Deux ans après la publication remarquée en 2022 du premier opus de « 1629 : l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta » (1), voici la seconde partie : laquelle devrait combler ceux qui se sont passionnés pour ce formidable thriller maritime. Un huis clos éprouvant — inspiré aux auteurs par une histoire vraie déjà adaptée en BD par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch (2) — qui renoue avec les grandes séries d’aventures exotiques…
Lire la suite...« Alix senator» T1 (« Les Aigles de sang ») par Thierry Démarez et Valérie Mangin
Élément moteur de la promotion de l’album, la couverture est une illustration « à part », se devant de résumer au mieux un contenu tout en étant assez énigmatique pour pousser le lecteur à en savoir plus… Dans le cadre de cette nouvelle rubrique hebdomadaire (« L’Art de… »), et sur le modèle des travaux précédemment publiés sur le site http://couverturedebd.over-blog.com/, nous tenterons donc précisément d’analyser et de décrypter ce visuel, souvent inspiré autant par les affiches de cinéma que par la culture personnelle et les intentions propres aux auteurs.
Apparu en septembre 1948 sous une forme feuilletonesque dans le journal de Tintin, « Alix » est assurément devenu un personnage légendaire du 9ème art, magnifié par la minutie de son créateur Jacques Martin. Ce dernier, disparu en janvier 2010, aura laissé derrière lui une Å“uvre immense et creusé le sillon de la bande dessinée historique documentée (relire l’article liés).
Si la série traditionnelle comme la série parallèle des « Voyages d’Alix » se poursuivent aujourd’hui aux éditions Casterman au rythme moyen de un à trois albums annuels, il faut saluer l’apparition en septembre 2012 d’une dérivation qui ne doit rien au hasard : qu’on en juge avec la présentation du premier tome la série, « Alix senator » (« Les Aigles de sang »), du reste visible sous forme de véritable bande-annonce sur le site http://www.alixsenator.com/. En l’an 12 avant J.-C, alors qu’Alix est devenu à cinquante ans un sénateur respecté, ami intime du puissant empereur Auguste, plusieurs hauts dignitaires sont assassinés par des aigles aux serres d’or, animaux symbole et messager du dieu Jupiter. Alix devra donc enquêter et démêler l’écheveau politique et religieux qui menace directement la puissance de Rome.
Pari éditorial dans l’air du temps (les héros classiques, tels « Le Petit Spirou » ou « Batman : Dark Knight » rajeunissent ou vieillissent…), cet opus hors normes se révèle très maitrisé par la scénariste Valérie Mangin et le dessinateur Thierry Démarez, collaborateurs de longue date. En choisissant de s’écarter du style ligne claire créé par Jacques Martin et en louvoyant dans une reconstitution dessinée, proche à la fois de la série télévisuelle « Rome » et du « Murena » de Jean Dufaux et Philippe Delaby, ils démontrent une saine logique de succession, sachant réinventée sans perdre son âme.
En couverture, le titre principal « Alix senator » renverra directement au superbe « Gladiator » de Ridley Scott (2000), la typographie en lettres romaines (de type Trajan !) ne manquant pas de ré-aiguiller au besoin le lecteur profane sur la période antique requise.  À l’instar du film mettant en scène Russel Crowe, la couverture de ce premier tome reprend l’idée d’un héros véritablement porteur de l’intrigue, fermement campé dans sa toge de patricien et invulnérable face aux diverses attaques. Si le ciel tombe sur la tête de la capitale impériale, Alix est notamment – comme l’illustre la 4ème de couverture – le garant des armes et des enseignes militaires (appelées précisément les aigles romaines). Enveloppé d’une tonalité ocre et sépia, notre ombrageux héros garde l’œil ouvert… y compris – chose assez rare – sur le lecteur qu’il semble jauger d’un air quelque peu sévère. En guise de comparaison, on se souviendra du geste et du sourire amusé de Tintin, adressé au même lecteur en couverture des « Bijoux de la Castafiore ».
Constatons le plus important : le visuel, cadré en contre-plongée, suggère la grandeur de Rome en un mouvement ascensionnel qui dirige immanquablement le regard du spectateur vers les aigles, le titre et le ciel, mêlant dans l’inconscient une nouvelle fois les valeurs et fêtes païennes et chrétiennes. Les temples du forum, plus visibles sur le visuel de l’édition du tirage de tête BD Must, nous confortent dans l’idée d’un héros aux prises avec le poids religieux d’une ville-état aux frontières de la normalité. L’album demeure ainsi fidèle à l’esprit des récits de Jacques Martin en reprenant cette de dose de fantastique et d’irrationnel dont les anciens romains étaient friands.
Les « Aigles de sang » jupitériens visibles en couverture sont issus scénaristiquement de l’incipit du huitième tome de la série historique, « Le Tombeau étrusque », où ils apparaissaient déjà devant le jeune Octave (héritier de César, futur Auguste et premier empereur à partir de 27 avant J.-C.), accompagné d’Alix. Du tombeau au ciel, et du champ de bataille aux arcanes du pouvoir divin, le nouveau et ultime voyage d’Alix vers sa postérité ne fait pour ainsi dire que recommencer…
L’Histoire est décidément une affaire de répétition, de renvoi et de miroir, comme le suggère malicieusement le titre : « A » et « S » pour Alix, Aigles, Senator et Sang.
Informations complémentaires :
De nombreuses interviews des auteurs sont lisibles sur internet : on renverra aux liens suivants :
http://alixmag.canalblog.com/archives/2012/09/17/25125105.html
http://alixmag.canalblog.com/archives/2012/09/08/25061025.html
http://alixmag.canalblog.com/archives/2012/08/25/24963812.html
http://issuu.com/zoolemag/docs/zoo42_sq?mode=window&backgroundColor=%23222222
Philippe TOMBLAINE
http://couverturedebd.over-blog.com/
« Alix senator» T1 (« Les Aigles de sang ») par Thierry Démarez et Valérie Mangin
Éditions Casterman (12, 95 €) – ISBN : 978-2-203-04566-8