RENCONTRE AVEC SERPIERI (1ère partie)

Nous commençons par une rencontre avec Paolo Serpieri, l’auteur de Druuna que nous vous présenterons en plusieurs parties.Par la suite, nous vous dévoilerons quelques documents inédits.

YK : Comment est née , dans votre imagination le personnage de Druuna ?

PS :Druuna est née quand j’ai souhaité dessiner une femme plus caricaturale que la Druuna que nous connaissons aujourd’hui. Je voulais raconter l’histoire très érotique d’une femme pulpeuse, pleine de courbes et en faire une histoire courte.

 

En allant sur la plage d’Ostie, un jour où elle était déserte, j’ai vu une femme sortir nue des vagues. Son corps ruisselait de gouttelettes d’or qui brillaient au soleil… La femme que je recherchais depuis longtemps était là devant moi, nue, dans toute sa splendeur… A ce moment-là, je ne pensais pas que je créerais une saga aussi importante.

 

Quelques heures plus tard, j’allais voir un film: « La Femme Publique » , avec Valérie Kaprisky. Cette fille, très mignonne, les jambes un peu courtes, mais très bien faite, la poitrine un peu petite, les cheveux noirs lâchés, se promène la nuit dans un Paris fait d’ombres et de lumières. Le moment magique, c’est quand elle se regarde dans la glace et danse. Elle monte sur une chaise, la caméra lui tourne autour. Elle est nue. Elle se cambre de manière à bien faire ressortir son cul et les cheveux qui lui tombent sur les épaules. J’ai pensé: « C’est le type de femme qui me plaît! Je voudrais dessiner ce genre de femme ». A cet instant me sont venues à l’esprit toutes les héroïnes de la bande dessinée: Barbarella, Valentina, les femmes de Manara, etc. Quand on dessine une femme on est tenté de l’idéaliser, de lui allonger les jambes et lui faire un beau visage, une sorte de poupée Barbie. Elles doivent être toutes comme cela et on sait pour quelle raison… La beauté dans la B.D., c’est cette synthèse, sinon un dessin de femme réalisé d’une manière différente, risque d’être laid, masculin. J’ai voulu changer cet état. J’ avais en tête l’image grotesque des dessins de femmes de Corben, néanmoins sensuelles. Il les dessine avec des jambes courtes, des seins très gros. C’est caricatural et grotesque, mais elles sont quand même belles et sensuelles. Corben a installé un graphisme dans lequel il s’est imposé.

 

YK : Mais au tout début, vous ne songiez pas que Druuna deviendrait le personnage principal ?

 

PS : C’est exact .J’ai commencé… avec l’idée que Druuna ne serait pas l’héroïne de mon histoire. Je pensais que le héros devait être masculin. Mais l’histoire commence avec elle, toujours présente au long des pages et je me suis rendu compte qu’elle était l’héroïne de l’histoire. J’ai donc commencé à dessiner, et à écrire le scénario. J’avais cette histoire en tête et je me devais de la réaliser graphiquement… J’avais fait des essais, mais je dois dire que lorsque j’ai démarré, ce sont les dessins que j’avais réalisés sur ma planche qui étaient les plus réussis. Druuna trouve sa véritable personnalité graphique à la troisième ou quatrième page de « Morbus Gravis ». Là, c’est véritablement « elle ». Au long des pages, probablement que le visage est devenu plus doux… Dans la première page de « Morbus Gravis » ,Druuna a un physique d’Indienne. Il est utile, à ce sujet, de préciser que j’ai dessiné des westerns où, de temps en temps, apparaissaient des Indiennes et je devais très certainement prendre plaisir à réaliser un visage un peu indien, un peu mongol: les pommettes hautes, les yeux obliques et les lèvres très proéminentes que l’on retrouve dans « Morbus Gravis ». Le visage change instinctivement. Au moment du premier contact avec le moine, il y a une vignette où Druuna est de profil et là, graphiquement, elle est au point. J’ai voulu commencer l’histoire dans cet univers angoissant, à un moment de la vie de tous les jours.

 

YK : Elle semble perdue dès le départ ?

 

PS : Non, elle a son propre monde où elle s’enferme, où elle retrouve ses livres, où elle cherche à comprendre. C’est une fille curieuse, intelligente, sensible. Sa culture se limite pourtant au contexte étouffant qu’elle découvre dans ce gigantesque navire spatial errant à la dérive depuis des siècles: une planète artificielle. Elle vit dans ce monde et cherche à comprendre. Elle sait aussi que Shastar a des connaissances très approfondies et terribles. Elle veut savoir, connaître, comprendre. Quand elle parle avec le mutant (la scène du premier livre), ce personnage un peu hermaphrodite, mi-homme, mi-femme, il lui dit que ce monde est terrible et prisonnier d’une maladie qui les ronge. . . Elle refuse la vérité, car elle aime Shastar d’un grand amour… On en a une première approche dans « Morbus Gravis »… Shastar est atteint par le mal et porte ce secret en lui… Il connaît la nature du mal qui le ronge et ne peut révéler ce secret à Druuna. C’est une lourde responsabilité, mais il sait que Druuna veut connaître ce secret.

 

YK : Mais Druuna dès les premières images sait qu’elle plaît aux hommes ?

 

PS :C’est une femme d’aujourd’hui. C’est le type de femme que j’aime beaucoup: un peu candide, un peu ingénue en ce qui concerne l’amour. Druuna connaît parfaitement son corps, et sait qu’elle peut compter sur sa beauté. Il y a une certaine perversité dans cette candeur , perversité dans le sens proprement littéraire. Ce n’est pas une sainte. Le sexe lui plaît, elle n’identifie pas l’amour au mal. Elle sait que le moralisme, la corruption existent dans ce monde plein de préjugés. . .

 

Au moment où le prêtre lui dit que le sexe est un péché, je me réfère historiquement au monde actuel où le plaisir est toujours condamné, interdit. Le plaisir du sexe est la première jouissance de l’homme. On cherche toujours à le cacher. Le mal , c’est le plaisir des sens. C’est un réflexe judéo-chrétien. Cela vient du monde occidental. Je dois dire que j’aime aller toujours plus loin dans la recherche de mes fantasmes. Il me plaît de travailler une situation, de la chercher. pour être honnête avec ce que je fais. Je recherche en moi, mes peurs, mes angoisses et mes fantasmes. C’est une déformation qui me vient de ma période de peintre.

 

Je peignais ce que je ressentais. Peut-être était-ce une situation un peu puritaine envers le monde. Je ne voulais pas bluffer. Dans les années 80, j’ai dessiné des séries western, avec des images telles que je les voyais, tout en me compromettant un peu avec la littérature stéréotypée du western: les coups de revolvers, les chevauchées, l’éternel cow-boy, toutes ces images venues du cinéma hollywoodien, images que l’on retrouvaient par la suite dans la littérature populaire, dans la bande dessinée. Avec cette série de S.F., j’ai voulu aller au plus profond de moi-même et chercher quels étaient mes cauchemars, mes rêves, ce qui m’épouvantait.

 

YK ; Vous parlez de vos angoisses, de vos fantasmes, avez-vous eu  des cauchemars quie vous avez transposé dans votre œuvre ?

 

PS :En fait, dans une partie de mon oeuvre, le premier album pour être exact, on trouve un de mes anciens cauchemars. Il m’avait tellement impressionné que je m’en souviens encore. En principe, j’ai beaucoup de mal à me les remémorer. Si je ne note pas tout de suite le rêve que je viens de faire, lorsque je me réveille,

 

il disparaît dans les minutes qui suivent. Ce cauchemar, par contre, m’a beaucoup marqué. Je revois toujours cette grande salle, au bout d’un couloir, avec des portes aux vitres opaques. Derrière ces portes toujours fermées, des escaliers descendent. Ils mènent vers des abysses, vers un monde étrange, épouvantable. Sous cette salle, dans les étages inférieurs, j’entends des bruits, des hurlements. Je sais que le mal, la douleur physique, l’angoisse, la peur peuvent venir de ces endroits.

 

 

Un monde où grouillent des monstres, des êtres épouvantables. Je me trouve dans cette salle illuminée, avec des gens que je connais et je sais que je dois me garder d’aller vers ces escaliers. Ma préoccupation essentielle: m’assurer que ces portes sont toujours fermées. J’ai toujours peur que la porte du fond puisse s’ouvrir. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour m’isoler de ce monde qui m’angoisse. Ces escaliers n’en finissent pas de descendre… Idée que l’on retrouve dans  » Morbus Gravis »… Dans cet album, j’ouvre la porte et suis fasciné par ce qui est derrière… En réalité, je suis attiré par l’inconnu… Cet élément trouble qui est en moi me pousse à dessiner des scènes érotiques… Je n’arrive pas à me maîtriser. Je dessine dans mon atelier, dans un restaurant, une scène essentielle pour le développement de mon histoire. Je réfléchis et je modifie mon dessin.

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