C’est devenu une tradition depuis quatre ans (1) : tous nos collaborateurs réguliers se donnent le mot, en fin d’année, pour une petite session de rattrapage ! Même s’il est assurément plus porté sur les classiques du 9e art et son patrimoine, BDzoom.com se veut quand même un site assez éclectique : pour preuve cette compilation de quelques albums de bandes dessinées que nous n’avions pas encore, pour diverses raisons, pu mettre en avant, lors de leurs sorties dans le courant de l’année 2024.
Lire la suite...Entretiens avec Philippe Druillet (1ère partie)
« Lone Sloane » de Philippe Druillet est bientôt de retour (le 1er février) ! Avec la suite de « Delirius », dont la première partie avait été publiée, il y a tout juste quarante ans, dans l’hebdomadaire Pilote… Jacques Lob en avait commencé l’écriture du scénario en 1987, trois ans avant de mourir… Et le bouillant et sensible dessinateur de « Salammbô » l’a laissé alors dormir jusqu’en 2004 : une reprise chaotique due à des problèmes personnels et de santé pour obtenir certainement, au bout du compte, « l’album le plus long à construire de l’histoire de la bande dessinée » !
Pour l’occasion, les éditions Drugstore (filiale de Glénat) rééditent tous les épisodes mettant en scène le Néo-Terrien aux yeux rouges (« Les 6 voyages de Lone Sloane », le premier « Delirius », « Gail » et « Chaos »).
De notre côté, comme notre collaborateur Jean Depelley avait conservé plusieurs entrevues peu connues ou carrément inédites avec le maître, nous en profitons pour vous proposer un copieux « Coin du patrimoine » sur Philippe Druillet, en quatre parties…
Gilles RATIER
Philippe Druillet est le parfait exemple de ce que les Américains appellent « artist’s artist », un talent hors pair, immédiatement reconnaissable et ayant inspiré toute une génération – voire plusieurs – de dessinateurs à travers le monde…
Son œuvre visionnaire et géniale (n’ayons pas peur des mots) a révolutionné le 9e Art, atomisant littéralement le cadre classique de la BD et de ses scénarios convenus.
Avec son parti-pris graphique et design, ses mises en page kaléidoscopiques privilégient les pleines pages, hantées par des visions fabuleuses et cosmiques, des mondes à l’architecture monumentale, des créatures Lovecraftiennes…
Philippe Druillet est né à Toulouse (France) en 1944. Après quelques années dans la photographie, il s’essaie en 1966 à la bande dessinée avec la première aventure de « Lone Sloane », « Le Mystère des abîmes » (aux éditions Éric Losfeld). En 1970, le premier épisode des « 6 Voyages de Lone Sloane » paraît dans l’hebdomadaire Pilote et l’album, sort chez Dargaud en 1972.Suivront « Délirius » (Dargaud, 1973), troisième aventure de Sloane, «Yragael ou la fin des temps » (Dargaud, 1974) et « Urm le Fou » (Dargaud, 1975). À l’instar des surréalistes, Druillet expérimente également l’écriture automatique avec les particulièrement trash « Vuzz » (Dargaud, 1974), « Mirages » (Les Humanoïdes Associés, 1976) et « Là-bas » (Les Humanoïdes Associés, 1978). En 1975, avec Jean-Pierre Dionnet, Jean Giraud alias Moebius et Bernard Farkas, il lance le mensuel Métal Hurlant, véritable révolution graphique dans l’univers des périodiques BD.
La disparition de sa femme, emportée par la maladie en 1975, lui fait aborder des thèmes plus sombres, se cristallisant dans son album-phare « La Nuit » (Les Humanoïdes Associés, 1976) ou dans l’opus suivant des aventures de Lone Sloane, le très introspectif « Gail » (auto-édité par Druillet, en 1978). Il puise ensuite son inspiration dans la littérature française du XIXème siècle et accommode Sloane à l’univers de Gustave Flaubert, dans le flamboyant triptyque « Salammbô » (Les Humanoïdes Associés, 1980 ; Dargaud, 1982 et 1986).
Artiste complet, sa vision onirique s’accommode de tous les moyens d’expression, de l’illustration à l’affiche de cinéma (« La Guerre du feu », « Le Nom de la rose », les films de Jean Rollin…), en passant par la peinture, la sculpture (bronzes, pâtes de verre chez Daum), le design et l’imagerie numérique. Notons que Druillet a su rester un authentique fan, bibliophile acharné et amateur de peinture…
L’interview qui suit est un condensé de trois entretiens téléphoniques, conduits en septembre 2000, en mai 2001, après la sortie de « Chaos » (Albin Michel, 2000) et à l’été 2008. La première interview, réalisée en collaboration avec Etienne Barillier, est partiellement sortie aux USA dans The Jack Kirby Collector n°34 et, en France, dans le fanzine La Cité des Bulles n°4. Le deuxième entretien, beaucoup plus long et inédit, consacré à Métal Hurlant, était initialement prévu pour « Heavy Metalurgy » (en collaboration avec Jon Cooke, chez TwoMorrows Publishing), un livre malheureusement resté dans les limbes… La troisième discussion, plus axée sur le cinéma, est sortie dans une version plus complète dans Métaluna n°4.
Un grand merci à Philippe Druillet pour son amitié !
En attendant la sortie prochaine de « Delirius 2 » (Drugstore), en collaboration posthume avec Jacques Lob et assisté de Benjamin Legrand…
BDZoom : Quelles sont tes origines socioculturelles ? De quel milieu viens-tu ?
Druillet : Mein Gott !… Je suis né en 1944, de parents très modestes… Mon père était collaborateur sous l’occupation, il ne s’en est jamais caché. Je précise tout de suite que ce ne sont pas mes idées… On s’est donc retrouvé dans une situation très embarrassante, puisqu’après la guerre, mon père a dû quitter la France pour aller en Espagne. Mes parents sont d’abord partis à Sigmaringen [ville allemande dans laquelle le gouvernement de Vichy fut transféré entre septembre 1944 et avril 1945, sous la contrainte de l’armée allemande], ensuite ma grand-mère m’a amené en Espagne où j’ai grandi à Figueras. La famille, c’est à dire mon père, ma mère, ma grand-mère et moi, a donc refait l’exode, mais à l’envers [L’exode concernait les Espagnols qui quittaient l’Espagne Franquiste pour émigrer vers la France après la guerre civile de 1936-39].
Je suis arrivé d’Espagne en France à l’âge de 8 ans, en 1952, année à laquelle mon père est mort. Et là, on s’est retrouvé dans une situation précaire. Il n’y avait pas de boulot, pas de fric, rien… J’aurais préféré être fils de grande famille avec beau château, plein d’objets, des bouquins, mais malheureusement ce n’était pas le cas ! J’ai donc dû me débrouiller tout seul. J’avais une famille peu cultivée qui avait souffert pour avoir accès aux livres et à la culture. Je suis d’une famille du sud-ouest, du Gers, de Toulouse jusqu’à Bayonne, et comme dans toute famille, il y a eu de la noblesse, de la paysannerie, des voyous, des militaires, des curés… Dès qu’on remonte, on trouve de tout, c’est à mourir de rire, c’est extraordinaire ! Tu ne peux pas savoir comme cela m’a transformé (rire). Bref… Ce qui compte, c’est le moment où, toi, tu vis. Mon premier métier a été d’être photographe. J’ai dû me battre comme un fou. Je m’intéressais au musée de l’Homme, au musée de la Marine, au musée du Louvre, au musée de la France d’outre-mer, à la bande dessinée, à la cinémathèque… Je n’avais que ma furieuse culture métissée…
BDZoom : Bref, tu es complètement autodidacte.
Druillet : Autodidacte total ! Pour construire mon groupe d’amis et surtout pour gagner rapidement du fric ! C’est vrai que c’était parfois dur… Ce sont les hasards génétiques, on n’y peut rien…
Pour des raisons de détresse et de travail, ma pauvre mère devait bosser dans des trucs épouvantables, ma grand-mère était concierge quand elle le pouvait, parce que des fois c’était pire… Il n’y avait donc pas de livres chez moi. On ne pouvait pas avoir de bouquins.
Je ne vais pas « pleurer Margot », mais c’est vrai que j’ai su ce que c’était que d’avoir froid et d’avoir faim. Je l’avoue… Ce sont des choses qui marquent… J’ai refait mon C.V., il n’y a pas longtemps, et j’ai rajouté une partie sur mon enfance en Espagne. J’ai vécu à Figueras, la ville de Salvator Dali.
Quand j’étais enfant, à 4 ou 5 ans, je dessinais, je faisais des croquis et les copains de mon père et de ma mère, les voisins disaient : « Ah, il sera comme Dali ! » (rire).
C’était rigolo… Cela m’a marqué et en même temps je ne suis jamais devenu comme Dali. Je ne saurais pas faire, c’est autre chose. Je n’ai d’ailleurs rien contre… J’en ai presque fait une préface dans mon C.V… Étant un enfant déraciné français en Espagne, là-bas j’étais LE sale Français, jusqu’à l’âge de 8 ans. Ensuite, quand je suis arrivé en France – quand mon père est mort, nous sommes revenus en France car on ne pouvait plus rester là-bas – et bien j’étais le sale Espagnol ! L’espagnol, c’est ma première langue… Ce sont des choses que beaucoup d’immigrés connaissent. J’étais pourtant un émigré privilégié, puisque j’étais un émigré français rentrant dans son pays ! Ce sont des choses importantes dans la vie d’un gamin… Ce sont des choses qui t’obligent à recréer tes bases, à recréer des univers, qu’ils soient fictifs ou réels. Je crois beaucoup à cela… Si j’ai inventé un monde dans le travail que j’ai fait, comme aussi beaucoup d’autres artistes, c’est parce que ceux qu’on m’a proposés dans mon enfance étaient des mondes presque virtuels… Pendant des années, ma mère, ma grand-mère et moi, nous n’avions pas assez d’argent pour rester à un endroit et donc, nous déménagions tous les un an – un an et demi. Quand tu as douze ans, que tu te fais des amis – c’est important, les amis -, lorsqu’on te dit : « Ben non, il faut qu’on s’en aille », « Attends, j’ai mes amis… », « Non non, faut vraiment qu’on s’en aille », c’est comme un exil, un déracinement permanent… Donc tu repars dans des écoles inconnues, des quartiers inconnus. Tu te refais des potes, bien entendu, car quand on est enfant, on est beaucoup plus ouvert qu’adulte. Mais c’est néanmoins un déracinement permanent…
BDZoom : Au niveau de tes influences BD, quel genre de choses lisais-tu à cette époque ?
Druillet : C’était un mélange de choses… C’est très étrange pour quelqu’un de ma génération… Si tu veux, ce sont des rencontres à l’école, des gamins avec qui tu parles, cela peut aussi être des rencontres de hasard… Par exemple, un jour, alors que j’avais treize ans et que ma grand-mère était concierge avenue d’Eylau dans le XVIème, une des propriétaires des appartements me voit dessiner et me dit à mon retour de l’école - j’étais scolarisé aux « Belles Feuilles », à 50 mètres de là – « Tiens, tu dessines, tu aimes la beudeu, alors je vais t’en donner ». Elle avait de son père des Robinson d’avant-guerre. Moi, j’avais douze ans et je tombe là-dessus. « Super ! (sifflement), « Mandrake le magicien », « Guy l’Éclair » ! ! ! ». À l’école, les gamins parlaient entre eux de Météor, un canard très bien fichu [publié chez Artima] de Lortac et Giordan, si mes souvenirs sont bons, avec des choses assez délirantes, magnifiques… Il y avait Tintin et Spirou, bien entendu. Il y avait Hergé, on s’en doute, Franquin et toute la bande… Il y a eu « Bob et Bobette » qui m’ont fasciné. J’ai une tendresse profonde pour « Le Fantôme espagnol » de Vandersteen.
Pendant ma petite enfance, il y avait Blake et Mortimer dans « L’Énigme de L’Atlantide ». C’était dans Tintin, en quatrième de couverture. Dans Spirou, il y avait « L’Oncle Paul »…
Cela me revient maintenant ; quand j’étais môme en Espagne, il y avait une bande dessinée italienne grand format qui s’appelait « Le Croisé » ou « Le Cavalier Masqué »… Je suis tombé là-dessus étant môme et j’ai été gravement secoué !
Ensuite, je suis tombé sur des vieux Tarzan dessinés par des pseudo-Hogarth. Il y avait aussi Vaillant et « Les Pionniers de l’Espérance » de Poïvet, qui suivaient de près « Guy l’Éclair ». Ça a été une grosse claque aussi…
Plus tardivement, en 1962-63, à 16-17 ans, c’était les comics américains, les Fantastic Four. Là je me dis « Wow, Kirby ! »…
En clair, c’est un mélange de racines européennes – surtout belges – et US, un creuset d’alchimiste. Il est quand même important de dire qu’il ne s’agit que de ma culture d’un point de vue BD, car c’est un ensemble de choses qui a marqué mon boulot…
BDZoom : Et d’un point de vue cinéma ?
Druillet : Le cinéma, c’est ma première vie. Dans l’album « Chaos », Lone Sloane a plusieurs vies et moi aussi, j’en ai eu plusieurs. C’est ma première adolescence. J’étais fou de romans, de dessins, de bande dessinée et de cinéma. À la vérité, je dessinais très, très mal à l’époque, ça s’est d’ailleurs à peine arrangé maintenant (rire). J’étais un fou de cinéma, je connaissais les fiches techniques des films fantastiques jusqu’au quatorzième assistant. C’est mon premier creuset…
À l’époque, j’étais un pilier de cinémathèque… J’avais pas mal de bouquins sur le Fantastique. À seize ans, j’étais copain avec Francis Lacassin et, plus tard, avec Jean Boullet [à la fameuse librairie Le Kiosque, première boutique spécialisée en France et lieu de rendez-vous du Club des bandes dessinées]. Pendant quatre ou cinq ans, j’ai collaboré aux revues Midi-Minuit-Fantastique, Famous Monsters…
BDZoom : Tu étais le correspondant français de la revue américaine Famous Monsters ! J’ai vu ton nom sur l’ours de la revue.
Druillet : Enfin un qui se rappelle ! (rires). J’étais avec Jean-Claude Michel, Michel Caen, Jean-Claude Romer, toute la bande d’Aubervilliers, des gens qui avaient des collections de photos de films prestigieuses. J’avais fourni à Forrest J. Ackerman les photos plan par plan du « Metropolis » complet de Fritz Lang… C’est grâce à ça qu’il m’a mis correspondant ! C’est une partie de ma vie, ma première carrière… J’étais photographe de métier. Dans les années 62-63, j’ai fait des photos de plateaux de films avec Gabin. J’ai découvert la magie du tournage en tant que photographe, mandaté pour les productions. Malheureusement, j’ai oublié les titres… C’était la première fois que je voyais des tournages, en noir et blanc à l’époque, et c’était vraiment admirable et merveilleux. À l’époque, je faisais aussi des bouquins, notamment avec Ornella Volta, avec beaucoup de photos, y compris en couleurs. On les trouve aujourd’hui sur le net… Je me suis ensuite lancé dans le dessin.
BDZoom : En 1963, tu as dessiné les décors du court métrage « Dracula » de Jean Boullet. A-t-on retrouvé ce film, réalisé en ombres chinoises ?
Druillet : Tout à fait, j’en ai une copie… Pour Jean Boullet, j’ai aussi fait des illustrations d’après photographies du « Metropolis » de Fritz Lang. Il me payait en pulps !
BDZoom : Au Kiosque, grâce au Club des bandes dessinées, tu as connu le cinéaste Jean Rollin…Tu as d’ailleurs réalisé ses premières affiches…
Druillet : C’est par des amis communs, qui connaissaient Jean Rollin, que je me retrouve dans « Le Viol du Vampire » et que je rencontre ce cinglé, complètement halluciné, qu’était Rollin. En gros, c’est la période 1967. J’étais encore môme et c’était son premier film. Je commençais à vraiment dessiner…
Ce type s’occupait de cinéma, mais juste avant de faire la mise en place d’un plan, il allait se balader ! C’était la fin des années soixante. Jean était un rêveur, un rêveur de cinéma. Il n’a jamais été quelqu’un qui arrivait sur un plateau en disant : « S’il vous plaît, maintenant, stop. Toi, tu te mets là, l’éclairage ici, la caméra là, sous cet angle. On a trois minutes pour faire le plan et après on passe au suivant ». C’était quelqu’un qui aimait tellement le cinéma qu’il le faisait d’une manière presque poétique, surréaliste… Il m’est même arrivé de régler un plan dans le film, parce que Jean s’était barré ! Mais il était tellement amoureux du cinéma que le bonheur absolu pour lui, c’était d’être sur un plateau. Ensuite, son côté minimaliste complètement fou, qui préfigure « Eraserhead » de David Lynch, faisait que la camera n’était jamais là où on l’attendait. Grâce à sept ou huit films, ce mec est devenu culte à travers l’Angleterre, les États-Unis et même la France… C’est quelque chose d’étonnant ! Je ne dirai pas que c’est un Godard du cinéma fantastique, parce que je préfère Jean Rollin à Godard (rires). Il y avait quelque chose d’assez fou dans son cinéma. Rollin avait un côté un peu mage, un peu visionnaire, mais ce n’était pas un homme très efficace sur un plateau. Il était dans son univers. Ce qui l’intéressait et le passionnait, c’était le plateau. Il a traduit cela à travers une forme de cinéma que l’on peut qualifier d’un peu cheap, parce qu’il n’y a pas de moyens. Son premier film, « Le Viol du Vampire », était produit par Sam Selsky, qui est mort depuis. Il a coûté dans les deux cent mille francs de l’époque. On s’y était tous mis. Je me rappelle que pour le final, quand tout d’un coup la masse monstrueuse des villageois attaque le château, il y avait dans cette masse Philippe Druillet, Sam Selsky, le Chef-Opérateur qui était passé devant la caméra et deux-trois potes. C’était des bonheurs absolus et extraordinaires. Maintenant, ce sont devenus des références ! (rires)
BDZoom : Justement, quelles sont tes références en cinéma fantastique ?
Druillet : C’est très compliqué. Ça va loin… J’ai été baigné d’une part par mes besoins de gamin qui n’avait pas d’école ou d’université à faire. J’ai passé mon adolescence à la Cinémathèque où j’ai mangé tout le cinéma expressionniste allemand. C’était le cinéma sans son, qui préfigurait pour moi la bande dessinée, avec des réalisateurs comme Pabst, Paul Leni, Murnau, Fritz Lang…
Ensuite, ça a été bien entendu le cinéma américain et surtout la floraison sublime des Hammer films de Terence Fisher, Peter Cushing, Oliver Reed. Je recherche d’ailleurs les affiches françaises 120/160 du « Cauchemar de Dracula » et de « Frankenstein s’est échappé » de Fisher… J’ai grandi avec ça. C’est tout ce qui a formé le zozo que je suis !
BDZoom : Et d’un point de vue littéraire ?
Druillet : C’est très simple : les Grands Anciens ! Mais avant Lovecraft, il y a un monsieur qui s’appelle Stephan Wul. C’est les années cinquante, je suis gamin et il écrit ses romans au Fleuve Noir : « L’Orphelin de Perdide » [qui donnera le scénario du dessin animé « Les Maîtres du temps » de René Laloux et Moebius en 1982], « Le Temple du passé »… « Le Temple du Passé », c’est une révolution, c’est extraordinaire. Ça a été très important pour moi. Ensuite, il y a eu Lovecraft, puis la grande littérature américaine, les Moorcock, Bradbury et compagnie… On est aux années soixante avec Philip K. Dick, John Brunner, Thomas Dish, Catherine L. Moore, Fritz Leiber…
C’est tout un processus, en vérité. Mais les deux premiers grands chocs en ce qui me concerne sont d’une part le Français Stephan Wul, qui a écrit quatre romans d’une qualité “américaine ” totale, et Lovecraft…
BDZoom : Pour revenir à la BD, qu’est-ce qui t’a poussé à en faire ?
Druillet : Le déclencheur de ce qui a fait mon travail, en plus de tout ce que je viens de décrire, c’est la « Barbarella » de Jean-Claude Forest [pré publiée dans V-Magazine à partir de 1962 et sorti en album aux éditions du Terrain Vague en 1964]. C’est clair… Là, je suis plus âgé, j’ai 17-18 ans. J’ai commencé à faire de la BD à 15 ou 16 ans, de la daube intégrale ! (rire)
De la daube pathétique, piquée sur « Guy l’Eclair », copiée sur tout le monde. À cet âge, je commence à mûrir, je suis dans le milieu fantastique, dans les revues de science-fiction, je travaille avec Jean Boullet, Jean-Claude Romer… Je suis un pilier de cinémathèque. Je commence déjà à devenir un dur, une espèce de punk de l’image. Je sais déjà plus ou moins ce que je veux, même si je suis encore incapable de le faire… Et il ne faut pas oublier Pilote. Déjà, à l’époque, je suis un amateur d’« Astérix », puisque j’achète le premier numéro de Pilote en 1959. Au milieu de tout ça, j’ai une prescience… Je sens venir une nouvelle BD. Je suis un fan de Pilote, mais il y a quelque chose qui ne va pas… Il faut faire une bande dessinée évoluée, une bande dessinée adulte. Mais je n’ai pas la clé. Je suis trop môme et je ne sais pas encore comment faire… La clé, c’est la « Barbarella » de Jean-Claude Forest, suivie immédiatement de la « Jodelle » de mon camarade Guy Peelaert [paru chez Losfeld en 1966]. C’est le premier gros déclencheur, pour moi.
Après, il s’en passe un deuxième, puisque je fais moi-même un album – pas terrible – chez Losfeld en 1966, « Le Mystère des Abîmes ». Malgré la qualité de Forest, de Peelaert et de tous les artistes, je comprends très vite qu’il y a une erreur : l’éditeur.
C’était bien d’ouvrir la voie. La bande dessinée adulte, c’était ce qu’il fallait faire, mais il y avait erreur quant à l’éditeur.
Losfeld faisait du bouquin très cher pour l’époque et tiré à seulement 4000-6000 exemplaires. Tout de suite, la presse élitiste s’en empare.
Et je me dis : « Non, non ! Il faut faire la même chose, mais avec une presse populaire ». Et je suis entré à Pilote…
Fin de la première partie…
Jean DEPELLEY
mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
La première fois que j’ai lu du Druillet c’était en 1973 quand j’avais 7 ans. C’était mon grand frère qui m’avait laissé lire « Délirius ». je n’y comprenais pas grand chose, mais bon, quand on est enfant on ne peut qu’être fasciné par ce dessin inimitable…. Druillet c’était une légende tout simplement.
Un style inimitable et qui défie les barrières du temps. Je me lasse pas de lire et relire, garder et regarder ses albums.
Excellent article, j’ai découvert Druillet assez sur le tard en histoire de la bd, à l’académie de Liège.
N’étant né qu’en 83!
Après avoir découvert ses travaux et ceux de Moebius , j’ai vite adhéré à la sf et aux métals hurlants!
Plusieurs année plus tard, me voici embarqué dans le character Design sous le nom de Jidé Lius
J’ai rencontré Druillet à la galerie petit papier des Sablons à Bruxelles ce 8 mars 2013! Un moment merveilleux!
Voir les détails de la rencontre sur mon blog!