« La Patience du Tigre » par Fred Bernard

Fred Bernard est un illustrateur jeunesse de talent qui a choisi pour ses bandes dessinées d’abandonner son style coloré et détaillé pour un trait noir et blanc beaucoup plus spontané, ce qui donne à ses récits un aspect carnet de voyage saisi sur le vif. Car Fred Bernard est un voyageur, de ceux qui associent aventures exotiques documentées, déplacements initiatiques, démêlés familiaux et sentimentaux. « La Patience du Tigre » ne déroge pas à la règle…

Mais revenons au début de ce qui constitue bel et point une série, avec le tome 1 de « Jeanne Picquigny » ( « La Tendresse des crocodiles »), publié en 2003. Dans les années 1920, après avoir quitté sa Bourgogne natale et alors qu’elle s’apprête à se marier à Paris, Jeanne apprend que son père explorateur a disparu en Afrique. La jeune femme, qui n’a pas froid aux yeux, prend le bateau pour l’Afrique noire et le port de Porto-Novo, au Bénin. Elle rencontre sur le bateau Louise O’Murphy puis Victoire Goldfrapp, deux femmes de caractère qui connaissent bien son futur guide Eugène Love Peacock, alcoolique notoire et homme à femmes. Le voyage équatorial commence par le fleuve Congo à travers la forêt à la recherche du professeur cinéaste. La vie animalière occasionne quelques frayeurs et le couple Jeanne – Eugène s’écharpe régulièrement. La dernière partie devient une véritable expédition aux confins de la forêt, aux confins du monde à la recherche d’un animal mythique, le Mokélé, un dinosaure qu’aurait bien pu découvrir Modeste Picquigny. En tout, 174 pages de dérives romanesques riches en péripéties inspirées de son album jeunesse « Jeanne et le Mokélé » (illustré par François Roca).

En 2004, Jeanne nous revient avec  « L’Ivresse du poulpe ». Les voyages continuent car Jeanne veut retrouver les films réalisés lors de sa découverte du Mokélé. Elle se rend à New York, puis Cuba, sur les traces d’Eugène Love Peacock, le guide africain qui les lui a volés. C’est l’occasion pour elle de rencontrer les trafiquants de vin pendant la prohibition ou les rebelles cubains qui préparent un attentat … Tandis qu’au large un poulpe géant devient alcoolique !

En 2006, avec « Lily Love Peacock » l’auteur met en scène les coulisses de la mode et des agences de mannequins et une jeune femme, Lily, qui s’ennuie et traîne sa silhouette aux quatre coins du monde de podiums en défilés. L’album évoque en toile de fond l’histoire personnelle et familiale de Lily : enfance africaine, père aventurier, fascination pour les grands espaces… car Lily n’est autre que la fille d’une autre héroïne, Jeanne Picquigny !

Avec, cette année, « La Patience du tigre », Bernard reprend son héroïne après huit ans d’absence. On est en 1924 et c’est un voyage aux Indes qui se profile pour Jeanne. Au bilan, 500 pages qui enchaînent un séjour dans le Yorkshire, où Jeanne apprend à connaître le père d’Eugène, grand érudit bibliophile, sous prétexte de résoudre l’énigme d’un trésor à découvrir ; puis un réel voyage asiatique. Il faut cependant attendre presque 200 pages pour que le couple atteigne Colombo (Ceylan) puis les Indes, du côté de Pondichéry. Alors les épices, le peuple, les temples du Tamil Nadu, viennent nourrir une histoire aventurière et alambiquée, coupée de nombreuses digressions (Blanchard est un bavard) qui vont pousser le lecteur au pays des Maharadjahs (Rajasthan) puis à Bénarès, enfin du côté de Patna, dans le nord-est du pays, ce qui vaut à propos des sculptures érotiques de Khadjuraho des commentaires intéressants sur les religions. Les secousses de l’histoire indienne animent aussi les aventures quelquefois trépidantes de Jeanne : de Gandhi lui-même aux sociétés allemandes occultes et racistes. À noter que pour couper court à de trop longs monologues, les animaux prennent régulièrement et astucieusement le relais des humains, qu’il s’agisse des singes virevoltants ou de papillons piqués dans du liège.

Notons aussi que Bernard, comme dans ses précédents ouvrages, privilégie les femmes à forte personnalité, individualistes et peu conventionnelles, ce qui est remarquable et appréciable. Enfin, ces « carnets de voyages » sont quelque part des conversations cultivées, humanistes, voire philosophiques, qui s’enroulent et se tissent sur l’intrigue au bout du compte presque secondaire.

Alors, bon voyage !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« La Patience du Tigre » par Fred Bernard

Éditions Casterman (24 €) – ISBN : 978-2-203-04900-0

« La Tendresse du crocodile » suivi de « L’Ivresse du poulpe » par Fred Bernard

Éditions Casterman (18 €) – ISBN :  978-2-203-04901-7

(réédition conjointe des deux premières aventures parues au Seuil)

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