On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« Le Voyage de Ryu » T1 à 5 par Shotaro Ishinomori
La collection Vintage de l’éditeur Glénat a accueilli en 2011 une œuvre majeure de Shotaro Ishinomori. À l’instar d’Osamu Tezuka, cet auteur-fleuve a réalisé de nombreux mangas offrant un regard critique sur notre civilisation. « Le Voyage de Ryu » offre des pistes de réflexion sur la biodiversité qui nous entoure et les conséquences des actes humains sur ce monde fragile.
Présentée en recueils d’un peu moins de 400 pages, cette série en 5 volumes fait partie des chefs-d’œuvre de la carrière d’Ishinomori. Malgré sa réalisation datant d’une quarantaine d’années, le message qui est véhiculé à travers cette histoire reste universel. Tout comme son maître, Osamu Tezuka, Ishinomori a réutilisé certains de ses personnages dans ses différentes œuvres tout au long de sa carrière. Ainsi, le Ryu dont il est question dans ce manga n’est autre que le « Nolan » que nous connaissons en France grâce à la diffusion de la série animée du même nom, en 1989, sur la 5. En fait, cet animé est basé sur « Genshi Shônen Ryu » (« Ryu l’enfant primitif »), mêmes personnage, même situation et presque même époque. D’où une transposition aisée d’une série à une autre.
La longue quête de Ryu se situe approximativement en 2060. Du moins, c’est la piste qui est évoquée au début du manga. Ce fringant jeune homme est un passagé clandestin dans un vaisseau spatial en perdition qui finit sa course sur une planète rappelant, à tout point de vue, la terre primitive de nos ancêtres. Introduit illégalement dans un vaisseau spatial ayant quitté la terre en 2020, il est placé dans un caisson d’hibernation par le capitaine. Cela lui vaudra d’avoir la vie sauve alors qu’un mal étrange a décimé tout l’équipage, 20 ans avant son arrivée sur terre. Le vaisseau aurait dû retourner à son point de départ : le spacioport Fuji au Japon. Or, point de construction humaine au alentour, tout n’est que végétation et désolation. Toute trace de civilisation semble disparue. Les volcans grondent, la nature est belliqueuse et les animaux difformes. Ryu se fait rapidement attaquer par un tigre à deux têtes, puis cherchant une explication à ces mystères, comprend l’effroyable vérité. Le monde a dû sombrer dans le chaos et une guerre nucléaire a éclaté, ravageant tout, au fur et à mesure de sa progression. Petit à petit, la nature a repris ses droits, les plantes ont envahi ce monde laissé à leur merci et les animaux restants ont muté, au fil des reproductions successives. Au départ, Ryu pense qu’il est le dernier humain vivant, mais il va rencontrer Maria et son petit frère Jimmy. Ces deux-là ne parlent pas la même langue que Ryu ; pourtant, il va finir par les comprendre et se découvre ainsi des capacités qu’il n’avait pas avant. L’hibernation forcée qu’il a subie a été le moyen de mettre à contribution son cerveau et ainsi de développer ses connaissances par un apprentissage accéléré. Ce savoir va lui être bien utile, tout au long de son périple dans ce monde hostile où tout est à reconstruire.
L’intérêt de la série « Le Voyage de Ryu » est de découvrir un manga extrêmement pessimiste, mais offrant une réflexion poussée sur la place des hommes sur notre planète terre. Tour à tour, Ishinomori exploite les différentes facettes de notre caractère et de ce besoin de domination qui pousse inexorablement les humains à leur propre perte. Les cinq tomes constituant cette œuvre, offrent une progression constante et extrêmement bien menée.
Le premier volume voit l’arrivée de Ryu sur terre, puis la collaboration avec Maria et Jimmy. L’amitié naissante avec Kiki, un singe que l’on verra grandir de page en page. Et puis, il y a cet avion, aperçu alors que le groupe traverse une forêt dense. Ils ne sont donc pas seuls et il serait bien de se mettre en route, à la quête d’une civilisation ; si cela existe encore. Au cours de leurs recherches, ils découvrent un métro suspendu qui les conduira au cœur d’une ville malheureusement détruite. Grâce à ses connaissances nouvellement acquises, Ryu réussit à réparer un robot qu’il nommera Isaac, en hommage à l’écrivain Isaac Asimov, père de la robotique moderne. Au détour des ruines il découvre également un groupe d’humains. Mais ces rescapés s’apparentent, aujourd’hui, plus à des monstres qu’autre chose. Devenus anthropophages pour certains, ils n’ont plus rien de comparable aux humains que Ryu et Maria avaient côtoyés. Les ravages de la supposée guerre nucléaire sont ici bien visibles. Ayant kidnappé Maria pour la sacrifier sur un bûché, Ryu arrive à la secourir grâce au concours de God, un être cyborg ayant troqué ses bras pour de puissantes armes bien utiles dans ce monde. Ce volume se conclut sur les explications de God par rapport à la folie des hommes et comment ils ont détruit la terre avec leurs engins nucléaires.
Le second volume est plus calme. Le groupe a trouvé refuge au sein d’un village ou de vrais humains subsistent. Cette situation idyllique ne va pourtant pas durée, entre un dôme mystique se nourrissant d’humain et une pantere à six pattes décimant le village, Ryu va avoir beaucoup de combats à mener. Ce volume pose les premières questions métaphysiques sur la place de l’humain dans l’univers et le besoin de l’empêcher de s’éteindre ; la survie passant parfois par la mort des autres espèces. Mais il ne faudrait pas que cela tourne au génocide : telle est la réflexion qui sera développée dans l’utile volume du « Voyage de Ryu ».Nous n’en sommes pas encore là.
Devenus nomades, les humains se mettent en quête d’un endroit plus paisible pour vivre. Arrivés aux portes d’une ancienne ville, ils sont surpris par son état de conservation. Tout y est impeccablement propre et fonctionnel. L’eau courante marche toujours et la nourriture abonde. Logique, les habitants de cette ville n’en ont pas besoin puisque ce sont tous des robots. Autrefois dévolus aux taches ménagères, ces esclaves ont survécu, contrairement aux humains. Ils se sont organisés et continuent d’effectuer les tâches quotidiennes tout en empêchant la venue d’intrus. Du coup, impossible de s’installer ici, au grand dam de Ryu qui cherchera à contourner ces robots afin de vivre dans ce lieu idéal. Malheureusement, c’est la destruction de la cité qui contraindra le groupe à reprendre la route en quête d’un meilleur endroit.
Le troisième volume amène son nouveau lot de mutants. On y découvre une nature toujours plus hostile ou ayant pris le dessus sur les hommes. Inversant ainsi les rôles. Le groupe découvre également une vraie cité entièrement gouvernée par un être suprême, sorte de dieu inquisiteur. Au fil des bouleversements de l’histoire, au fur et à mesure que le groupe découvre certains secrets, le lecteur avance, lui aussi, au même rythme et reste abasourdi par certaines révélations. Ainsi, après la destruction du bouddha géant servant de robot dominateur au dieu de la cité, le groupe découvre un ersatz d’humanoïde à quatre yeux et au cerveau sur-développé. Celui-ci affirme connaître Ryu et attendait sa venue. Pourquoi ? Tout simplement pour qu’il devienne dieu à sa place. De nombreuses explications s’en suivent et tout ce que nous imaginions est remis en cause. Aussi bien par la position de la terre dans l’espace que par le temps qui n’est pas celui que nous imaginions : ce dieu mutant ayant vécu près de mille années.
Les quatrième et cinquième volumes prennent une tournure spirituelle et pose les bases d’une réflexion bien plus importante sur la terre et la place de l’humanité toute entière. Ryu commence à développer des pouvoirs psychiques extrêmement poussés. Il arrive à contrôler certaines actions par la pensée. Il communique avec les animaux évolués, comme les dauphins. Il finit surtout par découvrir la folie que les hommes ont créée de toute pièce et qui a causé leur perte. La conclusion de cette histoire pourrait être résumée ainsi : tous les êtres vivants font partie d’une chaîne qui ne peut être brisée sous peine de voir s’éteindre les maillons suivants. Si on extermine ce qui peut nous nourrir, nous mourrons de faim ; c’est aussi simple que cela. Pourtant, Ishinomori va bien plus loin dans la réflexion. Il nous emmène vers une compréhension des risques de la mauvaise gestion des progrès scientifiques : bien sûr, de la bombe atomique dont il est question depuis le début, mais également de la manipulation génétique et des errances dues au clonage humain ; s’en suivent alors des questionnements sur la domination des plus forts sur les plus faibles et d’inévitables retournements de situation que cela peut engendrer, au fil du temps.
D’un simple manga sur la survie d’un naufragé spatio-temporel, nous arrivons à une œuvre offrant un vrai questionnement sur notre place sur la terre.
Bien évidemment, il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre et cette histoire reste un divertissement sans prétention philosophique. Ishinomori ne se positionne pas comme un grand penseur cartésien. Néanmoins, si cela peut amener à la réflexion les jeunes lecteurs plongés dans son manga, pourquoi pas ! En tout cas, cela ne peut pas faire de mal, vu le message positif véhiculé.
Gwenaël JACQUET
« Le Voyage de Ryu » T1 à 5 par Shotaro Ishinomori
Éditions Glénat (10,55€) – ISBN : 2723477916
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