Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Dernier acte pour « De Cape et de Crocs »
Avec « De la Lune à la Terre », le rideau tombe sur une des séries les plus créatives de ces dernières années, une « fresque épique et cocasse alliant le théâtre, les récits de cape et d’épée et la flibuste, avec beaucoup d’humour, de grands sentiments et d’Aventures avec un grand « A » », selon les propres termes de son scénariste Alain Ayroles.
Alain Ayroles, que nous avions rencontré il y a déjà dix ans, pour l’ultime tome de « Garulfo » (voir : Rencontre avec le scénariste Alain Ayroles) est un scénariste de parole. À l’époque, il nous avait annoncé la fin des aventures de sa grenouille de héros, dans une série qui revisitait allégrement les contes de fée. Aujourd’hui, pour « De Cape et de Crocs », le discours est à l’identique : « L’histoire devait naturellement et logiquement prendre fin maintenant, nous révèle-t-il, puisque Jean-Luc Masbou et moi-même avons raconté tout ce que nous avions à dire. Nous avons le sentiment d’avoir conservé la même intensité narrative au cours des dix albums que nous avons réalisés. Si nous continuions, nous prendrions le risque de nous répéter. » Et d’ajouter « Il n’est pas difficile d’arrêter une série, il suffit de le décider ! Nous n’avons jamais été mu par une volonté mercantile. »
Sans la dévoiler, force est de constater que la fin de cet ultime volume reste cependant ouverte à une éventuelle suite : « Ce n’est pas du tout notre intention, explique le scénariste de « D », il s’agit ici de laisser le lecteur voguer vers son propre récit en vue de garder les personnages ancrés dans son imaginaire et les faire exister hors des albums. »
Deux albums articulés autour de l’histoire du lapin Eusèbe paraîtront cependant ultérieurement  : « un gros « one shot », explique Alain Ayroles. C’est une histoire écrite depuis longtemps, lors de l’élaboration du tome 5 ou 6, et étoffée entre temps,  suite à la demande des lecteurs qui voulaient en savoir plus sur cet énigmatique personnage. Finalement ces albums constitueront une suite et une fin logique à « De Cape et de Crocs », à la fois épilogue et prologue de la série ».
Ainsi donc, le voyage « De la Lune à la Terre » sera bien le dernier d’Armand Raynal de Maupertuis et Don Lope de Villalobos y Sangrin, gentilshommes désargentés, fins bretteurs et beaux parleurs. Une épopée une nouvelle fois riche en rebondissements alliant subtilement le verbe et l’action : « Nous avons toujours cherché l’équilibre entre ces deux paramètres, souligne le scénariste de Garulfo. Il y a d’ailleurs de plus en plus de planches muettes dans les derniers albums. Je dégraisse beaucoup les causeries et j’essaye d’aller à l’essentiel car la BD crée des contraintes spatiales qu’il faut assumer. Ceci est particulièrement vrai quand j’écris des dialogue en alexandrins car quand j’ajoute un vers, il faut en faire trois autres derrière ! Quant aux scènes d’action, elle sont de plus en plus travaillés, avec des chorégraphies de plus en plus élaborées, comme le duel de fin qui respecte tous les codes d’une vraie passe d’armes. »
Du verbe, de l’action, mais aussi des bons sentiments : « Au démarrage de la série, notre propos humaniste a été taxé de naïveté mais ce qui apparaissait comme une évidence  à l’époque ne l’est plus dix-huit ans après, avec l’accroissement de la xénophobie notamment. Nous sommes fiers d’avoir fait du politiquement correct et d’avoir tenu des propos qui sont plus que jamais d’actualité », se défend Alain Ayroles. La comédie prend malgré tout une intensité tragique au fil du récit : « c’est une évolution normale, dans la mesure où les personnages gagnent, avec le temps, en épaisseur et en sérieux », répond le scénariste, déjà embarqué dans une nouvelle aventure : « je réalise en ce moment le dessin d’un projet solo, que je porte depuis plus de dix ans : « L’âge des chiens », une histoire d’héroic-fantasy décalée, en deux albums. »
Laurent TURPIN