Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Entretiens avec Philippe Druillet (3ème partie)
Suite de l’interview-fleuve de Philippe Druillet par Jean Depelley, à l’occasion de la réédition de tous les « Lone Sloane » aux éditions Drugstore (Glénat) et la parution de la très attendue suite de « Delirius » !
BDZoom : Pourquoi « La Nuit » a-t-il été pré-publié dans Rock & Folk, au lieu de l’être dans Métal hurlant ?
Druillet : « La Nuit », c’est autre chose… Même si j’étais fou à lier, j’étais quelque part assez constructif. Je me suis dit : « Voilà , on démarre, on n’a pas assez de place dans la section couleurs de Métal hurlant pour mettre deux albums à nous. Donc, on va donner à Moebius l’espace spécial pour qu’il l’occupe avec son Arzach ». On était associés avec nos amis de Rock & Folk, Philippe Koechlin et Philippe Paringaud. Ce sont des gens que j’aime… Koechlin est malheureusement mort il y a 5 ans… Puisqu’on n’avait pas assez d’argent pour ouvrir des cahiers couleurs monstrueux, on a donc décidé que Jean ferait « Arzach » dans Métal pendant que moi, je faisais « La Nuit » en prépublication dans Rock & Folk. Ensuite, grâce à notre association, nous récupérions les films, la photogravure et on sortait l’album. C’était pour cette raison… Ce n’était pas idiot stratégiquement…
BDZoom : Revendiques-tu toujours le texte d’introduction original de « La Nuit » ?
Druillet : Oui, c’est la clef du livre. Pour la réédition, chez Albin Michel, on a enlevé des photos de mon épouse pour en mettre d’autres. La préface est la base, le pilier de la pyramide du livre et personne n’a pensé une seule seconde à toucher à ça.
BDZoom : Ta vision sur la vie a-t-elle changé ?
Druillet : Non. C’est toujours la même phrase : « Sauve qui peut ! ». Seulement, la cancérologie a évolué ces dernières années. Ma femme, comme des milliers d’autres dans les années soixante-dix, a été broyée par des crétins incompétents qui ne savaient pas de quoi ils parlaient. Malheureusement, mon histoire est banale. Il y en a eu beaucoup d’autres… Mais je suis un fou de la culture du dix-neuvième siècle. En peinture, chaque fois qu’il arrivait à un artiste un drame pareil, il en faisait une sculpture, une peinture ou quelque chose. Dans la bande dessinée, ça ne s’était jamais fait à l’époque. J’ai donc perpétué la tradition, à la mémoire de cette femme que j’ai adorée et que j’aime encore aujourd’hui, à travers le support d’une bande dessinée. Je me suis dit que je faisais une folie, que j’allais être rejeté par le monde de la B.D. Pas du tout… C’est un des albums qui se vend le mieux. Maintenant, « La Nuit » est l’album culte des hard-rockers, comme le groupe Proton Burst, par exemple.
J’ai eu le courage, l’inconscience, la volonté pathétique, passionnelle et amoureuse de me dire que je devais le faire, parce que tout ce que j’ai construit avant « La Nuit » , c’était avec elle. Il est devenu un des livres les plus vendus dans mon univers et ça c’est formidable.
BDZoom : Moebius m’a dit qu’il avait été influencé par toi, en tant qu’artiste, en tant qu’homme, au tout début de Métal.
Druillet : Ah oui ? Il dit cela ? De toute façon, il est vrai que dans ce métier, comme dans le cinéma, il y a des relais… Tout le monde se passe les relais… Au début, Jean était très western, mais il faisait aussi des trucs fantastiques à Hara-Kiri. Et je suis arrivé comme un cheval au galop, hystérique et pétant de partout ! Donc, ça l’a secoué… C’est historique !
À une époque, Jean habitait tout près de chez moi. On était Gare du Nord. Il venait à la maison 2-3 fois par semaine. Moebius m’a beaucoup aidé à cette époque. Il avait cette connaissance académique très puissante et très forte du dessin. Il arrivait dans mon atelier – un bout de chambre qui servait d’atelier – et me disait : « Là , tu te trompes, il faut faire ça ». Je l’écoutais parce qu’il avait un message à me transmettre. Par contre, je le faisais hurler un petit peu, lui qui venait d’une école – sans être péjoratif – beaucoup plus académique, quand il me voyait faire mes grands angulaires, tous mes délires. Là , il pétait les plombs : « Attends, là il ne faut pas faire ça ! ». Je lui disais : « J’en ai rien à faire, je le fais…». Donc, en même temps que je l’écoutais et qu’il m’aidait sur certains points, je faisais le barrage de moi-même sur le reste. L’explosion pour Jean, ça a été « Vuzz ». Il ne s’en est jamais remis et, après, il est passé à quelque chose de différent…
J’avais certainement vu l’embryon de « Vuzz » et du « Garage à Vélos » dans les comix underground américains ou ailleurs. Tu comprends, on se passe le relais. Il y avait tous ces trucs fabuleux à l’époque… Jean-Pierre s’en souvient très bien… Je travaillais sur « Délirius », je faisais un 4 pages pour Pilote avec un truc à la Escher [Maurits Cornelius Escher (1898-1972) a produit de nombreuses lithographies de stéréogrammes, avec des figures géométriques impossibles].
Je ne connaissais pas Greg Irons. Et, peu de temps après, j’achetais, chez mes copains Florence Cestac et Étienne Robial de la boutique Futuropolis, un underground comix de Greg Irons avec un travail sur Escher ! C’était un courant d’idées absolument colossal…
Par rapport à Jean, j’avais le privilège, tout au moins la différence, d’être un poil moins âgé que lui. Ensuite, je venais d’un milieu autodidacte sauvage et violent, alors que lui était passé, avec son talent immense, par une structure académique. Il y avait à la fois une cassure, mais aussi des influences générales. C’est normal…
BDZoom : Quel regard portes-tu aujourd’hui sur ta période underground ?
Druillet : Je ne la renie pas ! J’aime bien mon époque « Vuzz », « Nosferatu », etc… « Nosferatu » est même ressorti en deux couleurs, noir et argent [chez Albin Michel]. Idée géniale mais de fabrication un peu chère…
BDZoom : Métal payait-il bien ses collaborateurs ?
Druillet : Ça payait pas mal, quand même… Le seul problème qu’on ait eu, c’est qu’il y avait un tel déficit dû – on peut le dire - à la philosophie de base : on vendait 50 francs un livre qui en coûtait 250 ! Avec la finalité des photogravures impayées et tout le bazar ! À un moment donné, nous avons tous perdu une confortable marge de droits d’auteurs au niveau européen et américain. La régie de Métaln’était pas exclusivement française. Il y avait une édition espagnole, une édition italienne, hollandaise, allemande… Ça y allait. On gagnait de l’argent…
Simplement, ce fric n’est pas toujours arrivé dans la poche de l’auteur, bien qu’il y en ait eu quand même pas mal…
Quand il y a eu l’effondrement final, en 1985, un éditeur et une banque ont laissé monter un découvert au-delà de ce que l’on peut imaginer. Jean-Pierre ne s’en est pas rendu compte.
La boîte s’est arrêtée brutalement et sauvagement… [Au # 114 d’août 85, Dionnet écrit un éditorial d’adieu et sera remplacé en tant que rédacteur en chef dès le numéro suivant par Jean-Luc Fromental, lorsque les éditions Hachette acquièrent le titre].
BDZoom : Dans Métal, il y a une interruption entre « Gail » [n°18-20 (1977), 22-27 (1978)] et le départ de « Salammbô » [n° 48-54 (1980)]…
Druillet : Je me retire de Métal… C’est tout… Je m’en vais (rire). Après, je reviens à Métal pour ensuite me retirer à nouveau…
BDZoom : L’interruption provisoire de « Gail » correspond-elle à la disparition de Nicole ?
Druillet : Il y a de ça, parce que c’était juste avant… Mais c’est surtout que j’étais devenu un pilier de Pilote – et j’en suis fier -, quand on a fondé Métal hurlant. En plus, Goscinny et Dargaud voient Giraud s’impliquer là -dedans. Ils ont déjà eu juste avant l’exemple de Gotlib et Bretécher, donc ils ne sont pas contents. C’est de bonne guerre… Lorsqu’ils me voient m’embarquer là -dedans, je commence à avoir de gros problèmes avec Dargaud. Il faut que je gère, que je termine l’album. Si mes souvenirs sont bons, c’était « Urm le fou ». Et je suis sous contrat. Je stoppe donc la prépublication de « Gail »…
Il y a donc deux raisons, la mort de ma femme et la fracture avec Dargaud : une fracture forte. Ensuite, j’en ai eu assez des Humanos et je suis parti. Après, je suis revenu, je suis reparti à nouveau chez Dargaud. Après, Dargaud a fait faillite en 1989…
BDZoom : Est-ce pour terminer au plus vite ton contrat chez Dargaud que tu as réutilisé tes planches méconnues d’« Elric » sur « Yragael » et « Urm Le Fou »?
Druillet : Non, non… On a commencé « Elric le Nécromancien » avec Demuth et, petit à petit, nous nous sommes complètement écartés de Moorcock, avec « Yragael » et « Urm »… J’avais fait quinze ou vingt planches à l’époque. Il y avait des planches que j’aimais beaucoup et dont j’étais plutôt fier à l’époque. Je les ai donc remontées. J’ai amélioré certaines, j’en ai enlevé d’autres. Certaines n’ont donc jamais été éditées ailleurs que dans le portfolio noir sorti chez Pellucidar en 1972, un ouvrage confidentiel que je n’ai même pas moi-même à ce jour et dont il existe 2 versions : une normale et une de luxe, avec la même jaquette noire mais un papier à grain moche un peu plus épais. C’est vraiment rare car les pages ne sont pas reliées et peuvent être perdues.
J’ai donc ressorti les meilleures pages d’« Elric le Nécromancien » parce que je ne voulais pas qu’elles disparaissent. Il fallait qu’elles existent à travers un album. Elles sont éditées aujourd’hui depuis plus de 35 ans, la dernière édition en date étant chez Albin Michel. Ce n’était donc pas pour gagner du temps. Je voulais simplement qu’elles existent à travers la pérennité d’un album couleur.
BDZoom : C’est vrai qu’on n’arrive pas à trouver facilement la version BD d’« Elric le Nécromancien » que tu as faite…
Druillet : Il y a eu une réédition en Angleterre qui date de 1997. Je l’ai ici, mais pour la trouver, bonjour ! Ce n’est pas possible.
L’histoire d’Elric est très simple. J’ai seize-dix-sept ans et ne parle pas anglais. Je suis copain à l’époque avec Michel Demuth et Maxime Jackubowski (qui vit maintenant en Angleterre). Gérard Klein faisait aussi partie de la bande… J’étais dans Lovecraft jusqu’aux yeux et, un jour, ces deux barjots se pointent chez moi avec la première édition d’« Elric le Nécromancien » . Je ne l’oublierai jamais ! Maxime Jackubowski, dans ma chambre du sixième, là où ma grand-mère était concierge, qui me traduit les premières pages… Et là , je découvre une chose que j’attendais, que j’espérais comme le Messie et qui s’appelle l’Heroic Fantasy… Ce fut un bouleversement absolument incroyable !
J’ai rencontré plusieurs fois Michael Moorcock, on s’en doute, notamment au festival de Saint-Malo, il y a quatre ou cinq ans. C’était quand même un grand barjot ! On se bourrait le pif comme des malades et on fumait comme des fous. Maintenant, ce qui me navre, c’est que j’apprends qu’il ne boit plus, qu’il ne fait plus rien et que l’odeur de la cigarette le perturbe à cinquante mètres de distance… Ça me fait de la peine pour lui. (rires)
D’après Moorcock : « Elric, Return to Melniboné » fut d’abord une œuvre pirate de l’artiste Druillet, sans accord de ma part. Bill Butler le pirata à son tour ce qui entraîna un procès en France qui dura longtemps entre lui, Druillet et moi. Finalement, il a été convenu que personne ne devait jamais le republier et c’est comme ça que cela s’est terminé » (in Orbit 6, 1983).
BDZoom : Michael Moorcock, dans une interview du 14/9/83 parue dans la revue Orbit 6, a parlé d’un procès concernant cette édition…
Druillet : Ce procès ne regarde en rien Moorcock… Un jour, un éditeur dont j’ai oublié le nom [Bill Butler de Unicorn Book Shop] s’est simplement permis de sortir la première version d’« Elric le Nécromancien » [alias « Elric, Return to Melniboné », Unicorn, 1973], sans autorisation et sans payer ! Et en plus, c’était diffusé en France, tu imagines ? Le procès n’était absolument pas contre Moorcock, qui n’y pouvait strictement rien ! C’était contre l’autre à qui j’ai serré les boulons, parce que c’était un peu lourd… Après, il y a eu une réédition identique qui est sortie à Londres [chez Jayde Design en 1997]. Cette réédition est magnifique, au même format que l’époque, sous couverture blanche (la première édition avait une couverture violette). Les éditeurs ont demandé mon accord. J’ai touché un petit peu de sous. Pas grand chose, mais ce n’était pas grave… C’était tellement affectif et amical par rapport à ma jeunesse et à celle de Michael… C’était cool, tu vois… Ils m’ont dit qu’ils allaient diffuser sur la France, mais ils ont tout vendu en Angleterre ! Moi, je n’ai eu que dix exemplaires. Tu vois que c’est un collector ! Ce n’était pas un gros tirage. On ne parle pas d’« Astérix »… Donc, il y a eu un procès contre le premier éditeur, mais jamais contre Moorcock. Pour sa défense, [l’éditeur] a dit que si Druillet et Demuth s’étaient bien permis d’adapter « Elric le Nécromancien », dans le fond, il avait bien le droit de le sortir. Mais, Demuth et moi, nous avions des accords avec Moorcock, pas forcement des accords contractuels mais plutôt des accords amicaux… C’étaient nos débuts, nous étions des mômes… C’était cool… On n’a jamais fait un rond là -dessus. C’est pourquoi j’ai trouvé dégueulasse qu’un mec se permette de piquer ce boulot. Voilà ! Ce serait bien que tu le dises, parce que c’est l’éléphant qui accouche d’une poule…
BDZoom : Pas de problème, tout est enregistré…
Druillet : C’était vraiment un truc de gamins, sans aucune portée. J’adore Moorcock. C’est un sacré bonhomme et on a passé un bout de vie ensemble…
BDZoom : Quelle est ton opinion sur la version américaine de Métal, Heavy Metal, qui perdure encore aujourd’hui ?
Druillet : Oui, je sais… « Chaos » y est passé… C’est autre chose. Au départ, Len Mogel était passionné par le Métal français. Autant dire qu’ils ne l’ont pas créé tout seuls. Très vite, ils ont eu besoin de matériel et ils n’ont pas pris que du Métal hurlant. Ils ont pris du (À suivre), du Pilote… Heavy Metal a été pendant longtemps un miroir, une vitrine de la bande dessinée française, édité, je crois, à 400 000 exemplaires par mois. Pour les États Unis, c’est quand même pas mal ! Le magazine a été repris par Kevin Eastman, le créateur des « Tortues Ninjas », et, apparemment, ça ne tourne pas trop mal.
BDZoom : Métal reste LA revue mythique par excellence, qui a transformé le dessinateur de BD lambda en un artiste à part entière, reconnu sur le marché de l’art. Des gens comme toi, Moebius, Bilal…
Druillet : Oui, mais il n’y a pas eu que Métal ! Il ne faut pas oublier que Métal et L’Écho des Savanes n’auraient jamais existé sans Pilote. La véritable histoire, c’est d’abord René Goscinny chez Pilote, car Métal découle de cela, n’en est qu’une évolution. Il ne faut pas l’oublier… C’est amusant, cet intérêt pour Métal a un petit côté Beatles ou Stones. À dix ans près, une génération de jeunes a connu Métal sans forcément connaître Pilote. Pour eux, Métal représente le sommet – et ils ont raison -, mais, historiquement, on ne peut pas effacer l’un au profit de l’autre. La première évolution dans la bande dessinée française, c’est le journal Pilote… De cela est née une nouvelle presse…
C’est René Goscinny qui ouvre ces portes et qui permet à des gens comme moi et beaucoup d’autres de commencer. Ensuite, il y a eu une sorte de fission, d’indépendance, et les jeunes boutonneux à cheveux longs que nous étions ont décidé de monter leurs propres projets. C’est très bien, mais tout cela vient de Pilote… Concernant l’art, à 17-18 ans, avant même que je fasse de la BD, je peignais. Je faisais de la peinture sans me préoccuper de devenir peintre ou pas. J’ai toujours eu ce côté, comment dire…
BDZoom : versatile ?
Druillet : Non, plutôt complémentaire… Un côté passionné d’artiste prêt à explorer des territoires différents. Aujourd’hui plus que jamais… Je suis fier de la BD et je ne cracherai jamais dans la soupe. C’est la bande dessinée qui m’a fait connaître. Je ne vais quand même pas dire que je suis avant tout un peintre. Je m’en moque… À l’époque, je faisais des croûtailles, plus ou moins infâmes, mais je peignais, tu vois ? J’ai fait des illustrations et pleins d’autres choses…
BDZoom : Que sont devenus tes dessinateurs Bihannic et Picotto ?
Druillet : Picotto, le dessinateur de « Firaz et la Ville-Fleur » [Dargaud, 1980], est dans la pub et le livre d’enfant. Quant à Serge Bihannic, « Le Mage Acrylic » [Les Humanoïdes Associés, 1982] aurait dû être réédité chez Albin Michel. Mais j’aimerais bien savoir où il est passé ! Plus personne ne sait où il est ! (rire) Il y a parfois des ectoplasmes qui traversent ce monde et dont on n’entend absolument plus parler. J’avais fait un boulot énorme sur cet album [« Le Mage Acrylic »], puisque je m’étais occupé de lui faire la mise en page. Mais c’est quand même lui qui l’a dessiné. Donc, désolé, c’était un bon !
BDZoom : Pourquoi es-tu devenu ton propre éditeur avec l’album « Gail » ?
Druillet : Je l’ai fait une fois, à l’époque où j’ai quitté Métal. Je me suis rendu compte après coup que j’avais dépensé tout l’argent et que j’avais oublié de payer l’imprimeur (rire). Je me suis dit : « Après tout, chacun son métier »… Même sans ce genre d’anecdote vaseuse, il y avait aussi une réalité… Si on prend en exemples Druillet et Bretécher, en dehors du talent qui est – on s’en doute – différent, la différence est très simple. Claire, elle, publiait au Nouvel Observateur qui n’éditait pas de bande dessinée. Elle pouvait demander de récupérer ses planches après publication pour faire son album. Les gens du Nouvel Obs lui disaient : « Allez-y ! ». Qu’est-ce que je pouvais faire, moi ? J’allais demander à Pilote ou à Métal : « Écoutez, les gars, je passe d’abord mon histoire dans votre journal et, à la fin de l’année, je récupère mon album ». Ce n’était pas gagné… Donc, je me suis édité une fois avec « Gail ». C’était très bien. Je me suis aperçu que c’était des charges de gestion, de distribution, de comptabilité qui n’étaient pas faites pour moi. Je n’avais pas la structure. Effectivement, si j’avais fait 500 000 exemplaires de Gail, j’aurais trouvé des gens pour faire le travail. Mais on a fait un tirage à 30 000, ou peut-être même 15 000, je pense… Ce n’était pas énorme. Il s’est très bien vendu, mais ce n’était pas suffisant pour construire un univers, un empire… On se calme… Après, je me suis dit : « Bon, ça va, tu retournes dans la famille… C’est terminé».
Fin de la troisième partie (pour les précédentes, voir Entretiens avec Philippe Druillet (1ère partie) et Entretiens avec Philippe Druillet (2ème partie))
Jean DEPELLEY
mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
Deux petites erreurs à corriger dans l’interview de Philippe.
1/ J’ai effectivement repris Métal en 1985, mais Hachette n’était pas encore de la partie et n’est arrivé que fin 86, date à laquelle j’ai préféré démissionner plutôt que de servir d’alibi à la pantalonnade qui a suivi.
2/ Si Mike Moorcock a effectivement arrêté de fumer (et plus ou moins de se « bourrer le pif ») depuis des années, il n’est en rien inactif. Il continue à publier abondamment et régulièrement. Il travaille en ce moment sur une « fiction autobiographique » et son chef d’Å“uvre de ces dernières années, la tétralogie Pyatt, n’est pas encore parue chez nous (à l’exception du premier volume : Byzance 1917, que j’avais éditée chez Jean-Claude Lattès). Il partage désomais son temps entre le Texas et Paris, où il vit la moitié de l’année.
Bonjour et merci pour vos précisions concernant Métal hurlant… Quant à Moorcock, l’interview date d’il y a dix ans et j’aurais dû, effectivement, resituer cette partie, dite et écrite » dans le feu de l’action « … Merci également pour vos ajouts sur l’auteur d’Elric.
Jean Depelley
De nada. Excellent entretien, par ailleurs.
Belle leçon que de lire cette interview. Une époque où tout était à inventer.
Avec le culot de la jeunesse et le panache.
Merci les gars , de m’avoir donné l’envie de faire ce métier.
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