Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Jordi Bernet : un Espagnol au pays des Belges…
Alors que les éditions Glénat viennent de rééditer, en une seule et belle intégrale via leur filiale Dugstore, les cent soixante-trois pages de son « Kraken » en noir et blanc (scénarios du regretté Antonio Segura décédé le 31 janvier 2012)(1), voici l’occasion de se pencher sur les débuts de la carrière du prolifique dessinateur espagnol Jordi Bernet ; et, plus précisent, sur ses productions réalisées pour la Belgique, publiées dans l’hebdomadaire Spirou.(2)
Jordi Bernet Cussó est né le 14 juin 1944 à Barcelone (en Espagne) et est le fils d’un artiste qui était déjà , lui-même, auteur de bande dessinée : Miguel Bernet Toledano, lequel signait Jorge. Ce dernier, auteur de nombreuses séries humoristiques, s’était engagé, dès l’âge de quinze ans, aux côtés des troupes républicaines, en modifiant ses papiers… C’est aussi à l’âge de quinze ans (juste après le décès de son père, en 1960) que le jeune Jordi va abandonner ses études de commerce pour subvenir aux besoins de sa famille et faire ses débuts professionnels dans la bande dessinée, en reprenant « Doña Urraca », célèbre série créée par son géniteur dans la revue Pulgarcito, en 1948(3) : « En Espagne, c’était un personnage célèbre qui me touchait beaucoup. C’était le plus populaire de ceux qu’avait créés mon père pour l’Editorial Brugherá. Je ne l’avais jamais dessiné avant (c’était assez difficile) et je fis de mon mieux dans des circonstances on ne peut plus défavorables. Mon père venait de mourir et ma famille était sur la paille… »(4).
À partir de 1962, Jordi Bernet développe un style plus réaliste satisfaisant mieux à ses ambitions artistiques qui ont pour base les styles des dessinateurs américains Harold Foster, Alex Raymond, Noel Sickles, Milton Caniff ou Frank Robbins, qui deviendra son ami. Il réalise, alors, quelques bandes pour l’agence Bardon Art, dont le patron, Jordi Macabich (qui était un ami de son père) exportait ses productions auprès des éditeurs scandinaves ou britanniques.
C’est de cette époque que date « Poncho Yucatan », un western scénarisé par son oncle (du côté de sa mère) : Miguel Cussó Giralt, écrivain de romans de gare chez Brugherá, ou pour le cinéma, qui écrivit son premier scénario de bandes dessinées pour son beau-frère Miguel (« Tallarin López »), en 1948. Dix-neuf aventures de ce justicier de l’Ouest flanqué d’un compagnon mexicain (d’entre quatorze et quarante planches chacun) ont été traduites en France, entre 1963 et 1965, dans le magazine K.O des éditions des Remparts qui se transformera en un pocket titré Poncho, en avril 1964.
C’est donc par l’intermédiaire de la Bardon Art que Jordi Bernet va aussi travailler pour l’Écosse
et les revues de l’éditeur DC Thompson (notamment The Victor ou Hornet), ainsi que pour l’Angleterre où il est publié dans le magazine Tiger de la Fleetway ou dans les fascicules de la War Picture Library du même éditeur : « J’ai travaillé pour ces revues quelques années, sur tous les genres. Je me souviens surtout d’histoires de Romains qui étaient exténuantes à réaliser… [Il s'agit certainement de « Spartacus», douze planches traduites, en France», dans le pocket Spécial Rodéo n°11 d'août 1964, aux éditions LUG, ndlr] (5).
Ses dernières productions en ce domaine datent de 1966 – pour la revue Smash lancée par les éditions Odham où il illustre un récit de science-fiction (« The Legend Testers ») – et de 1967 où, pour le magazine Lion, il continue de se forger un style réaliste dynamique doté d’une belle maîtrise du noir et blanc, avec les exotiques aventures de « Jungle Jak », dessinées avec son compatriote José Larraz et qui furent traduites, en France, dans le pocket Safari, sous l’appellation « Jungle Jack » (aux n°88, 89 et 91 de décembre 1974, janvier et mars 1975) : « Ce que je ne recevais pas, c’étaient mes planches originales ; ce fut l’une des causes pour lesquelles je quittais le marché britannique pour passer chez Spirou. »(6).
C’est aussi grâce à l’entrée, au sein du journal Spirou, de l’Espagnol José Larraz, qu’il avait rencontré pendant cette période, que Jordi Bernet va commencer à se faire un nom auprès du public francophone. Nous sommes pendant l’été 1968 et les séries réalistes commencent sérieusement à faire défaut pour équilibrer le contenu de l’hebdomadaire de Marcinelle.
En effet, ces derniers temps, les départs s’y sont multipliés : comme la World’s Press (l’agence de Georges Troisfontaines qui fournissait rubriques et bandes dessinées aux journaux des éditions Dupuis) avait arrêté sa production, ses auteurs n’hésitaient plus à aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte ou, tout simplement, à prendre leur temps pour se consacrer à d’autres passions.
Ainsi, les dessinateurs Eddy Paape (« Marc Dacier »), Gérald Forton (« Alain Cardan » ou « Kim Devil ») et Jijé (« Jean Valhardi » ou « Jerry Spring ») vont-ils désormais travailler pour les éditions de la concurrence (Tintin et Pilote), Sirius (« Timour » ou « L’Épervier bleu ») va-t-il s’essayer à un style plus humoristique, lorgnant vers la satire, et le scénariste Jean-Michel Charlier, toujours autant débordé, va-t-il considérablement ralentir sa production, délaissant ses complices MiTacq (« La Patrouille des Castors ») et Victor Hubinon (« Buck Danny ») ; d’autant plus qu’il se consacre, de plus en plus, à son travail à la télévision.
Même le provocateur rédacteur en chef, Yvan Delporte, se retrouve congédié, en cette époque révolutionnaire du mois de mai 1968, entraînant plus ou moins les départs de ses amis scénaristes : le fantaisiste Maurice Rosy et le plus journalistique Charles Jadoul, lequel s’occupait des nouvelles séries réalistes, comme « Michel et Thierry », « Dr. Gladstone » ou « Arnaud de Casteloup », censées remplacer les défections précédemment citées.
En attendant de nommer un nouveau rédacteur en chef (Thierry Martens, en juillet 1969), c’est Charles Dupuis, lui-même, qui va monter au front pour défendre son enfant favori dont les ventes s’effondrent en France ; le tirage de Spirou ayant chuté de 35 000 exemplaires entre 1966 et 1969, d’après Thierry Martens, dans son ouvrage « Le Journal de Spirou 1938-1988 cinquante ans d’histoire(s) » publié aux éditions Dupuis, en octobre 1988.
Une crise du réalisme et des scénaristes qu’Yvan Delporte avait pourtant déjà tenté d’enrayer, dès l’année précédente, en ouvrant son champ d’action à l’étranger et en misant sur la traduction de bandes dessinées produites par des dessinateurs hollandais (Frits Kloezeman avec « Le Juge Ti » et Alfred Mazure avec « Coup au cÅ“ur ») ou espagnols. Notamment avec l’équipe amenée par José Larraz, c’est-à -dire Jesús Monterde Blasco – qui était quelques fois secondé par ses frères Alejandro et Adriano – (avec « Los Guerrilleros », en 1968) et Jordi Bernet sur « Dan Lacombe » (publié du n°1582 au n°1612, en 1968) ; un scénario de son oncle Miguel Cussó où ce talentueux graphiste s’inspire fortement du style de Frank Robbins, le dessinateur de la superbe série d’aviation américaine « Johnny Hazard » : « Dan Lacombe fut mon premier personnage accepté chez Spirou, Michaël vint plus tard… Larraz était un type qui voulait entrer dans le cinéma et, pour gagner la sympathie de mon oncle, il nous facilita ce contact à Spirou, grâce au fait qu’il habitait Bruxelles…
Il avait produit beaucoup de BD pour la France, mais il ne savait pas dessiner ; alors, il piquait à d’autres dessinateurs, il était le dessinateur typique de laboratoire. Il avait placé plusieurs séries, mais il n’avait personne pour les faire. Après que nous ayons introduit « Dan Lacombe », il nous proposa, à moi et aux frères Blasco, de dessiner « Michaël », puis « Paul Foran », d’après ses scénarii. »(6).Né le 20 juillet 1928 à Barcelone, José Ramón Larraz se lance dans la bande dessinée, au début des années 1950, lançant quelques séries éphémères dans la presse espagnole, notamment dans le magazine El Coyote (où il reprend, de 1952 à 1954, la série créée par Francisco Batet, tout en proposant aussi « Duncan Foster », un premier explorateur et chasseur de fauves en Afrique) et dans les autres titres des éditions ClÃper : « Aventuras de Wilkens el cazador » dans Alcotán (1951), « Castigo del ártico », « En las entrañas de la tierra» et « Ray Walker, el hombre del asfalto » dans Nicolás (entre 1952 et 1954), « Sombras blancas », « Kirza » et « Tim Rogers » dans Aventurero (en 1953),  Vivian, Pecas, Janet y Pipa » et « Pipa, Pipo y sus amigas » dans Florita (de 1953 à 1954) ou « Guillermo, el perro y el capo » dans Yumbo (en 1954). On luit doit aussi des strips promotionnels pour la sortie du film Quo Vadis ? et une participation aux fascicules des éditions Toray : « Kan Mahal » et « El Torreón de los búhos » dans Enigma escalada, en 1954. Or, depuis l’année précédente, Larraz a gagné discrètement la France et s’est inscrit comme étudiant au Louvre ; ce qui lui permet d’obtenir un permis de séjour et de réaliser quelques illustrations pour le magazine Noir et Blanc. En 1954, il tente sa chance auprès de l’éditeur français de Florita, Marijac, qui lui commande, entre 1954 et 1955, quelques bandes exotiques que ce dernier scénarise pour les magazines qu’il produit (« Jungle interdite » dans Coq hardi ou « Douce-Liane » et « Jenny la fille du désert» pour Mireille), ainsi que chez la très catholique Bonne Presse (« Stop au signal rouge ! » dans l’hebdomadaire Bayard, en 1956).
Même s’il est loin d’être un virtuose du dessin, il se révèle un fantastique conteur, maîtrisant au mieux les cadrages et l’ambiance, notamment dans ses travaux réalisés ensuite pour l’agence Opera Mundi : les strips quotidiens de « Jed Foran » dans Le Soir de 1955 à 1957, de « Capitaine Baroud » dans L’Équipe de 1955 à 1960, d’« Hommes et bêtes » dans France-Soir de 1956 à 1957 (où il signe Gil, son deuxième nom de famille, et est secondé efficacement par son compatriote José « Pépé » Laffond – le frère de Carlos Laffond qui travaille alors à Spirou -, de « Cécile » dans Le Parisien libéré de 1957 à 1960, de « La Casaque noire » dans Le  oir en 1958 (il ne s’occupe que du scénario délégant la partie graphique à un autre de ses compatriotes exilés Julio Montañes), des adaptations de « Croc-Blanc » dans Libération en 1960, de «La Guerre du feu » en 1962 et du « Félin géant » de 1962 à 1963 dans L’Humanité ou les planches d’«Yves la Brousse » dans Pilote, en 1967 ; ceci juste avant son entrée à Spirou !(7).
Charles Dupuis, qui avait envie d’une histoire avec un agent secret pour compenser le manque de réalisme flagrant dans les pages du journal de Spirou, commande donc la série « Dan Lacombe » à Jordi Bernet, dessinateur que lui a conseillé José Larraz.
Hélas, cette aventure pleine d’action et de rebondissements à la « Buck Danny », où un agent secret, un professeur et une ravissante jeune femme sont confrontés à des Touaregs et à de méchants exploiteurs de pétrole, ne remporte pas l’adhésion espérée auprès des lecteurs francophones. Un peu plus tard, en 1970, la revue espagnole Gaceta Junior, intéressée par la republication de ces soixante-deux planches, demande aux auteurs une courte introduction, « La Orquidea negra », pour présenter le héros au public ibérique : « Malheureusement, l’hebdomadaire disparut en juin, tandis que ce récit fut repris dans le n°4 de Bang ! Il sera ensuite à nouveau réédité dans Chito n°13 et 14, en 1975. Jusqu’à présent, en dehors de Mocambo, un éphémère mensuel qui ne put en publier que les vingt-six premières pages, aucun éditeur n’a eu l’idée de reprendre en Espagne la première aventure de Dan Lacombe » déclarait Alfonso Moliné dans le n°89 de Hop !, en 2001, alors qu’il en profitait pour proposer et traduire « L’Orchidée noire », ces pages d’introduction jusque-là inédites en français, dans cette revue dirigée par Louis Cance…
C’était sans compter avec Glénat España qui a enfin proposé, au public espagnol, un gros recueil broché de quatre-vingt-quatre pages reprenant l’intégralité des deux épisodes, en mai 2004 : qu’attend donc Jacques Glénat pour en faire de même en France, d’autant plus que la première histoire n’y a jamais été reprise en album ?
Quoi qu’il en soit, Jordi Bernet se retrouve en panne de travail et devient, alors, l’assistant de José Larraz. Car, sous le pseudonyme de Dan Daubeney (qu’il utilisait déjà à Pilote et au Journal de Mickey), ce dernier avait déjà imposé dans Spirou, dès 1967, deux séries dont les vies seront, pourtant, assez courtes : les aventures maritimes de « Christian Vanel » et celles, africaines, de « Michaël ». C’est sur cette dernière que Bernet va surtout Å“uvrer, même s’il est difficile de déterminer l’ampleur de son travail sur cette bande qui ne connut que quatre longs récits à suivre et un plus court de six planches, jusqu’en 1971. Il prend, en fait, la suite d’Herbert Geldhof, ancien élève de Jijé qui ne signait que de son prénom, et de René Follet qui sont intervenus sur les deux premiers épisodes. Son jeune héros, à qui Larraz donne les traits de son fils Duncan, était toujours accompagné d’un lionceau. L’opportuniste créateur de « Michaël » offrit d’ailleurs un véritable petit lion à Charles Dupuis, pour « lancer » sa série… Cependant, les chevaux de l’éditeur n’appréciant guère ce type d’hôte, ce fut finalement Yvan Delporte qui l’hébergea à Spirou : devenu trop grand, l’animal fut ensuite confié au cirque de Jean Richard ; et l’anecdote fit longtemps les choux gras de la rédaction…Après avoir travaillé pour l’Angleterre (toujours avec Jordi Bernet sur « Jungle Jak » dans Lion, en 1967) et réalisé quelques enquêtes de « Kim Norton » dans Spirou (qu’il signera Watman, entre 1975 et 1978) dans Spirou et être apparu brièvement dans la version française du journal Tintin (« Boango » en 1975 et « Yann le Gaël » en 1976), José Larraz va se tourner définitivement vers la mise en scène cinématographique ou télévisée de nombreux films d’horreur en Grande-Bretagne, ainsi que de quelques long-métrages érotiques pour le marché espagnol : aboutissement d’une carrière commencée dans le roman-photo pour l’hebdomadaire féminin Femmes d’Aujourd’hui : « en fait, je suis un conteur, pas un dessinateur. Le dessin ne suit pas toujours l’idée. Malgré que je ne sache pas très bien dessiner, je m’attaque toujours à des sujets difficiles… » confirmait lui-même Larraz dans Le Soir Jeunesse, en janvier 1970 !
Mais, entretemps (entre 1968 et 1976), signant souvent Gil pour l’occasion, Larraz va créer « Paul Foran », sa série qui reste, encore aujourd’hui, la plus connue et pour laquelle il va s’assurer les services de ses compatriotes le scénariste Miguel Cussó et, surtout, les dessinateurs Jesús Blasco (qui signait alors Montero, pseudonyme tiré de son deuxième nom, Monterde) et Jordi Bernet(8) : « Larraz se contentait de décalquer les dessins des autres… Cusso n’a jamais été crédité pour ses scénarios sur « Paul Foran » et j’ai dessiné seul les six épisodes signés Gil et Jordi, dont deux ont été repris depuis en albums. Tout cela est assez compliqué ; Blasco et moi-même avons été arnaqués dans cette affaire et, pour ma part, j’ai délibérément interrompu ma collaboration à Spirou.
 »(9). Jesús Blasco, reconnu aujourd’hui comme l’un des maîtres de la bande dessinée espagnole, était un dessinateur qui connu d’abord un certain succès dans son pays d’origine avec des séries humoristiques ou d’aventures publiées dans des revues pour enfants comme Boliche et Chicos (avec « Cuto », dès 1935) ou Mis Chicas (avec « Anita Diminuta », en 1941), Florita, Aventurero, El Coyote, Yumbo, Topolino…
À partir du milieu des années 1950, tout comme ses compatriotes Jordi Bernet et José Larraz, il produit de nombreuses séries réalistes destinées aux magazines de la britannique Fleetway, passant, lui aussi, par l’intermédiaire de l’agence Bardon Art.
Il dessine ainsi « Buffalo Bill » dans Comet, puis « Billy the Kid », « Dick Turpin » et « Wyatt Earp » dans Sun ou encore « Robin Hood » (publié en France dans le Mireille de Marijac, sous le titre « Robin des Bois » à partir de janvier 1959, et sous le titre d’« Oliver » dans le pocket éponyme des éditions Imperia).
Il fait aussi partie du staff des nombreux dessinateurs des westerns « Kit Carson », « Kansas Kid », « Buck Jones », « Gang Buster », « Buffalo Bill » et « Frontier Fury » publiées dans le magazine Cow Boy Picture Library, entre 1958 et 1962, et traduits en France, à la même époque, par les éditions Impéria dans les pockets Kit Carson, Tex-Tone, Buck John, Prairie, Hopalong Cassidy, Indians…Même si Bernet y participe aussi, Jesús Blasco va principalement intervenir sur les décors de « Paul Foran », thriller fantastique proposant des histoires d’espionnage mêlant mystère et épouvante.
Notamment au niveau des épisodes publiés entre 1968 et 1969, soit « Le Mystère du lac » (repris dans un album broché et en couleurs aux éditions Dupuis, en 1978), « Le Gang des vampires » (repris dans un album broché en noir et blanc aux éditions Milwaukee, en 2001, et en couleurs, dans un tirage plus ou moins pirate, chez Bibliotheca Virtualis) et « Chantage à la terre » (repris dans un album broché et en couleurs aux éditions Dupuis, en 1976, puis aux éditions Milwaukee, en 2009), avant de déclarer forfait :
« Nous employions un système particulier : nous ne travaillions pas par planches, mais par cases. Si vous pouvez reconnaître nos styles respectifs, vous verrez que dans un épisode de « Paul Foran », il y a des cases qui portent la patte des Blasco et d’autres qui sont de moi. Larraz, lui, ne faisait que décalquer.
Il donnait nos cases à Diana Doubenay – une jeune fille qui habitait avec lui : le pseudonyme Dan Daubeney est dérivé de son nom – qui les découpait et les collait sur des planches. Larraz employait ce pseudonyme car il avait des problèmes avec le fisc belge.
Il signait aussi Gil qui était le nom de famille de sa mère. »(6)
Cependant, Jordi Bernet est bien crédité, de son seul prénom, sur les épisodes « La Momie » (publié du n°1658 au n°1670 de 1970), « L’Habitant du moulin » (du n°1709 au n°1720 de 1971), « Les Démons de la jungle » (du n°1750 au n°1761 de 1971), « Baroud dans l’île » (du n°1844 au n°1862 de 1973), « L’Ombre du gorille » (du n°1923 au n°1936 de 1975) et « Le Retour de Ling–Hur» (du n°2017 au n°2027 de 1976).(10)
On y reconnaît d’ailleurs très bien son style, étant donné que, petit à petit, il convainc Larraz de lui laisser l’entière maîtrise du graphisme de cette série assez angoissante qui, finalement, constituait un style très nouveau pour le lectorat de Spirou : Paul Foran étant membre d’une brigade spéciale qui traque le surnaturel et qui essaye de trouver une explication rationnelle à des phénomènes plus qu’étranges… : « Larraz fut payé pour la deuxième partie de « L’Ombre du gorille » et ne m’envoya jamais l’argent qu’il me devait… Ce type était difficile à localiser car il habitait Londres, Bruxelles, un peu partout… Et je ne l’ai absolument plus jamais revu depuis. Il ne me rendit pas non plus les originaux…
Par ailleurs, Spirou était un journal avec beaucoup de dessinateurs francophones ; et, parfois, les auteurs étrangers avaient quelques difficultés à placer leurs séries – les dessinateurs francophones ayant la préférence – donc, je m’en éloignais totalement. Il faut dire que, bien que mon dernier épisode de « Paul Foran » soit paru dans Spirou en 1976, je ne dessinais plus cette série depuis 1972 ; à l’époque, je travaillais déjà pour l’Allemagne... »(6).
Ce qui n’empêcha pas Larraz de réaliser, toujours dans Spirou, un ultime épisode qu’il signera Watman, en 1979 : « Le Repaire de la mort lente », repris en un album en couleurs aux éditions Milwaukee, en 2009, et dans un tirage plus ou moins pirate, chez Bibliotheca Virtualis, sans précision d’ISBN, ni de dépôt légal !!!
(À suivre)…
Gilles RATIER
(1) Nous reviendrons sur cette série et sur tous les autres travaux de Jordi Bernet, réalisés à partir des années 1970, dans la deuxième partie de ce « Coin du patrimoine ».
(2) Pour en savoir plus sur Jordi Bernet, nous ne pouvons que vous conseiller de consulter Les Cahier de la BD n°75 (1987), Bulles dingues n°14 (1989), Gotham n°4 (1996), Glamour International n°23 (1996), Bo Doï n°36 (2000) et, surtout, les n°89 et 90 (2001) de l’indispensable revue Hop ! avec dossier réalisé par Marc-André Dumonteil, bibliographie par Louis Cance, interview par Alfonso Moliné et traduction d’un récit inédit en France de « Dan Lacombe » (les quatorze planches de « L’Orchidée noire ») : un must, quoi !
(3) Jordi Bernet était vraiment tombé dans le bain du 9e art depuis son enfance puisque son oncle, Juan Bernet Toledano, le frère de son père Miguel, était aussi un dessinateur de bandes dessinées humoristiques.
Son œuvre la plus connue étant « Los Guerilleros » (rien à voir avec le western réaliste de Jesús Blasco), publiée dans la revue Trinca à partir de 1970 et dont Bedesuptraduira quelques pages dans un album broché proposé sur le marché francophone, en 1984.
(4) Extraits d’une interview de Jordi Bernet parue dans le n°23 (daté d’octobre 1996) de Glamour International.
(5) Reprise d’une intervention de Jordi Bernet citée par Marc-André Dumonteil dans le n°89 de Hop !, au premier trimestre 2001.
(6) Extraits d’une interview de Jordi Bernet (par Alfonso Moliné) parue dans le n°90 de Hop !, au deuxième trimestre 2001.
(7) À noter que, parallèlement, José Ramón Larraz va travailler pour Le Journal de Mickey, notamment avec une reprise partielle de « La Petite Annie » (de 1956 à 1958), des adaptations anonymes ou signées Diana Daubeney entre 1961 et 1962 (« Eyrimah », « L’Homme des vallées perdues » et « Jean-Loup le harponneur »), et surtout « Tim la Brousse », une série au thème similaire à celui d’«Yves la Brousse » et autres « Jed Foran », publiée, de 1957 à 1961. En fait, Larraz ne réalisera qu’une partie des cinq longs épisodes de cette bande exotique, laissant souvent la place au trop méconnu Jacques Blondeau : dessinateur réaliste travaillant à la même époque pour l’agence Opera Mundi (« Arsène Lupin » dans Le Parisien, « Lil » dans L’Aurore ou « Maigret » dans Samedi Soir) et qui a aussi illustré de nombreuses adaptations de romans célèbres, publiées notamment dans Le Journal de Mickey (« Helvgor du fleuve bleu », « Sans famille », « Lancelot »…).
À noter que nous avons pu mettre à jour et rectifier nos écrits sur José Ramón Larraz grâce au n° 8 de La Crypte tonique Magazine, de mars-avril 2013 ; voir www.lacryptetonique.com.
(8) Manifestement, ils n’étaient pas les seuls puisque Thierry Martens m’avait confié, lors de diverses correspondances, vers 1997, alors que j’étais en train de préparer mon ouvrage sur les scénaristes (« Avant la case », dont la deuxième édition, largement revue et corrigée, est toujours disponible aux éditions Sangam), en avoir écrit certains épisodes comme « L’Ombre du gorille » ou « Le Retour de Ling–Hur».
(9) Extraits d’une interview de Jordi Bernet (par Thierry Groensteen) parue dans le n°75 des Cahiers de la Bande dessinée, daté de mai-juin 1987.
(10)« La Momie » et « L’Ombre du gorille » ont été repris dans des albums brochés et en couleurs aux éditions Dupuis (en 1979 et 1977), « L’Habitant du moulin » et « Les Démons de la jungle » dans des albums brochés en couleurs aux éditions Milwaukee (en 2011 et 2010).
Quant à « Baroud dans l’île » et « Le Retour de Ling–Hur» (tout comme « L’Habitant du moulin » et « Les Démons de la jungle »), ils auraient été réédités chez les pirates de Bibliotheca Virtualis.
Petit complément de dernière minute : d’après un document très utile (« Jordi Bernet bibliografia » par Francisco San Millán, avec la contribution de Javier Me?on), hélas seulement découvert sur Internet juste après la mise en ligne de ce premier « Coin du patrimoine » consacré à Jordi Bernet, notre dessinateur aurait commencé sa carrière avec divers dessins publiés dans la revue espagnole Pepe Cola, en 1959 : voir http://sanmillan.free.fr/images/biblios/bernet.pdf.
Par ailleurs, il aurait aussi réalisé quelques gags et petites histoires humoristiques pour Pz : revista de humor, Don Cabirio ou La Risa, en 1960, ainsi que des illustrations pour des nouvelles western (dans Frio cementerio, collection Pistoleros del Oeste), policières (dans El Caso Bahnhofplatz et Mano maestra) et autres (pour les collections Juvenil Ferma ou Grandes Libros des éditions Ferma), dès l’année suivante.
Enfin, en 1962, il aurait aussi aidé Jordi Buxadé à dessiner les aventures de « Jim Huracán », un western écrit par Eugenio Sotillos et inspiré du « Red Ryder » américain de Fred Harman, publié dans le Hazañas del Oeste des éditions Toray depuis 1959.
Toujours d’après « Jordi Bernet bibliografia », Jordi Bernet aurait également réalisé (textes et dessins) quelques histoires courtes de terreur pour la revue Dossier Negro d’Ibero Mundial de Ediciones, entre 1968 et 1969, et une autre pour la revue Sgt. Kirk des éditions italiennes Ivaldi (en 1970) ; certaines ont été reprises dans l’anthologie « Fuera de serie », publiée chez Glénat Espagne, en 2000).
Gilles Ratier
Merci pour l’article, complet et très intéressant.
Bravo et merci pour cet article bilbliophile de haute volée.
Et merci à vous de l’avoir lu…
Joyeuses fêtes…
Gilles Ratier