Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Philippe Squarzoni (« Saison Brune ») : « La solution pour lutter contre le réchauffement climatique existe, mais je ne crois pas à sa mise en œuvre ! »
Avec « Saison Brune », l’auteur de « Dol » se penche sur la question cruciale du réchauffement climatique et nous livre un imposant et passionnant documentaire de création en images, entremêlant analyses scientifiques, témoignages d’expert, réflexions personnelles et considérations intimes.
A la fin de l’élaboration de « Dol », qui dressait un bilan des politiques menées durant le second mandat de Jacques Chirac, Philippe Squarzoni s’interroge : « il me restait un chapitre à traiter, autour de l’action écologique menée à l’époque. Faisant le constat de mon ignorance concrète sur le sujet environnemental, j’ai donc décidé de consulter quelques ouvrages. Leur lecture m’a alerté sur l’ampleur du problème climatique et a généré une authentique inquiétude personnelle. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d‘y consacrer un ouvrage à part entière. ».
Reconnaissant son incompétence technique sur le sujet, « je ne pouvais pas parler de choses que je ne connaissais pas et je me demandais qui croire ? », l’auteur de « Garduno, en temps de paix » s’attache alors à décortiquer la documentation la plus large possible et à interroger les experts du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) : « Ce que me dit la science est ce en quoi je crois. L’objet de ces rencontres était de répondre aux questions que je me posais, mais aussi de percevoir les implications politiques nécessaires pour la mise en œuvre de solutions. ». Tous les aspects scientifiques du réchauffement climatique et de l’augmentation des gaz à effet de serre ainsi que les conséquences à venir, fonte des glaciers, assèchement de certaines régions, sont ainsi expliqués et disséqués dans cet ouvrage instructif et pédagogique, à la pagination impressionnante.
Il serait cependant très réducteur de ne qualifier « Saison Brune » que comme purement didactique, la construction du récit s’articulant entre réflexions personnelles et collectives, avec un vrai regard intime sur la finalité des choses : « C’est toute la difficulté du genre documentaire, nous explique Philippe Squarzoni : fournir à la fois du contenu et une dimension créative. Cette difficulté est flagrante dans beaucoup de bandes dessinées quand on voit les stratégies d’esquives utilisées, comme les dossiers explicatifs repoussés en fin d’album ou les ouvrages de pur contenu oubliant les aspects BD. La Bande dessinée est encore en train d’inventer ce genre documentaire, qui existe déjà au cinéma ou à la télévision. Après 10 ans de travail, je l’appréhende de mieux en mieux. Je mets en Å“uvre tout ce que la BD me permet de faire : voix off, interview métaphorique ou face caméra…, et tous les moyens pour réussir à allier le contenu et la dimension artistique. Ensuite les choses s’articulent simplement. ».
Car la thématique de « Saison Brune », dont le titre fait référence à la période annuelle d’indécision entre l’hiver et le printemps, ainsi qualifiée dans le Montana, s’inscrit dans un cousinage d’angoisses individuelles de l’auteur sur le commencement et la finalité : « C’est le début d’une nouvelle histoire et la fin d’une ancienne. Mon inquiétude, par rapport au réchauffement climatique, s’inscrit en résonance avec mon inquiétude personnelle de milieu de vie où je perçois la fin des choses. C’est la raison pour laquelle j’ai construit le livre en six parties, avec trois introductions traitant de la considération du commencement d’une œuvre et trois autres de leur fin . C’est aussi la raison pour laquelle je commence l’album sur une page de gauche et le termine sur une page de droite, à l’inverse des habitudes du 9e Art. ».
L’ouvrage ne se contente cependant pas de dresser une liste de constats irréversibles, il ébauche également les solutions qui pourrait permettre à l’humanité de ne pas sombrer dans une catastrophe climatique totalement irréversible : « Nous pouvons encore éviter le pire. La solution existe. il s’agirait d’élaborer conjointement une réponse sociale et environnementale. Hélas, personnellement, je ne crois pas à sa mise en œuvre, compte-tenu de l’inertie du système, des idéologies dominantes et des intérêts en place. » Une vision « brune » ?
Laurent TURPIN avec un tout petit peu de Gilles Ratier
 « Saison brune » par Philippe Squarzoni
Editions Delcourt (27,95 €) – ISBN 978 – 2 – 7560 – 1808 – 9