« Kingdom Come » par Alex Ross et Mark Waid

Avec le même sérieux éditorial que précédemment, Urban Comics nous propose une très belle et très complète réédition du fameux « Kingdom Come » de Waid et Ross. Un pavé de 336 pages dont 90 de bonus qui ravira les amateurs de cette œuvre qui a marqué son temps et qui reste un classique contemporain.

Lorsqu’on relit « Kingdom Come » aujourd’hui, 16 ans après sa parution, je trouve que l’on cerne d’autant mieux toute la portée de l’œuvre, ce qu’elle a indiciblement apporté à l’historique de DC, et la puissance d’intention de Waid et Ross. 10 ans après le « Dark Knight » de Miller, Waid reprend pour lui ce postulat de super-héros vieillissant et devant faire face à un monde qui a changé, traversé par le chaos. Le ton est donné. Le rêve s’est terni. Le temps du désenchantement est venu. On navigue ici entre la résignation, le fatalisme et la nécessité de se réveiller, d’agir malgré tout. Lorsque « Kingdom Come » débute, les héros historiques se sont retirés ; Superman, Batman et Wonder Woman, bien sûr, mais aussi les membres bien connus de la JLA… Une nouvelle génération de surhumains assure l’ordre mondial, mais ses valeurs et ses méthodes sont bien éloignées de l’éthique des premiers héros : manichéens, violents, agissant sans aucune considération du vivant, demi-dieux prenant la planète pour un terrain de jeu. Mais lorsque le jeu mène « accidentellement » à l’éradication du Kansas, devenu stérile et contaminé, les super-héros de la première heure n’ont pas d’autre choix que de sortir enfin de leur retraite pour que la Terre ne disparaisse pas dans une vague de destruction aveugle.

 

À partir de là, Waid déploie une réflexion sur la nature de l’humain et du surhumain, de leur relation exprimant implicitement une supériorité des uns sur les autres, et de l’ambigüité de cette admiration pour les super-justiciers défendant l’humanité qui mène implicitement à une soumission, un renoncement. Un asservissement par défaut. Cette réflexion est passionnante et l’intelligence du propos apporte réellement quelque chose au discours adulte sur le super-héros déclenché par Moore et Miller des années plus tôt. Les super-héros n’auraient-ils pas profité de leur supériorité naturelle afin de passer pour des dieux aux yeux d’une humanité trop faible pour se défendre ? Leur soi-disant bonté d’âme, leur croisade pour sauver les opprimés et faire régner la justice, ne seraient-elles que des alibis inconscients permettant aux super-héros d’assumer leur ego et entretenant ce qu’il y a de plus faible chez l’humain ? Bien sûr, dans « Kingdom Come » nous allons assister aux combats à mener pour rétablir un ordre nouveau, plus juste, mais cette réflexion intervient tout au long de l’album, notamment par les yeux de Norman McCay qui accompagne le Spectre dans un niveau de réalité devant le mener à une décision, un jugement face à l’enchaînement des faits relatés.

 

La cerise sur le gâteau, c’est bien sûr l’art d’Alex Ross qui illustre magnifiquement le propos, aussi inspiré et talentueux que dans « Marvels ». Ses aquarelles réalistes sont époustouflantes, et nous avons droit à d’innombrables merveilles au fil des cases parcourues. Son traité du Spectre, notamment, est sublimissime, dans un contraste d’ombre et de halo blanc qui fascine littéralement. C’est superbe. Et puis Alex Ross exprime génialement ce que Waid a aussi voulu faire dans « Kingdom Come » : revenir au sens premier des personnages que l’on connaît depuis une éternité mais qui étaient devenus des icônes « trop » surréelles. En cela, le scénariste enrichit et complète la réflexion dont je viens de vous parler : en revenant à la nature originelle des super-héros, c’est tout le jeu de l’être et du paraître qui est remis en question, et de ce que sont devenus les surhumains. Ainsi, Captain Marvel n’est finalement qu’un petit garçon perdu dans un corps d’adulte, et Deadman apparaît sous sa forme la plus logique : un squelette, et non un personnage de comic ayant le charme du mort-vivant. Ross transcende ce postulat avec un talent dingue, et l’on reste coi devant tant de virtuosité…

 

La présente édition constitue l’ouvrage idéal pour découvrir cette œuvre, et l’édition définitive à avoir pour les fans aguerris. Il y a la très belle introduction d’Elliot S. Maggin (l’auteur qui a novellisé « Kingdom Come »), mais aussi le complément de l’épilogue que l’on ne trouvait pas dans la précédente édition française. Les bonus sont de premier ordre : des textes de Mark Waid et d’Alex Ross qui reviennent sur leur création, des croquis et recherches commentés, des notes et commentaires sur les références utilisées dans l’œuvre, des galeries d’illustrations en couleurs, l’arbre généalogique de « Kingdom Come », une postface de Clark Ross (le père d’Alex qui a servi de modèle au personnage de Norman McCay), et encore beaucoup d’autres surprises. Un incontournable.

Cecil McKINLEY

« Kingdom Come » par Alex Ross et Mark Waid Éditions Urban Comics (28,00€) – ISBN : 978-2-3657-7039-2

Galerie

11 réponses à « Kingdom Come » par Alex Ross et Mark Waid

  1. Gipo dit :

    Le même Mark WAID qui vient de lancer Thrillbent.com , BD numérique hebdomadaire gratuite (en ligne), avec le français Yves Bigerel (Balak) comme directeur artistique, lequel participe également, avec WAID, aux « AvX Infinite Comics » trimestriels, pour Marvel.

    1ère BD publiée dans Thrillbent, « Insufferable » (comment un fils de super-héros, devient « insupportable » après la mort de sa mère) entame sa 10ème semaine en ligne :
    http://www.thrillbent.com/project/insufferable-001/

  2. Poa dit :

    Autre qualité que je rajouterais a cet excellent article : le papier du livre est MAT et l’objet, très élégant, est excellemment bien imprimé et fabriqué ! On est loin des papiers brillants d’une grande vulgarité que l’on trouve généralement sur ce genre de produits. Vive Urban Comics !!

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Poa. Je suis d’accord avec vous. Urban Comics nous propose de très beaux albums, sur le fond comme sur la forme. Ça a de la gueule…
      Bien à vous,

      Cecil McKinley

  3. Renaud dit :

    Ahhh purée, c’est malin !
    Je l’avais acheté à sa sortie en périodique – 2 numéros je crois puis surement dans une édition quelconque. Mais là vous me remettez l’eau à la bouche, je pense que je vais me laisser tenter, et c’est vrai qu’Urban fait de la belle came comparé à…enfin vous voyez de qui je veux parler !

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour,
      Oui, je pense que vous pouvez décemment vous laisser tenter, d’autant plus qu’Urban Comics pratique des prix tout à fait raisonnables comparé à… enfin vous voyez de qui je veux parler! De manière générale, à peu près 1/3 moins cher, et une qualité d’édition toute autre…
      Bonne nouvelle lecture,
      Bien à vous,

      Cecil McKinley

  4. Poa dit :

    Une petite question, Cecil… Qu’en est de la traduction ? Est-ce la même version que l’édition brochée en deux volumes de vous-voyez-de-qui-je-veux-parler ? Merci !

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Poa.
      Le « voyez de qui on veut parler » se rapportait à l’édition Panini; quant à vous, vous devez parler de l’édition en deux volumes brochés parus chez Semic puis repris en un seul volume. Je ne sais pas qui avait fait la traduction chez Panini car je n’avais même pas ouvert l’album, mais la traduction chez Semic avait été assurée par Nicole Duclos. La traduction de la présente édition chez Urban Comics est signée Jean-Marc Lainé, honnête, mais personnellement je préfère celle de Duclos.
      Bien à vous,
      Cecil McKinley

      • Poa dit :

        Merci pour ces précisions ! En effet, j’ai la version Semic. Je vais sauter sur celle-ci ! Maintenant je rêve d’une belle édition URBAN de l’UNCLE SAM d’Alex Ross !

  5. darklinux dit :

    UNCLE SAM est génial …

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