Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...À l’occasion des 50 ans de Spider-Man ! – 4ème partie : Steve Ditko et Jack Kirby sur Spider-Man
Dans la première partie de cet article (1), nous avons évoqué l’origine du « Spiderman » avorté de Simon & Kirby, en collaboration avec C.C. Beck et Jack Oleck, développé à partir de 1953, et qui se transformera curieusement en… « The Fly » (la Mouche) à partir de 1959 chez MLJ… Fin 1961, suite au succès de « Fantastic Four », Jack Kirby propose « Spider-Man » au directeur de publications/scénariste Stan Lee chez Atlas-Marvel et dessine une première histoire. Les similitudes du personnage avec The Fly obligent l’éditeur Martin Goodman à arrêter la production de cet épisode. Spider-Man est repris au dernier moment par le dessinateur Steve Ditko et une nouvelle version du personnage paraît dans Amazing Fantasy n°15 (août 1962). Stan Lee hésite un moment entre les deux artistes et finit par opter pour Ditko… Le succès est au rendez-vous, à tel point que Spider-Man obtient sa propre revue, Amazing Spider-Man en mars 1963 !
Pourtant, tout n’est pas si idyllique à Marvel ! Avec le succès d’Amazing Spider-Man, Steve Ditko prend de l’assurance… Son caractère taciturne est confirmé par plusieurs témoignages. Des discussions houleuses éclatent dans les locaux exigus de Magazine Management, au 655 Madison Avenue. Les positions politiques de Ditko sont tranchées et l’homme est inflexible.
Steve et Jack sont aux antipodes l’un de l’autre (Kirby étant démocrate et Ditko républicain), avec Stan au milieu. Certains sujets sont donc à éviter. Ditko est aussi perfectionniste. Un jour de février 1964, il ramasse plusieurs comic books sur le présentoir se trouvant dans le bureau de Stan Lee et, les jugeant mauvais, les jette à la poubelle sous les yeux-mêmes du scénariste/directeur de publications ! Les ventes de Fantastic Four et d’Amazing Spider-Man sont très bonnes. Magazine Management déménage donc, mi 1964, pour des locaux plus grands, au 625 Madison Avenue.
Concernant « Spider-Man », Ditko se brouille rapidement avec Stan. Les deux hommes ne se parlent plus à partir d’Amazing Spider-Man 18 (novembre 1964).
Ditko réalise par la suite, tout seul, les aventures de l’homme-araignée, sans réunions de travail avec Stan, ce dernier se contentant de dialoguer les pages a posteriori… La raison invoquée est, bien entendu, les crédits sur « Spider-Man » et « Doctor Strange » (l’autre extraordinaire série du tandem Lee /Ditko paraissant dans la revue Strange Tales).
Steve Ditko veut être reconnu comme scénariste. Il n’a également pas apprécié les rééditions de ses histoires dans Amazing Spider-Man Annual 1 (1964), sans être ni consulté, ni surtout rétribué…
De plus, ses divergences idéologiques avec Stan s’invitent sur la série… Steve est contre une certaine image de la libéralisation de la jeunesse que Lee souhaite mettre en avant dans Amazing Spider-Man.
Steve s’oppose également aux choix éditoriaux de Stan. Les deux hommes se confrontent quand vient le moment de révéler l’identité secrète du Green Goblin.
Steve veut qu’il s’agisse d’un inconnu, comme dans la réalité, alors que Stan impose Norman Osborn, le père d’Harry, le copain de Peter Parker…
Lee lâche du lest et crédite Ditko en tant que scénariste au n° 25 d’Amazing Spider-Man (juin 1965), mais rien n’y fait…
Ditko s’enferme dans son mutisme. Ses lectures de l’auteure objectiviste Ayn Rand y sont certainement pour quelque chose… C’est Sol Brodsky, le chargé de production, qui fait bien souvent l’intermédiaire avec Stan…
L’artiste ronge son frein : tout comme Jack Kirby, il attend les intéressements que l’éditeur Martin Goodman promet depuis des années… Un vendredi matin de mars 1965, Goodman lui-même intervient auprès de Ditko, lui demandant instamment de donner un ton plus léger à « Spider-Man »… Sinon, dit-il…
Ditko ne répond pas. Après son entretien, il vient trouver Kirby et lui propose de monter leur propre maison d’édition… Avec leurs talents respectifs, ils trouveront sans problème des investisseurs ! Kirby semble intéressé. Ditko réalise aussitôt un dessin de présentation de deux pages pour un projet commun, malheureusement perdu… Pendant la pause déjeuner, Jack confie à Gil Kane sa frustration chez Marvel.
Mais l’après-midi, quand Stan l’appelle pour faire des corrections, Jack rapplique comme un bon toutou… Les divergences politiques des deux artistes ne suffisent pas à expliquer ce rendez-vous manqué… À 48 ans, Jack a une famille à nourrir, contrairement à Ditko, et il espère toujours toucher l’argent promis par Goodman…
Quant à Ditko, sa décision sera rapidement prise. Début juillet 1965, il entre dans le bureau occupé par la rédaction (l’assistant-scénariste Roy Thomas, la secrétaire Flo Steinberg et le chargé de production Sol Brodsky) et leur fait part de sa démission… Stan devait lui annoncer le jour même une augmentation de 5$ de ses planches… Steve part juste après avoir terminé Amazing Spider-Man 38 et Strange Tales 146.
Son départ est annoncé dans le Bullpen Bulletin du même mois…
Ditko part chez Charlton, où il réalise « Blue Beetle ». Bill Everett dessinera les numéros suivants de « Doctor Strange » dans Strange Tales (n°147 à 152)… Jamais plus Ditko ne dessinera Spider-Man pour Marvel.
Goodman n’a pas d’états d’âme. Il aura l’approche grand public qu’il veut sur « Spider-Man »…  Ceci grâce au talentueux John Romita qui reprend la série au pied levé, lui donnant son côté glamour avec les jolies Gwen Stacy et Mary Jane Watson… Et Spider-Man s’envolera plus haut encore !
Entre 1966 et 1970, Jack Kirby dessinera quelquefois encore l’homme-araignée. D’abord à l’occasion d’un cross-over avec Thor, Daredevil et les Quatre Fantastiques dans Fantastic Four n°73 (avril 1968).
Par la suite, Kirby mettra à nouveau en images Spider-Man pour Marvelmania International (la société s’occupant du merchandising Marvel) en 1970, avec une couverture et un poster resté inédit (et impayé !) en raison de sa non-conformité avec le personnage tel qu’il parait dans les comic books.
Ce dessin sera finalement recopié et corrigé par John Romita pour une affiche sortie la même année…
Encore un sujet de grogne pour Kirby, qui n’a toujours pas perçu ses intérêts (et pour cause !) et dont le contrat avec Marvel tarde à être renouvelé par la nouvelle direction (Magazine Management a été rachetée en 1968 par le groupe Perfect Film and Chemical Corporation)…
Et, comme Steve Ditko trois ans avant lui, Jack quittera cette galère…
Il reviendra encore sur Spider-Man, même si l’enthousiasme n’y est pas, à l’occasion de couvertures pour Spidey Super Stories en 1976 (n°19 et 20) et de recréations de la couverture d’Amazing Fantasy n°15.
Signalons pour terminer que les planches d’Amazing Fantasy 15 ont été miraculeusement retrouvées en 2008 (2).
Quant aux pages du « Spider-Man » version Kirby, il semble bien improbable de les voir ressurgir aujourd’hui, avec le procès faisant rage entre les héritiers du King et Marvel-Disney… Surtout que leur probable possesseur a témoigné dans l’enquête…
En attendant, le lecteur pourra toujours se procurer les épisodes de « L’Araignée Bondissante/Spider Spry » parus dans Strange (Organic Comix), avec l’autorisation de Joe Simon, mélangeant les concepts de Spiderman/Silver Spider et The Fly.
Pour terminer, signalons une curiosité parue dans les comic books de 1978-79 : une publicité pour les gâteaux Twinkies, ayant la particularité de faire rencontrer Spider-Man et… The Fly ! Peut-être une manière pour la direction de Marvel d’agacer un peu plus Joe Simon, alors en procès contre elle pour récupérer les droits de Captain America… En tout cas, une belle manière de boucler la boucle de cette histoire d’arachnides !
Jean DEPELLEY
Mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
(1) Voir : À l’occasion des 50 ans du personnage : l’origine de Spider-Man ! – 1ère partie ; ainsi que les deux autres parties : À l’occasion des 50 ans de Spider-Man ! – 2ème partie : Les débuts de Spider-Man à Marvel et À l’occasion des 50 ans de Spider-Man ! – 3ème partie : Steve Ditko vs. Jack Kirby sur Spider-Man
(2) : Ces planches originales (les 11 pages de « Spider-Man », plus celles des deux petites histoires additionnelles de Ditko) sont aujourd’hui la propriété de la Library of Congress, vendues avec l’accord de Ditko par une ancienne collaboratrice de Marvel ayant travaillé à leur réédition dans Marvel Tales en 1982 (et dont nous tairons le nom car elle souhaite garder l’anonymat). On ignore le prix de la transaction.
Je ne sais pas si vous allez traité une autre partie sur Spider-man … mais il serait amusant de souligner, que à partir de Romita, il me semble que ça soit lui, mais possible que sous Kirby et Ditko celà a été fait, c’est sur les positions de Spider-man à chaque page, il ne touche jamais les pieds au sol ! Il ne se tient jamais debout : accroché au mur, à un lampadaire, sur une de ses mains, etc .Une particularité qui n’a jamais été abandonné d’ailleurs au fil des nombreux dessinateurs et dessinatrices.
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