Vivant depuis 25 ans avec Tanie — qui est aveugle d’un œil et qui, en conséquence, doit se démener tous les jours pour s’adapter de son mieux aux charges du quotidien —, le dessinateur et scénariste Marc Cuadrado a repris ses crayons pour nous expliquer comment sa courageuse femme fait face à sa déficience visuelle. Pour l’occasion, cet adepte du style gros nez — « Norma » chez Casterman et « Parker & Badger » chez Dupuis ou « Je veux une Harley » pour Frank Margerin chez Fluide glacial et Dargaud (1) — renoue avec la discipline graphique qu’il avait abandonnée depuis une dizaine d’années : passant à autre trait, plus semi-réaliste, où sa plume se fait alors tendre et émouvante… même s’il insuffle toujours sa lumineuse touche d’humour personnelle !
Lire la suite...Le paradis retrouvé ou Pim Pam Poum à lîle Bongo

Dès qu’il pense à « Pim Pam Poum » (The Katzenjammer Kids), l’amateur français ou belge de bandes dessinées
pense à l’île Bongo, non pas qu’il ignore l’existence d’autres épisodes des tribu?lations de cette famille
dont les première et deuxième années d journal de « Mickey » avaient donné un échan?tillon,
mais ce n’étaient là que pré?misses, l’essentiel se situant ail?leurs, plus précisément à l’île Bongo où la famille devait se fixer définitivement sans que la dispari?tion de Knerr lui donne jamais l’occasion de reprendre son erran?ce maritime.
Ce sont donc les mé?saventures de la famille Pim Pam Poum à l’île Bongo et l’île elle-même qui vont faire
l’objet de cet article.
Ce séjour à l’île Bongo n’est pas le premier qu’y effectua la famille, comme
en témoigne l’ardeur du capitaine à y revenir malgré les efforts de la tante
Pim, en effet en 1927-1928, nos cinq personnages y avaient déjà séjourné,
il semble qu’à cette époque, reprenant la tradition de Dirks, Knerr ait fait
porter son effort sur les rapports de la famille avec la communauté
noire de l’île : le roi et sa cour, ses ministres, des rois d’îles
voisines, des ambassadeurs, des dignitaires, etc. se mêlant quotidiennement
(pardon, hebdomadairement !) à la vie de la famille et subissant les farces
sans cesse renouvelées de Pam et Poum ; or, si le retour définitif à l’île
débute dans la mêmeatmosphère, à la cour du roi, très vite la famille
se replie sur elle-même et se met à vivre en circuit fermé, les arrivées
successives de Lena et Miss Ross puis d’Adolphe ne faisant que
renforcer cette tendance en complétant ce petit univers privé, et,
alors qu’auparavant les éléments extérieurs à la famille jouaient
un rôle considérable (l’équipage du bateau et son commandant,
le peau-rouge, le vieil ermite, etc.), maintenant tout va surtout se passer
dans les limites de ce cercle familial agrandi où pénétreront parfois
le roi Bongo, quelques amis de l’astronome ou du capitaine, ou
les nombreux vendeurs farfelus qui séviront parfois sur l’île, tout ceci
restant d’ailleurs très limité.
Examinons donc cette île Bongo : si l’on fait abstraction de Pam
et Poum, c’est un véritable Paradis terrestre retrouvé : elle est
tout d’abord coupée du reste du monde par sa nature même
d’île et surtout elle jouit d’un éternel été car on ne doit
guère tenir compte des rares petits nuages noirs qui amènent
d’exceptionnelles averses. Ah ! le ciel éternellement bleu
de l’île Bongo ! Ah ! l’ombre de ses palmiers, l’or rougeâtre
de son sable et la sérénité de ses après-midi ! Ce caractère
édénique est encore accentué par la familiarité qui existe
entre animaux et êtres humains ; l’île pullule d’animaux
sauvages en général fort débonnaires : singes, autruches,
kangourous (même si c’est une hérésie zoologique en Afrique),
éléphants, hippopotames, chèvres, zèbres, etc. ; l’animal le
plus féroce paraissant être le chat sauvage aux griffes
ravageuses, quant au crocodile, une saucisse l’apprivoise,
la panthère se contente parfois d’un biberon, tandis
que l’hippopotame est sensible au chou et les singes
aux bananes, les éléphants et les autruches sont apprivoisés,
seule la chèvre, irascible et brutale, semble à redouter ;
tout ce monde fait plus ou moins bon ménage, on échange
parfois un coup de dents, de griffes ou de cornes,
les singes ont la poigne un peu trop vigoureuse, mais,
dans l’ensemble tout est idyllique et relativement
aimable, c’est bien l’Eden tant regretté des hommes.
Ajoutons encore que l’auteur a doté ses héros
de l’éternelle jeunesse, ou du moins les a
fixés pour toujours à un âge déterminé sur
lequel les ans n’auront pas de prise : jeunesse
éternelle pour Pam, Poum, Lena et Adolphe,
âge adulte à différents degrés pour les autres ;
ils ne vieilliront pas, au contraire de la famille
Bumstead (Blondie), ni n’évolueront pas avec
leur entourage comme Maggie et Jiggs (Illico). Enfin,
outre que ses moyens de locomotion se limitent
à la traction animale et à la bicyclette, ce petit
monde vit dans un perpétuel farniente ; certes
les femmes et surtout tante Pim travaillent,
mais c’est dans l’ordre des choses : elle tient
la maison et fait la cuisine (la pâtisserie surtout),
les autres se livrent aux joies de longues
siestes, de non moins longues parties de pêche,
du golf, des cartes, du canotage, quand
ce n’est pas de quelque beuverie ; seulement ce
Paradis est troublé par les démons, en l’espèce
Pam et Poum renforcés plus tard par Adolphe,
ce sont avant tout des trouble-fête, leur génie
de la farce, de la mystification, leur esprit
inventif toujours à l’affût d’un tour à
jouer, leur insatiable désir d’empoisonner
la vie des autres les rendent insupportables :
plus de sieste ou de pêche sans pétard ou
ciment ou glu ou crocodile ou autre
joyeuseté du même genre; quelledébauche
d’accessoires et d’outils : de la glu,
élément fondamental, à l’hélicoptère,
tout sera bon : marteau, scie, clous,
planches, roulettes, tuyau de poêle,
cage à oiseaux, bougies, fauteuils,
fusées, essaims d’abeilles, etc.,
sans parler des déguisements dont le
plus réussi est certainement celui de Poum
en petit fille qui aguiche Adolphe et le
berne, ou de Pam et Poum en singe et hibou
suivi de celui d’un singe en hibou et d’un hibou
en singe ; que de défroques, que de peaux
d’animaux, que d’animaux empaillés aussi,
à croire que l’île n’est qu’un vaste musée zoologique
ou un vaste magasin de taxidermiste !
(A suivre)
EDOUARD FRANCOIS
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