On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« Wolfsmund » T1 par Mitsuhisa Kuji
Même si cela est une évidence, tous les mangas ne se passent pas au Japon avec des héros japonais. Certains sont même basés sur des faits réels bien européens. Souvent mis en image et romancé de manière à divertir un public jeune, il est amusant de constater que l’on peut encore apprendre certaines anecdotes historiques grâce à ces bandes dessinées venues de l’orient. C’est le cas avec « Wolfsmund » de Mitsuhisa Kuji, un manga dont l’histoire est baséee sur une période sombre de notre histoire ayant conduit à la création de la Suisse.
Au moyen âge, le col du Saint-Gothard était réputé infranchissable. Seul point de passage entre la Germanie et l’Italie, perché au beau milieu des Alpes, un poste frontière y fut érigé par le duché d’Autriche. Il est connu sous le nom de « Wolfsmund » : la gueule du loup. Ce point névralgique est visé par la contestation des trois cantons avoisinants. Ils ne souhaitent plus être asservis et refusent de soutenir les intérêts économiques représentés par ce passage obligatoire entre les pays.
« Wolfsmund » est gardé d’une main de fer par Wolfram. Il s’est fait un devoir de démasquer tous les rebelles, hors-la-loi et autres tricheurs tentant de passer ce col. Mis en place par le duc Léopold 1er, il est donc soumis aux lois autrichiennes. Mais c’est surtout sa loi à lui qu’il applique. Il a un sens particulièrement développé pour dénicher ceux qui tenteraient de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Il sait reconnaître les faux papiers et les mensonges, petits ou gros. La sanction finale étant toujours la même : la mort, le plus souvent par décapitation ou pendaison. À l’entrée de sa forteresse, chaque jour, des corps sont exposés afin de décourager les éventuels clandestins. Et même ceux qui tentent de passer à côté, en bravant le froid de la montagne et en escaladant des pentes pouvant aller jusqu’à 90°, n’échappent pas au maître des lieux. Il est partout et frappe sans aucune pitié. Sous ses airs d’hôte convivial, souriant bêtement, il se montre froid et détaché dès qu’une personne tente d’abuser de son autorité.
Si « Wolfsmund » est basé sur des faits historiques, l’histoire est magistralement romancée. Mitsuhisa Kuji a vraisemblablement fait un gros travail de recherche avant de se lancer dans l’écriture de ce manga. On croise même Guillaume Tell et l’on apprend comment il est mort en tentant la traversée de cette frontière. Personnage mythique ayant peut-être existé, il n’existe pas de véritable écrit sur son décès et les légendes existantes ne concordent évidemment pas avec celle de ce manga. Qu’importe, ce n’est qu’un divertissement et il faut le prendre en tant que tel. Ce type d’ajout fictif est monnaie courante en littérature ou bande dessinée. Cette hypothèse ne dénaturant pas le propos, c’est là le plus important.
Mitsuhisa Kuji est un ancien assistant de Kentaro Miura (« Berserk »), il est donc tout à fait à l’aise pour dessiner de la Fantasy. Néanmoins, son dessin manque cruellement d’originalité. Il se rattrape avec les tenues et armures qui semblent être inspirées de documents d’époque. Même s’il est évident que plusieurs décennies, voire siècles, sépare certains accoutrements. Son dessin offre une authenticité rendant l’histoire plus crédible, malgré quelques faiblesses flagrantes. Pourtant, la force de ce manga est ailleurs. L’ambiance générale et la mise en scène soutenue par un découpage simple, mais dynamique, offrent une lecture excitante. Découper le manga en trois chapitres, proposant chacun une histoire indépendante, aide également à la compréhension des événements. On sent parfaitement que la rébellion fournit ses armes ; pourtant, ce n’est pas le propos principal. C’est l’histoire de chacun des voyageurs cherchant à passer la frontière qui captive le lecteur. Le suspens est bien mené, on se surprend même à espérer un dénouement heureux, ce ne sera jamais le cas. Les scènes de combat sont magistralement orchestrées et permettent de sentir la tension de ces héros éphémères, mis à mal par le fourbe Wolfram. La mort étant omniprésente, Mitsuhisa Kuji a eu la bonne idée de ne pas trop en faire. Les corps sont montrés, décapités, pendus, mais rarement sanguinolents. Comme s’il voulait rendre hommage à ces valeureuses personnes qui ont tenté l’impossible, sans y arriver. Réaliste, sombre, mais respectueux, voilà ce qui défini au mieux ce manga.
Bien évidement, cette forteresse doit avoir une faille, l’histoire peut donc continuer jusqu’à ce qu’elle soit découverte. Captivant, ce manga saura plaire à un large public. Il ne se destine pas exclusivement aux amateurs de fantasy car le sujet rend son propos universel. Même les jeunes filles ne crachant pas sur un peu d’aventure pourront être séduites par le côté romantique de cette cause perdue d’avance.
Gwenaël JACQUET
« Wolfsmund » T1 par Mitsuhisa KUJI
Édition Ki-oon (7,65 €) – ISBN : 978-2-35592-373-9
© 2010 Mitsuhisa Kuji