Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...JEAN-MARC LELONG et « CARMEN CRU »
En fouillant dans leurs archives, les éditions Audie (plus communément appelée Fluide Glacial, du nom du journal pré-publiant les albums proposés par cet éditeur réfugié au sein du groupe Flammarion, depuis 1995) ont retrouvé plusieurs histoires inédites en album de « Carmen Cru », l’acariâtre vieille dame créée dans leur magazine par Jean-Marc Lelong, en janvier 1982.
Dans la foulée, ils ont eu la bonne idée de compiler ces gags relativement inédits (puisque déjà publiés, dans le célèbre mensuel d’Umour & Bandessinées, entre 2002 et 2004) pour établir le sommaire d’un hilarant huitième opus intitulé « Thriller » : du nom des dix-sept pages composant les quatre premières histoires de l’ouvrage. On y retrouve donc, avec un plaisir non dissimulé, la vielle dame indigne à qui tout est dû : son sale caractère continuant de nous faire exploser de rire, surtout que les situations exposées ici n’ont rien à envier à celles recueillies dans les sept tomes précédents, dont certaines ont servi de base au spectacle théâtral de « Carmen Cru » réalisé par la Compagnie du Préau, en 1986.
En regardant de plus près la bibliographie de Jean-Marc Lelong, nous nous sommes aperçus qu’il reste encore, sauf erreur de notre part, six pages de publicités pour les productions Fluide Glacial réalisées par Lelong (avec « Carmen Cru » en guest-star), des gags en une ou deux planches publiés dans les n° 106, 290, 291 et 323, ainsi que dans les hors-série n° 10, 12, 16, 21, 24, 25 et 26, de nombreuses illustrations pour du rédactionnel signé par Bruno Léandri ou Yves Frémion, vingt-sept pages de sa dernière création (« Tortilla ») égrenées de 2000 à 2003 : les éditions Audie auraient donc, peut-être, matière à produire un ultime ouvrage pour rendre hommage à cet auteur trop tôt disparu…
En effet, Jean-Marc Lelong laissa orpheline l’équipe de Fluide Glacial, en 2004 : à l’âge de 55 ans, il choisi de s’éclipser sur la pointe des pieds, espérant ainsi arrêter de broyer ses idées noires. Né à Tours, le premier février 1949, Jean-Marc Lelong a longtemps séjourné sur le continent noir (il y reviendra lors de l’une de ses nombreuses dépressions, entre 1989 et 1993) et, à son retour en France, il décide de devenir illustrateur professionnel, rejoignant le mensuel Pilote dans lequel il avait déjà publié un dessin, en 1973. C’est ainsi que naquit « Monsieur Émile » : vingt et une planches, elles aussi inédites en album, qu’il réalise avec Christian Barré au scénario (de 1980 à 1986). C’est donc en 1982 qu’il impose son humour, empreint de pessimisme, en rejoignant Fluide Glacial : donnant naissance à « Carmen Cru », irascible mégère qui promène son vélo et sa mauvaise humeur dans de courtes histoires réalisées en noir et blanc, dans un style caricatural, fin et minutieux…
Voilà ce que l’on peut lire dans tous les bons dictionnaires et encyclopédies de la bande dessinée (le « Larousse de la BD » et le « BD guide », pour ne citer que les deux plus importants) ! Seulement voilà , pas un de ces ouvrages de références ne fait allusion aux quatre superbes pages que Jean-Marc Lelong a dessinées, en 1978 (juste après son premier retour d’Afrique) et en couleurs (cela doit être l’une des rares fois où son remarquable trait si particulier ne fut pas publié en noir et blanc) pour le n° 1726 de l’hebdomadaire Pif Gadget : une parodie de la fable de La Fontaine « Le renard & la cigogne », sur un scénario d’un certain Castelli (il s’agit certainement d’Alfredo Castelli, le scénariste de la série italienne « Gli Aristocrati » dessinée par Ferdinando Taconni et traduite sous les titres de « Les Aristocrates » ou « Les Gentlemen » dans ce journal assimilé communiste, à la même époque. Bdzoom.com ne reculant devant aucun sacrifice, nous vous offrons, ici même, la possibilité d’admirer cette magnifique trouvaille qu’aucun spécialiste du genre n’avait, jusque-là , mis en avant !
Gilles RATIER
Que voilà une belle synthèse, avec du trés peu connu en prime!
Bravo Gilles, et continue!
Petit ajout tourangeau au papier de Gilles.
1) Carmen Cru a existé. Comme d’ailleurs la plupart des personnages croqués par Jean-Marc (le prêtre ouvrier ou le journaliste par exemple). Son grand truc, c’était de bloquer avec son vélo dont les cabas dépassaient de chaque côté du porte-bagage, la circulation juste avant les feux rouges dans une rue très encombrée du centre-ville ! Ah, l’infâme !
2) Jean-Marc, personnage complexe et attachant, n’était pas franchement agoraphile. Détestant (ou redoutant) les séances d’autographes, il n’avait accepté de venir à Angoulême (la première fois) que parce qu’on lui avait promis, juré, qu’il aurait le prix du Meilleur premier album (« Rencontre du 3e âge »). Et badaboum, c’est ce cher Baru avec « Quéquette Blues » qui l’avait emporté. C’était en 1985 et ça n’a pas réconcilié Jean-Marc avec le genre humain !
Amitiés à tous.
Erwann Tancé
Merci pour cet article complet et « rétrospectif » sur la carrière B.D. de mon grand frère Jean-Marc. Effectivement, on ne parle jamais de ses débuts dans PIF, qu’un autre de mes frères (Yves) avait contacté pour présenter des planches de Jean-Marc à la fin des années soixante-dix alors qu’il était toujours en Afrique… A la suite de ce contact avec PIF, Jean-Marc avait réalisé différents projets pour PIF dont le plus important avec le chanteur Pierre Perret en tant que scénariste (projet basé sur le héros de la chanson « Tonton Cristobal »). Je me souviens encore de toutes les « tronches » de Perret (Bébé entre autres…) croquées par Jean-Marc… Ce projet n’aboutira jamais, et que sont devenues ces planches jamais publiées?
Jean-Marc a rencontré chez PIF le scénariste de Monsieur Emile publié chez PILOTE, peut de temps avant de contacter FLUIDE… Michel
Jean-Marc Lelong a aussi écrit quelques poèmes cinglants et noirs publiés dans ma Gazette, parfois illustrés par lui, et joué dans quelques romans photos de Léandri.
Carmen Cru n’a pas vraiment existé comme le veut la rumeur … Lelong s’est inspiré d’une petite vieille à vélo circulant au milieu d’une rue de Tours et bloquant la circulation… Le caractère, la personnalité, le voisinage etc de Carmen Cru est le fruit de l’imagination de l’auteur, même si certains personnages sont des caricatures de l’entourage de Lelong (sa famille, ses copains, ses collègues…) Lelong n’avait d’ailleurs pas « projeté d’en faire un « personnage » récurrent dans les pages de Fluide, c’est le succès auprès des lecteurs de Fluide qui en a décidé ainsi et qui a fait de Carmen, malgré elle, un des piliers du journal dans les années 80. Michel
« … aux quatre superbes pages que Jean-Marc Lelong a dessiné, en 1978 » : a dessinéES (accord avec le complément d’objet direct « que »).
Article remarquablement documenté ! Mais je le découvre avec un peu de retard.
Merci Lorrain : mieux vaut tard que jamais : c’est corrigé !
Bien cordialement
La rédaction