On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« Front Mission Dog Life & Dog Style » par Yasuo Otagaki et C.H. Line
Dans l’esprit collectif, le jeu vidéo et le manga sont extrêmement liés. Pourtant, la plupart des livres qui sont issus de cette filière ne brillent ni par leur originalité ni par leur qualité scénaristique. Il y a souvent matière à développer un monde à part entière et créer, ainsi, une vraie synergie entre les deux médias. « Front Mission Dog Life & Dog Style » fait partie de ces œuvres allant plus loin. Pas besoin d’être familiarisé au fonctionnement du jeu d’origine pour plonger au cœur de l’histoire qui nous est offerte ici.
À la fin du XXe siècle, l’île d’Huffman surgit au sein de l’océan Pacifique, suite à une éruption volcanique. Son sol regorge de minerais précieux et de bien d’autres richesses naturelles. Du coup, deux grandes puissances se disputent le territoire. Scindée en deux, cette île devenue paradisiaque a réussi à obtenir une paix qui repose, malheureusement, sur des bases peu stables.
Une équipe de journalistes japonais est sur place en permanence pour commenter l’actualité locale. Le petit groupe réside dans la partie occupée par l’union des pays d’Asie et de l’Australie, alors que le reste de l’île est gouverné par les pays d’Amérique. L’histoire débute sur la mutation d’Akira Matsuda au sein de la rédaction locale. Il est chargé de remplacer Leona Kurihara au bout d’une semaine de transition.
Cette semaine ne se passera pas comme prévu puisqu’en quelques jours la guerre éclate sous des prétextes fallacieux d’invasion. Le conflit ne met pas bien longtemps à s’intensifier. La violence s’installe de manière exponentielle. Les journalistes sont en première ligne. L’atmosphère devient vite étouffante et ce n’est pas seulement dû au climat tropical de l’île.
Alors qu’elle cherche à s’enfuir par tous les moyens possibles, Leona réussit à obtenir des billets d’avion de manière peu orthodoxe. À bord d’un blindé censé l’amener à l’aéroport, en compagnie d’Akira, elle succombe d’une balle perdue en pleine tête.
Extrêmement choqué, Akira est de retour au Japon ; il entreprend alors une campagne d’information de manière détournée, afin de montrer les réelles horreurs que la guerre engendre. Il est aidé par Kenichi Inuzuka, un collègue journaliste en poste depuis des années sur Huffman. De corpulence peu imposante, sans grande personnalité physique ni signe distinctif particulier, ce dernier sait se faire tout petit sur un champ de bataille. Il obtient ainsi des clichés poignants, tout en évitant de se faire tuer. C’est le personnage central de ce manga. Passionné par la technologie, ses connaissances, égrenées de manière froide et méthodique, paraissent déplacées et quelque peu dérangeantes face à ces événements atroces. Ses clichés, volés au milieu des scènes de combat, révèlent le vrai visage de ce conflit armé.
Réalisés en 2007, certains passages de ce manga sont criants de vérité. Notamment quand on les compare aux récents événements, peu glorieux, relayés par des clichés se passant de commentaires, où l’humiliation du vaincu prend le pas sur le côté soi-disant civilisé de l’humain.
Résurgence d’un style mecha tombé un peu en désuétude, ce manga renoue avec les qualités narratives et visuelles qui avaient fait le succès des films « Patlabor » de Mamoru Oshi. Ici, les mechas sont utilisées comme armes de combat, comme peuvent l’être un tank ou une jeep à notre époque. Rien de bien extraordinaire, les auteurs ne s’attardent pas dessus, ils font partie du décor. Ce qui est intéressant, c’est de voir l’impact que peut avoir la guerre sur des gens aux préoccupations peu éloignées des nôtres. Il est facile de se glisser dans la peau de la plupart des protagonistes. Le scénario est construit de manière à développer le point de vue des différents acteurs ou spectateurs sur ce conflit. Kenichi devient rapidement le point central de l’histoire, relatant les faits de manière brute. L’introduction de la situation géopolitique de l’île se fait assez rapidement et sans bla-bla inutile. Les situations sont décrites de manière claire. La lecture du récit en est facilitée et on se prend à dévorer les 200 pages d’une traite, en ne demandant qu’à avoir la suite rapidement.
Mélangeant différentes histoires, une enquête police vient pimenter le récit : le gouvernement cherchant à contrôler l’information en débusquant la source des images pouvant mettre à mal sa politique aux yeux du public. Cela ne vous rappelle rien ? Véritable reflet de la fuite de certaines informations sensibles telles qu’elles sont divulguées aujourd’hui. Notamment par le biais d’internet et des réseaux indépendants qui fleurissent de par le monde. Simple extrapolation de situation bien réelle magistralement romancée.
Le dessin de C.H. Line aide beaucoup à apprécier ce manga à sa juste valeur. Mélange de réalisme un peu caricatural, les personnages ne sont jamais outranciers. Parfaitement identifiables, ils sont typés tout en ne tombant pas dans la caricature facile et raciste. Il est aisé de ressentir leurs sentiments sur leurs visages. Leurs expressions sont communicatives et le lecteur sent la peur de la population à chaque page. Tout comme il ressent la froideur, la placidité et la méticulosité de Keinchi.
Bien évidement, les scènes d’action sont à la hauteur de ce qui se fait de mieux dans le genre science-fiction/mécha. Les robots, mais également les missiles, les bâtiments et tous les véhicules illustrant cette histoire sont détaillés avec soin. Peu d’artifices superflus masquent l’action, tout est clair comme si nous étions aux premières loges. Les robots ont une chorégraphie dynamisée par une mise en page moderne, mais sachant rester sobre. Le ballet des combats est entrecoupé d’explosions et d’images répugnantes, contrastant entre elles. Les armes de destruction massive sont bien présentes et les deux puissances sont décidées à les employer.
« Front mission Dog Life & Dog Style » ne ressemble à aucun autre manga, et encore moins à une adaptation de jeu vidéo. Le graphisme fouillé ravira les amateurs de seinen, qu’ils soient fans de mechas ou non. Quant au scénario, il devrait contenter les adeptes des histoires bien construites ou le message prend le pas sur le sujet. On ne se trouve pas ici face à un simple manga sur une guerre atroce, mais sur une vision bien plus évoluée de notre société et de ses dérives ; vision centrée sur la place du journaliste censé relater les faits, rien que les faits, face à conflit se déroulant à des centaines de kilomètres de nos vies. Pourtant, cette distance ne l’empêche pas de nous toucher lorsque le travail de reportage est fait avec intelligence et honnêteté. Si l’ambiance développée dans ce premier tome arrive à se maintenir, voir à se transcender dans les volumes suivants, on sera face à l’une des meilleures séries du genre.
Gwenaël JACQUET
« Front mission Dog Life & Dog Style » par Yasuo Otagaki et C.H. Line
Édition Ki-oon (7,50 €) ISBN : 978-2-35592-348-7
© Yasuo Otagaki, C.H.LINE / SQUARE ENIX CO., LTD.