006-2007. Le fait que Cornell soit anglais donne une continuité affective au personnage original, et on le sent à l’aise avec le contexte de la série. Depuis un certain moment, l’Angleterre subit les attaques du monde des fées : fées elles-mêmes, évidemment (plutôt pas gentilles, à éviter au-dessus des berceaux), mais aussi des géants kidnappeurs, un dragon furax, des créatures belliqueuses et autres réjouissances. L’imaginaire et le folklore fantastiques britanniques sont aussi visités, comme ces géants endormis formant le paysage de certaines campagnes anglaises. Les services secrets britanniques vont faire appel à Peter Wisdom pour enrayer le phénomène. Mais Wisdom ne sera pas seul sur le coup, puisque pour l’aider dans ce combat il va diriger un groupe d’agents très spéciaux : Tink la fée dissidente, John le Skrull, Sid Ridley alias Captain Midlands (oui, je sais), et la belle Maureen Raven. Héros cynique, équipe hétéroclite, combat de l’ombre, fantastique, scénariste britannique : vous me direz, que de points communs avec Les Invisibles que je viens de vous chroniquer ! Eh bien pourtant non, ces deux œuvres n’ont rien à voir. Wisdom reste avant tout une bonne série de divertissement, mais n’a pas l’intention déployée dans Les Invisibles, n’étant pas là pour donner ça (et pourtant on rencontre encore les Beatles dans ce premier volume de Wisdom !); ce qui ne veut surtout pas dire que je ne vous en conseille pas la lecture qui s’avère très agréable. Les dessins de Hairsine et Garcia sont très plaisants, et les images de l’invasion martienne de Londres constituent un très bel hommage à La Guerre des Mondes d’H.G. Wells.

HOOD vol.1 : PIERRES DE SANG (Panini Comics, Max)

Hood est un personnage assez récent de l’univers Marvel, qui après des débuts contrastés apparut de plus en plus au sein de différents titres (Les Nouveaux Vengeurs, Daredevil, ou la mini-série Beyond !) jusqu’à remporter de plus en plus de succès. Pour celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur l’histoire de ce super-voyou, cet album tombe à point nommé puisqu’il propose les six premiers épisodes de la mini-série initiale parue en 2002 et signée Brian K. Vaughan et Kyle Hotz. Vous apprendrez tout sur la vie de ce personnage, comment il est devenu Hood, et ce qu’il a en tête. Une première aventure où l’on voit donc Parker Robbins apprendre à connaître ses pouvoirs au sein d’une course après des pierres précieuses l’entraînant dans des situations périlleuses qui lui forgent aussi le caractère. Le ton de l’album oscille entre la gravité et la dérision, à l’instar des dessins contrastés de Hotz, et l’on a plaisir à recroiser le Shocker, par exemple. Une création au ton assez adolescent, à lire en buvant un soda, tranquille.

Cecil McKinley

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