« Captain Swing et les pirates électriques de Cindery Island » par Raulo Caceres et Warren Ellis

Après sa puissante et remarquable trilogie sur le thème du super-héros (« Black Summer », « No Hero » et « Supergod ») et un « Wolfskin » moins inspiré, Warren Ellis revient chez Milady avec une nouvelle œuvre made in Avatar Press : « Captain Swing ». Ou comment triturer la nature même du steampunk pour en tirer une création revenant aux fondamentaux avec vigueur et originalité.

Depuis sa création, le steampunk semble à la fois avoir été sous et surexploité – ou plutôt souvent exprimé de manière trop basique dans des œuvres n’illustrant que le concept. Certes, faire comme si les inventions littéraires et scientifiques du 19ème siècle avaient existé au-delà du papier, comme si Jules Verne n’avait pas extrapolé mais bien décrit son présent, est un concept plus que séduisant. Et retrouver Warren Ellis sur ce terrain du steampunk est une bonne surprise. Lui qui a déjà bien écumé les territoires de l’anticipation mordante se retrouve ici à explorer la période fondatrice de la SF moderne. Mais comme Ellis ne fait jamais rien comme tout le monde, ce n’est pas la fin attendue du 19ème siècle qu’il investit, mais une période antérieure plus ancrée dans le romantisme que dans les prémisses de la science-fiction, puisqu’il s’agit des années 1830. Ce faisant, il dresse néanmoins des passerelles entre les premiers romans gothiques et les premières œuvres de SF, dans un territoire imaginaire assez poreux malgré la géographie londonienne et la mythologie urbaine qui l’entourent.

 

« Captain Swing et les pirates électriques de Cindery Island » est donc une bonne surprise, car Ellis l’a abordé de manière maline. On aurait pu craindre qu’il ne prenne le concept du steampunk que comme un genre de plus à déglinguer, mais notre homme semble s’y être attelé avec respect et sérieux, s’effaçant presque plutôt que d’avoir la prétention de signer là une œuvre d’Ellis qui aurait la bonté de se pencher sur un sujet pour le rendre indubitablement génial, comme les médias veulent le lui faire croire. Je dis ça justement parce que j’adore Ellis. Certes, quelques écrabouillages en règle ont lieu pour assurer un minimum de gore, mais on dirait qu’Ellis s’est consciemment mis en retrait pour mettre en avant le dessinateur et le genre en lui-même. Sa spécificité n’apparaît que dans les pages de textes qui jalonnent régulièrement l’œuvre sur un ton plus intimiste, journal intime du héros qui semble devenir inconsciemment celui de l’auteur. Au final, Ellis réussit une nouvelle fois à nous étonner avec cette création aussi personnelle qu’iconique, aussi humble qu’emphatique.

 

Nous sommes donc à Londres en 1830. Charlie Gravel est un jeune Bobby (ou Peeler), c’est-à-dire un flic appartenant à la police officielle londonienne, contrairement aux Bow Street Runners qui constituent une milice privée agissant au nom des magistrats. C’est dans ce contexte sensible de promiscuité des forces de l’ordre que se déroule le récit d’Ellis, ce dernier ayant à cœur de plonger le lecteur dans un environnement historique réaliste. Mais les choses vont se gâter. Un soir, Charlie Gravel voit ce qu’il n’aurait pas dû voir alors qu’il pourchasse Spring-Heeled Jack, un révolutionnaire fortement recherché et soupçonné de meurtre… En effet, ce dernier lui échappe en bondissant par-dessus de hauts murs avant de s’envoler à bord d’un… canot pourvu de rames générant un flux électrique ! Comment une telle chose est-elle possible ? Charlie reste interdit : l’état de la science serait-il bien plus avancé qu’on ne le dit officiellement ? Qui se cache derrière ce prodige ? Charlie Gravel va mener son enquête et s’embarquer dans une drôle d’aventure qui risque bien de bouleverser sa vie. Je n’en dirai pas plus afin de ne rien éventer, mais sachez que l’intrigue d’Ellis est impeccable et – contre toute attente – joliment classique en ce sens où il rend vraiment hommage à de grands archétypes de la littérature de science-fiction et de fantastique, comme « Robur le conquérant » de Verne ou « Peter Pan » de Barrie. Il ne casse rien et ne joue pas à Ellis, remettant plutôt les choses en perspective dans une sincérité palpable.

 

Comment finir cet article sans parler de Raulo Caceres, le dessinateur de cette belle mini-série ? Impossible. On connaît le goût d’Ellis pour les dessinateurs fous, les psychopathes du trait, les obsessionnels du détail. En parallèle au trait médical et foisonnant de Ryp, il trouve chez Caceres un autre acolyte délirant. En effet, cet artiste espagnol (avec qui il avait déjà travaillé sur « Crécy » et « Gravel ») n’est pas en reste lorsqu’il s’agit d’investir follement son dessin. Dans un style réaliste aux faux airs de gravure, il semble envisager chaque image comme une enluminure extrêmement détaillée, dans des jeux de hachures très finement exécutées. Je dois avouer avoir été assez impressionné – voire fasciné – par le travail de Caceres sur cet album. C’est une esthétique précise et étrange, avec comme seul petit bémol une faiblesse dans le traité des visages féminins – ce qui est dommage… Mais il suffit de scruter avec attention son travail sur les chevelures ou les vues des toits de Londres pour oublier tout le reste. L’ambiance chromatique assez sombre de cette œuvre donne une tonalité d’ensemble très réussie, en parfaite adéquation avec le propos et donnant encore plus de contraste aux luminescences électriques qui zèbrent certaines images. En conclusion, voilà un album fort plaisant à lire, ayant le potentiel de rester gravé dans l’esprit du lecteur ne serait-ce que par le beau spectacle graphique auquel nous convie Caceres.

 

Cecil McKINLEY

« Captain Swing et les pirates électriques de Cindery Island » par Raulo Caceres et Warren Ellis Éditions Milady (15,20€) – ISBN : 978-2-8112-0708-3

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