« Skizz » par Jim Baikie et Alan Moore

Que faire lorsqu’on trouve un extraterrestre planqué dans la cabane à outils au fond de son jardin ? Alan Moore nous donne quelques conseils dans « Skizz », une œuvre publiée en 1983 dans 2000 AD. L’album qui nous intéresse aujourd’hui reprend intégralement cette série jusqu’alors totalement inédite en France…

Après un recueil de « Future Shocks/Time Twisters », après « D.R. & Quinch » et « Halo Jones », Soleil continue de publier les œuvres d’Alan Moore parues dans la mythique revue anglaise 2000 AD dans la première moitié des années 80, avant que le scénariste ne devienne la star qu’on connaît. Et même si je continue à regretter que ces éditions de petits bijoux la plupart du temps inédits et rarissimes soient dépourvues de tout appareil critique, il n’en reste pas moins que ces œuvres de « jeunesse tardive » restent absolument indispensables à tout fan du fameux scénariste. L’exhumation de ces créations britanniques était nécessaire aujourd’hui, nous donnant finalement à lire des témoignages significatifs sur ce qu’était en train de devenir Moore à l’époque. Un ton, un regard, un style qui était en train de s’imposer et qui allait révolutionner bien des choses dans le Landernau des comics…

« Skizz » est une œuvre particulièrement touchante de Moore, une charnière. Car ce qu’il faisait à l’époque dans 2000 AD versait plutôt dans la franche parodie, provocatrice et décalée, au sein de récits courts. Certes, il continuera sur sa lancée avec l’inénarrable « D.R. & Quinch », mais on peut dire que « Skizz » annonça le ton plus émotionnel et humaniste qu’on retrouvera peu de temps après dans « Halo Jones ». L’humour est loin d’y être absent, mais on sent que le scénariste a alors envie d’approfondir son propos. Il faut dire que du côté de chez Warrior il avait déjà entamé le très sérieux « V for Vendetta ». Dans « Skizz », Moore reprend le thème d’« E.T. » sans s’en cacher puisqu’il y fait directement référence dans son récit. Le petit extraterrestre tombé du ciel, recueilli par un jeune Terrien et espérant pouvoir rentrer chez lui est bien le cœur de l’intrigue. Mais même si son récit est constamment traversé par une réelle émotion, Moore échappe aux grands sentiments larmoyants du film de Spielberg. Il reprend plutôt le postulat de départ pour en tirer une fable tragi-comique laissant un goût un peu amer, prompt à faire réfléchir sur le système humain qui entrave les libertés et ne reconnaît pas la différence – à moins que ce ne soit une conséquence du contexte thatchérien de l’époque…

 

Zhcchz (prononcez « Skizz ») est un extraterrestre à l’allure de kangourou qui vient de l’empire de Tau-Ceti, lointaine contrée cosmique où il exerce la profession d’interprète. Suite à une avarie, son vaisseau spatial s’abîme sur Terre, le laissant seul et démuni après que ce vaisseau se soit autodétruit ; il n’a alors plus aucun moyen de retourner chez lui, et va devoir faire face aux habitants cette planète, sortes de bipèdes simiesques qui le plongent dans la sidération et la crainte. Il faut dire que les humains se crient dessus, se frappent, étranges barbares du quotidien. Apeuré, Skizz finit par trouver refuge dans un vieux cabanon, au fond d’un jardin, avant d’être découvert par Roxy, une jeune étudiante qui semble l’aborder différemment des autres, sans agressivité. Les deux êtres vont progressivement apprendre à se connaître, à se faire confiance, et un lien très fort va finir par s’instaurer entre eux. Mais l’idylle sera de courte durée, car le crash du vaisseau de Skizz n’est pas passé inaperçu, et voilà déjà les services secrets gouvernementaux et l’armée lancés à la poursuite du probable survivant cosmique. À la tête de cette milice spéciale se trouve Van Owen, un personnage outrancier, violent et cupide qui compte bien attraper l’extraterrestre et en tirer tout ce qu’il pourra. Ce qui devait arriver arriva, et Roxy va devoir arracher Skizz des griffes de Van Owen avant que le pire ne survienne. Elle sera pour cela aidée par un duo improbable : Loz et Cornelius, deux adultes un peu barrés.

 

Dans « Skizz », Moore réussit à installer un bel équilibre entre suspense, humour, émotion et tragédie. La profonde affection qui naît entre Roxy et Skizz est très bien exprimée, donnant lieu à des scènes touchantes et justes. La gravité du propos est contrebalancée par l’exubérance sadique de Van Owen et la personnalité très… spéciale… de Cornelius, sans jamais rompre cet équilibre pour autant. On ne peut que se sentir concerné par l’histoire tant Moore a réussi à installer un pouvoir d’identification direct et sans ambages. Le cabanon au fond du jardin, ce pourrait être celui de n’importe lequel d’entre nous. Mais il n’y a pas que le scénario qui soit digne d’intérêt. Ce qui frappe tout de suite, dès la première planche, c’est bien sûr la très grande qualité de dessin de Jim Baikie, à la fois réaliste et fantasmatique, alliant avec une grande science la précision du trait, les hachures et les à-plats dans une même vision. Sur ce point, le premier chapitre est assez époustouflant, chaque case s’avérant virtuose, apte à nous faire arrêter notre lecture pour en goûter toutes les subtilités graphiques. C’est vraiment très très beau. Peu à peu, le style de Baikie semble se relâcher, gagnant en liberté sans perdre en qualité, et à la lecture de cet album on ne peut que regretter de ne pas plus connaître le travail de cet artiste de ce côté de la Manche… Parmi les albums déjà édités par Soleil dans cette collection, « Skizz » est assurément l’un des plus remarquables, mettant en avant une œuvre très peu connue en France. À lire !

Cecil McKINLEY

« Skizz » par Jim Baikie et Alan Moore Éditions Soleil (20,00€) – ISBN : 978-2-3020-2018-4

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